Un ex-militaire du CEP atteint d'un cancer devra être indemnisé


Le tir Canopus avait explosé le matin du 24 août 1968. L’énergie développée par la bombe est colossale : 2, 6 mégatonnes soit 170 fois l’énergie de la bombe d’Hiroshima.
PAPEETE, le 18 août 2015. Sa demande d'indemnisation pour une maladie radio-induite avait été refusée en octobre 2014 par le ministre de la défense, évoquant alors un "risque négligeable" lié à ses missions à Moruroa. Le tribunal administratif de Papeete a pris, ce mardi, une décision inverse.

Affecté en Polynésie française pour plusieurs missions, parfois de longue durée (notamment à Moruroa et Hao) entre mai 1968 et novembre 1982, ce militaire de carrière au Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) a assisté "en direct" à 13 tirs nucléaires aériens et à 30 tirs souterrains. Le 24 août 1968, il est, par exemple à Moruroa pour le tir Canopus (2,6 mégatonnes), "le tir thermonucléaire le plus puissant jamais effectué par la France" indique l'un des considérants du tribunal administratif. Il est présent également pour l'essai du 17 juillet 1974 effectué au-dessus de Moruroa qui "aurait été selon le rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique, parmi les cinq essais ayant dépassé les doses admises de radioactivité de l'air". Par ailleurs, ce même militaire a participé en 1981 à des travaux d'assainissement de la zone Colette à Moruroa où avaient eu lieu de 1966 à 1974 des tirs de sécurité.

En 2005, les médecins lui diagnostiquent un cancer de la vessie. C'est l'une des maladies radio-induites inscrite sur la liste du décret du 11 juin 2010 pouvant ouvrir lieu à une indemnisation par l'Etat. Pourtant, sa demande présentée en août 2011 est rejetée par le ministère de la Défense en octobre 2014 en se référant à l'avis du Civen (comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires). Le Civen "a pu considérer qu'il n'existait aucun indice d'exposition de M. X à des rayonnements ionisants et qu'étant donné la nature et la date de la maladie présentée, le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de l'intéressé pouvait être considéré comme négligeable" écrit, noir sur blanc, le rapport de l'Etat présenté en juillet 2014.

Les représentants de l'Etat en veulent pour preuve que le militaire a porté quatre dosimètres externes du 7 juin 1968 au 13 février 1969 "dont les résultats se sont avérés négatifs" et qu'il a subi trois examens d'anthropospectrogammamétrie "dont les résultats se sont révélés normaux". "Compte tenu du niveau d'exposition aux rayonnements ionisants, il n'existe aucun élément permettant d'établir le caractère radio-induit du cancer du requérant" conclut donc le mémoire du ministère de la Défense.

CONTAMINATION DIRECTE ET INDIRECTE

Les arguments du militaire, atteint d'un cancer, sont bien entendu strictement contradictoires. Il soutient que le ministre de la défense "se fonde sur des données au mieux approximatives, voire erronées ou inexistantes" et qu'au cours de la période où il a séjourné au Centre d'expérimentation du Pacifique "il a été exposé à une contamination interne contre laquelle il n'a pas été protégé". "Les archipels polynésiens ont subi entre 1966 et 1974 différents tirs et 203 retombées radioactives à la suite des essais nucléaires aériens ; les mesures de sécurité étaient aléatoires et insuffisantes" écrit-il. Pire, il indique que le "dosimètre n'enregistre aucun rayonnement s'il n'est pas correctement orienté en direction de la source radioactive".

Des arguments pris en compte dans les conclusions du rapporteur public. Pour lui, Monsieur X remplit "les conditions d'indemnisation fixées par la loi du 5 janvier 2010" (loi Morin), qu'il ne peut être contredit sur la fiabilité des dosimètres en fonction de leur orientation et qu'en conséquence l'administration ne saurait établir que "l'exposition externe de Monsieur X aux rayonnements ionisants était négligeable".
Le rapporteur public va plus loin encore et pointe des contradictions dans le discours officiel de l'Etat. Il précise ainsi, qu'au-delà des risques pendant les essais atmosphériques, ce militaire, comme les autres personnels affectés à Moruroa ont été exposés, a posteriori, à une contamination au plutonium fixé au sol par goudronnage des zones contaminées de l'atoll de Moruroa et dispersé dans le lagon et les plages lors de la tempête du 22 mars 1981. Ces retombées radioactives, si elles sont contestées par l'Etat, apparaissent néanmoins dans un rapport de la commission d'enquête sur les conséquences des essais nucléaires, daté de 2006. Selon les données rendues publiques par l'Etat lui-même, il en résulte que "certains produits de consommation dans les atolls, comme celui de Moruroa, telle que l'eau de pluie ont alors été contaminés".

Ainsi, la décision du 10 octobre 2014 du ministre de la défense, rejetant la demande d'indemnisation de Monsieur X est annulée. "Il est enjoint au ministre de la défense de faire une offre à Monsieur X tendant à l'indemnisation intégrale des préjudices subis imputables à sa pathologie radio-induite". Cet ancien militaire du CEP n'est pourtant pas sans doute au bout de ses peines. Le passage au tribunal administratif est bien souvent la première étape pour contester un refus d'indemnisation du ministre de la défense. Il faut bien souvent poursuivre la voie judiciaire jusqu'à son terme pour obtenir gain de cause. En février dernier, Pierre Marhic, le président de l'Anvven (association nationale des vétérans victimes des essais nucléaire) et vétéran de la marine à bord du porte-avion Clémenceau, basé durant trois ans au large du CEP, avait obtenu la reconnaissance de sa pathologie radio-induite devant le Conseil d'Etat. Une décision rendue contre le ministre qui "i[n'est pas fondé à demander l'annulation [de sa demande d'indemnisation], dans l'intérêt de la loi]i" argumentait même le Conseil d'Etat.


Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 18 Aout 2015 à 17:54 | Lu 2040 fois