Un immense cimetière de vaisseaux spatiaux au sud de la Polynésie


La station Mir est le plus célèbre occupant de ce cimetière spatial, qu'il a rejoint en 2001. (Crédit : NASA, photo prise le 9 février 1998 depuis par navette spatiale Endeavour)
PAPEETE, le 24 juin - 263 objets spatiaux ont fini leur vie dans une vaste zone océanique au sud de la Polynésie depuis 1971. Ce cimetière de vaisseaux spatiaux russes, américains, japonais et européens va continuer à accueillir les engins que l'Homme a envoyé dans l'espace. Dans quelques décennies, même la gigantesque Station Spatiale Internationale et ses 420 tonnes de métal y terminera sa mission.

Les Hommes ont un certain talent pour polluer leur environnement, jusqu'à l'espace proche. La NASA estime que 500 000 déchets créés par l'homme sont en orbite autour de la Terre, que ce soient de petits éclats de peinture, des outils échappés des mains d'astronautes, des boulons, ou des restes de satellites détruits dans l'espace. Par exemple le satellite espion chinois Fengyun 1C détruit par l'Empire du milieu en 2007 à l'aide d'un missile expérimental… Qui a causé de nombreux problèmes pour les autres satellites sur la même orbite.

Pour limiter l'augmentation de la pollution spatiale, les agences organisent désormais la fin de vie de leurs missions. Et un satellite en fin de vie n'a qu'une seule destination : la Terre. Un dernier coup d'accélérateur placé au bon moment dévie l'itinéraire de l'astronef pour le placer sur une trajectoire de "détérioration orbitale" qui le conduira à brûler dans l'atmosphère, puis – s'il reste quoi que ce soit qui n'ait pas été vaporisé – à se crasher au milieu d'un désert, le plus loin possible d'habitations humaines.

UN DÉSERT EN PLEIN OCÉAN

Le Pôle maritime d'inaccessibilité, au sud de la Polynésie française, est l'endroit le plus éloigné de toutes terres émergées au monde. C'est aussi un immense cimetière de vaisseaux spatiaux... Et le premier lieu de résidence de Cthulhu, le monstre de H.P. Lovecraft (Crédit : Wikimedia commons)
Et de tous les déserts du monde, les Polynésiens seront ravis d'apprendre que nous avons, pile au sud des Australes, un des plus grand déserts (dans le sens où la vie humaine est absente) de la planète. C'est un cercle centré sur le Pôle maritime d'inaccessibilité, ou "Point Nemo" (en hommage au capitaine Nemo, commandant du sous-marin Nautilus dans le roman Vingt mille lieues sous les mers de Jules Vernes). Le Point Nemo est l'endroit le plus éloigné de toute terre émergée de la planète. Situé aux coordonnées 48° 49′ 48″ S et 123° 19′ 48″ O, les terres les plus proches (2688 km de mer tout de même) sont Pitcairn au nord, Rapa Nui au nord-est et l'île Maher, au large de l'Antarctique, au sud.

Lorsque l'on cherche à éviter d'envoyer un satellite de plusieurs tonnes, enflammé qui plus est, sur la tête d'un passant, c'est un bon endroit à viser. Les Russes l'utilisent depuis les années 70, les Américains ont commencé à utiliser ce spot dans les années 80 et depuis les années 2000, les Japonais et les Européens ont eux-aussi rejoint l'entreprise de bombardement stratosphérique de ce coin d'océan. Désormais ce sont les entreprises privées qui rejoignent le mouvement, SpaceX en tête.

DES INVITÉS DE CHOIX

L'occupant le plus célèbre des fonds océaniques autour du Point Nemo reste cependant d'origine slave : c'est la Station Mir, la station spatiale russe de 142 tonnes, abimée en mer en 2001 après avoir rempli sa mission pendant 15 ans. Elle est entourée par les restes moins glorieux de l'exploration spatiale : boosters ou seconds étages de fusées, vaisseaux de ravitaillement, vieux satellites espions et autres infrastructures spatiales devenues obsolètes.

Elle sera un jour rejoint par l'immense Station spatiale internationale qui a pris sa place : l'ISS. L'infrastructure est trois fois plus lourde que Mir, à 420 tonnes, et s'étend sur la surface d'un terrain de football. Elle est déjà financée jusqu'en 2024, mais elle finira elle aussi par être décommissionnée, probablement entre 2028 et 2040. Ce sera alors l'opération de réentrée atmosphérique la plus délicate de l'histoire de l'exploration spatiale : la friction et la compression de l'air autour de ce projectile géant lancé à 7,66 km par seconde (27 580 km/h) fera monter la température de la station à des milliers de degrés. Elle se désagrègera en plusieurs morceaux qui termineront tous leur course effrénée dans les eaux froides du Pacifique Sud, à quelques milliers de kilomètres à peine à côté de chez nous… En espérant que les ingénieurs ne se ratent pas dans leurs calculs (c'est peu probable, voir encadré).

La station spatiale rejoindra alors les restes de centaines d'autres objets spatiaux pour leur dernier repos. Un repos dans les profondeurs océaniques qui lui rappellera peut-être le calme et la fraicheur de l'espace où elle aura passé tant de temps…




L'ISS pourrait-elle tomber sur Tahiti ?

Le professeur Jean-Pierre Barriot, directeur du laboratoire GePaSUD à Tahiti et enseignant-chercheur à l'Université de Polynésie française, est surtout l'un des astronomes qui participe au projet européen de sonde Rosetta, depuis l'époque où il travaillait à la NASA et au CNES. Cette sonde a effectué avec succès en 2014 et 2015 sa mission d'exploration de la comète Churyumov-Gerasimenko après un voyage de 10 ans.

Le scientifique nous explique que "l'ISS est essentiellement une coquille, pas du matériau massif. En cas de rentrée dans l'atmosphère, ce qui se produira forcément quand elle sera en fin de vie, elle subira exactement le même sort que la station MIR, elle sera déorbitée volontairement pour exploser par friction et désintégration dans l'atmosphère vers 60 à 100 km d'altitude. De gros fragments (quelques dizaines de kg à plusieurs tonnes) sont susceptibles d'arriver au sol, ou plutôt à la mer." Le scientifique semble n'avoir aucun doute sur la capacité des agences spatiales à viser le Point Nemo avec précision. Il faut dire que les équipes de Rosetta ont réussi à atteindre une comète de 4 kilomètres de large qu'ils visaient depuis 500 millions de kilomètres de distance… "Les ingénieurs en charge feront en sorte que tous les fragments s'écrasent en mer loin de toute terre. Envoyer l'ISS loin de la Terre ou s'écraser sur la Lune n'est pas faisable du point de vue des performances des fusées actuelles."

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Dimanche 26 Juin 2016 à 12:00 | Lu 8754 fois