Un collectif dénonçant la pratique du "copier-coller" adresse une lettre ouverte à Mme Louise Peltzer.


On sanctionne des étudiants lorsqu’ils recopient des passages entiers d’un livre ou d’un manuscrit inédit sans mettre de guillemets et sans indiquer la source à la fin d’une citation : doit-on fermer les yeux lorsqu’un enseignant-chercheur se livre à de telles pratiques ?

Un(e) président(e) d’université doit-il/elle respecter la déontologie de la recherche comme l’ensemble de ses collègues ?

Les règles déontologiques relatives à la recherche s’appliquent-elles de la même façon à toutes les universités, en métropole comme en outre-mer ?

Enseignants et chercheurs, nous posons ces questions avec une « Lettre ouverte à Madame Louise Peltzer, Présidente de l’Université de la Polynésie française » que vous trouverez ci-dessous et en pièce jointe.

Les « similitudes » dont il est question dans cette lettre sont analysées dans le détail dans un article du blog « Archéologie du copier-coller » dont nous ne saurions trop vous recommander la lecture : « L'ÉCHO D'ECO Des langues, des hommes et du travail de la citation » : http://archeologie-copier-coller.com/?p=2542

La situation qui prévaut à l'UPF y est replacée dans un contexte plus général à travers deux autres articles : « Dossier cpu, cnu, upf : la question du plagiat » ( [http://archeologie-copier-coller.com/?p=2683]url:http://archeologie-copier-coller.com/?p=2683 ) et « Plagiat, silence et excellence » (http://archeologie-copier-coller.com/?p=2636(http://archeologie-copier-coller.com/?p=2636).

On lira également l’article, sur le site « Responsable », l’article « Tempête à Tahiti » :
[http://www.responsable.unige.ch/index.php?main=b-29-13]url:http://www.responsable.unige.ch/index.php?main=b-29-13

Une cinquantaine d’enseignants et de chercheurs ont d’ores et déjà signé la lettre ouverte ci-dessous. Comme on pourra le vérifier, elle a reçu un soutien significatif de la part de la communauté scientifique, dont celui de chercheurs étrangers et métropolitains qui se sont joints à la démarche de leurs collègues de Polynésie. Parmi les premiers signataires, on notera le nom de savants de notoriété mondiale, comme celui de Claude Hagège, ancien professeur au Collège de France, médaille d’or du CNRS et spécialiste le plus connu des langues rares et de Maurice Godelier, Directeur d’études à l’EHESS et médaille d’or du CNRS. Claire Moyse-Faurie, Directrice de recherches au CNRS et spécialiste des langues polynésiennes, François Jacquesson, directeur du LACITO (Langues et civilisations orales, Laboratoire de linguistique et anthropologie qui inclut les langues océaniennes), et son prédécesseur Jean-Claude Rivierre, sont également des références incontestables dans les domaines de recherche de Louise Peltzer.

Si vous souhaitez vous aussi soutenir cette action pour le respect de la déontologie de la recherche, envoyez un mail (avec nom et prénom, fonctions et affectation) au Collectif pour la défense de la déontologie de la recherche à l’Université de la Polynésie française deontologie.recherche@gmail.com

Bien cordialement,

Le Collectif pour la défense de la déontologie de la recherche
à l’Université de la Polynésie française.

P.S. L’annexe dont il est question dans la lettre est trop lourde pour un envoi collectif, mais toutes les informations parlantes se trouvent sur le blog « Archéologie du copier-coller » ([http://archeologie-copier-coller.com]url:http://archeologie-copier-coller.com ). Cela dit, ce tableau synoptique plus complet peut être communiqué à la demande.


LETTRE OUVERTE À MADAME LOUISE PELTZER, PRÉSIDENTE DE L’UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Madame la Présidente de l’Université de la Polynésie française,


Nous avons été très intrigués par un article intitulé « Accusations », paru le 29 septembre 2010 dans les Nouvelles de Tahiti. Cet article explique qu’un inconnu a usurpé votre identité pour adresser aux rédactions des médias polynésiens un mail dans lequel il dénonçait des « similitudes » entre votre ouvrage Des langues et des hommes, paru en 2000, et La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne d’Umberto Eco. Le même article nous apprend que vous avez porté plainte pour usurpation d’identité, mais refusé de répondre aux journalistes sur le fond même de l’affaire.
La communauté scientifique ne saurait en aucun cas se satisfaire d’un tel silence à un moment où ce genre de similitudes troublantes préoccupe particulièrement l’opinion publique, surtout lorsqu’elles mettent en cause des chercheurs et des enseignants du supérieur parfois haut placés. Intitulées « Pourquoi le plagiat gangrène-t-il l’Université ? », deux pages entières du Monde daté du jeudi 11 novembre dernier sont consacrées à ce fléau.
Il convient de nous placer sur un terrain rigoureusement académique. Parce que vous êtes garante, dans votre université, de la déontologie scientifique, personne ne doit pouvoir mettre en doute l’originalité de vos travaux. Personne ne doit pouvoir penser que la mention d’une source dans la bibliographie dispenserait un chercheur des guillemets, des appels de note et des références de rigueur dans nos disciplines, qu’il s’agisse d’une thèse ou de la version publiée d’une « Leçon inaugurale ». Au-delà de votre personne, c’est la réputation de votre établissement et celle de la recherche universitaire qui est en jeu. C’est pourquoi nous nous interrogeons sur les ressemblances entre les passages suivants de votre livre et de celui d’Umberto Eco :

 

Dans Des langues et des hommes, vous écrivez :

 

 

« Les rapports organiques reconnus entre une langue donnée et une façon de penser, supposent des conditionnements réciproques qui ne sont pas seulement synchroniques [à un instant donné] mais aussi diachroniques [dans la durée]. Tant la façon de penser que la manière de parler sont le produit d’un développement historique. ‘Et ce serait alors s’égarer… ’ indique De Mauro ‘…que de ramener les langages humains à une prétendue matrice unitaire.» (p. 34)

 

 

 

 

« Dans le chapitre Langage de l’Encyclopédie, Jaucourt rappelle que les langues, étant issues de l’activité des différents peuples, on peut affirmer qu’il n’y aura jamais d’universelle puisqu’on ne pourra jamais conférer à toutes les nations les mêmes coutumes et les mêmes sentiments, les mêmes idées de vertus et de vices, car ces idées procèdent de la différence des cultures.

 

 

  Se développe l’idée que chaque peuple élabore sa langue, ce qui rend ces langues mutuellement incomparables mais capables d’exprimer les différentes visions du monde. Condillac, Herder et surtout Humboldt développèrent cette théorie, reprise par de nombreux chercheurs par la suite. »

(p. 34-35)

 

Umberto Eco écrivait quant à lui dans l’édition française de La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne :

 

« Les rapports organiques reconnus entre une langue donnée et une façon de penser supposent des conditionnements réciproques qui ne sont pas seulement synchroniques (rapports entre la langue et la pensée à une époque donnée) mais aussi diachroniques (rapport dans le temps d’une langue donnée avec elle-même). Tant la façon de penser que la manière de parler sont le produit d’un développement historique (voir De Mauro 1965 : 47-63). Et ce serait alors s’égarer que de ramener les langages humains à une prétendue matrice unitaire. » (p. 132-133 de la réédition en poche, Seuil, Points, 1997.)

 

« Ainsi, à l’article ‘Langage’ de l’Encyclopédie, Jaucourt rappelait que, puisque les différentes langues naissent des génies différents des peuples, on peut affirmer décidément tout de suite qu’il n’y en aura jamais d’universelle, puisqu’on ne pourra jamais conférer les mêmes coutumes et les mêmes sentiments, les mêmes idées de vertu et de vice, car ces idées procèdent de la différence des climats, de l’éducation, de la forme de leur gouvernement.

  On voit se profiler l’idée que les langues élaborent un ‘génie’ qui les rend mutuellement incomparables, mais capables d’exprimer les différentes visions du monde.

Cette idée apparaît chez Condillac [..], mais on la retrouve chez Herder [..] et elle réapparaîtra de façon plus développée chez Humboldt » (p. 132-133 de la réédition en poche, Seuil, Points, 1997.)

 

 




Nous nous limitons à ce modeste échantillon puisqu’il faudrait une lettre de 30 pages pour faire tous les rapprochements significatifs, notamment entre les pages 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 32, 33, 35, 37, 40, 41, 43 et 45 de votre livre et les pages 95, 96, 97, 98, 104, 105, 106, 107, 116, 117, 118, 119, 120, 122, 123, 125, 126, 132, 133, 307, 308, 309, 334, 346, 347 et 368 du livre d’Umberto Eco. Vous voudrez bien trouver en P.J. une mise en parallèle plus complète.
Convaincus, Madame la Présidente de l’Université de la Polynésie française, que vous saurez dissiper nos inquiétudes, nous attendons avec impatience vos explications.


Premiers signataires

<br><strong>A) Enseignants et chercheurs de Polynésie</strong> <br> <br>David ADAM, MCF de mathématiques, UPF <br>Sémir AL WARDI, MCF HDR de sciences politiques, UPF <br>Sylvie ANDRÉ, Professeure de littérature française, UPF <br>Gérald BOURGEOIS, MCF de mathématiques, UPF <br>Laurence CAILLON, MCF de géologie, UPF <br>Marie-Noël CAPOGNA-CHARLES, MCF de droit privé et sciences criminelles, UPF <br>Jean-Michel CHARPENTIER, chercheur CNRS retraité, langues océaniennes <br>Alain CHIREZ, Professeur de droit privé et sciences criminelles, UPF <br>Olivier CLARY, PRCE d’éducation physique et sportive, UPF <br>Serge DUNIS, Professeur de langues et littératures anglaises, UPF <br>Patrick FAVRO, MCF de langues et littératures anglaises, UPF <br>Éric FERARD, MCF de mathématiques, UPF <br>Pascal GOURDON, MCF de droit privé et sciences criminelles, UPF <br>Florence GUIRARDEL, PRAG de mathématiques, UPF <br>Sylvie LARGEAUD-ORTEGA, PRAG d’anglais, UPF <br>Carmela LOPES, MCF de biochimie et de biologie moléculaire, UPF <br>Keitapu MAAMAATUAIAHUTAPU, MCF de structure et évolution de la terre, UPF <br>Christian MONTET, Professeur de sciences économiques, UPF <br>Pascal ORTEGA, Professeur de Météorologie et d’océanographie-physique, UPF <br>Roger OYONO, MCF de mathématiques, UPF <br>Andréas PFERSMANN, MCF HDR de littérature générale et comparée, UPF <br>Bernard POIRINE, MCF HDR de sciences économiques, UPF <br>Jean-Marius RAAPOTO, Ancien ministre de l’éducation de Polynésie française et docteur en sciences du langage (langues polynésiennes) <br>Michel RODIÈRE, PRAG de sciences physiques, UPF <br>Bruno SAURA, Professeur de civilisation polynésienne, UPF <br>Florent VENAYRE, MCF de sciences économiques, UPF <br>Hélène VEUJOZ, PRAG d’anglais, UPF <br> <br><strong>B) Autorités scientifiques, françaises et étrangères, hors Polynésie</strong> <br> <br>Jean BESSIERE, Professeur de littérature comparée, Université de Paris-3. <br>Jean BENOIST, Professeur émérite d’anthropologie, Université d’Aix-Marseille. <br>Ondine BOMSEL-HELMREICH, Directrice de recherches honoraire au CNRS, Paris. <br>Luc BOUQUIAUX, Directeur de recherches CNRS à la retraite, LACITO-CNRS. <br>Olivier CANTEAUT, MCF à l'École nationale des chartes, Paris. <br>Robert CHARVIN, Doyen honoraire de la Faculté de droit de Nice. <br>Pierre-Marie DECOUDRAS, Professeur de géographie à l’Université de la Réunion. <br>Fabio Akcelrud DURÃO, Professeur de théorie littéraire à l’Université de Campinas (UNICAMP), Brésil. <br>Alessio GUARINO, MCF HDR de physique, Université d’Aix Marseille II. <br>Maurice GODELIER, Directeur de recherches à l’EHESS, Anthropologue, océaniste, médaille d’or du CNRS. <br>Zlatka GUENTCHEVA, Directrice de recherches émérite au CNRS, linguiste, ancienne directrice du LACITO-CNRS (2000-2008). <br>Claude HAGÈGE, Professeur honoraire au Collège de France, médaille d’or du CNRS. <br>François JACQUESSON, Directeur de recherches au CNRS, linguiste, directeur du LACITO-CNRS. <br>Myriam KAHN, Professeure d’anthropologie, Université de Washington, USA. <br>Nguyen Kieu LE QUYEN, Ingénieur de recherche CNRS, retraitée. <br>François LECERCLE, Professeur de littérature comparée à l’Université de Paris-IV. <br>Michael LOWY, Directeur de recherche émérite, CNRS, médaille d’argent du CNRS. <br>Sabine MAINBERGER, Professeure de littérature comparée à l’Université de Bonn (RFA). <br>Christian MÉRIOT, Professeur émérite d’anthropologie, Université de Bordeaux-II. <br>Claire MOYSE-FAURIE, Directrice de recherche au CNRS (LACITO), langues océaniennes. <br>Philippe PÉDROT, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Université de Brest. <br>Jean-Claude RIVIERRE, chercheur retraité du CNRS, langues océaniennes, ancien directeur du LACITO-CNRS. <br>Jacqueline M.C. THOMAS, Directrice de recherches retraitée, fondatrice du laboratoire LACITO-CNRS. <br>Eleni VARIKAS, Professeure de sciences politiques à l’Université de Paris-8. <br>Géraldine VEYSSEYRE, MCF de linguistique médiévale à l'Université Paris IV-Sorbonne, actuellement détachée comme que chargée de recherche à l'IRHT (CNRS) en tant que "Principal Investigator" de l'"ERC starting grant" "Old Pious Vernacular Successes (1230-1450)". <br>Alain VIAUT, Chargé de recherches HDR, CNRS, dialectologie, MSHA.

lire aussi le figaro
Libération

Rédigé par Le Collectif pour la défense de la déontologie de la recherc le Lundi 17 Janvier 2011 à 08:58 | Lu 2877 fois