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Un chercheur analyse 70 000 commentaires de touristes en Polynésie


Le professeur des universités Christophe Benavent utilise des outils d'analyse automatique du texte, aidés par les technologies du "big data" et de l’intelligence artificielle, pour analyser les commentaires des touristes ayant visité la Polynésie.
Le professeur des universités Christophe Benavent utilise des outils d'analyse automatique du texte, aidés par les technologies du "big data" et de l’intelligence artificielle, pour analyser les commentaires des touristes ayant visité la Polynésie.
PAPEETE, le 6 mai 2019 - Christophe Benavent a présenté un travail particulièrement intrigant jeudi dernier lors d'une conférence Savoirs pour tous à l'Université. Il a utilisé les derniers outils d'analyse automatique de textes pour traiter les commentaires laissés par des milliers de touristes ayant visité la Polynésie et en a extrait une vraie mine d'informations. Il compte mettre gratuitement ce travail à la disposition des Polynésiens.

Saviez-vous que pour nos touristes, la qualité de leurs repas est plus importante que d'avoir un spectacle ? C'est l'un des nombreux enseignements que le professeur des universités Christophe Benavent a tiré de son analyse automatique de 45 000 commentaires de touristes sur la plateforme TripAdvisor (il en a encore 25 000 à traiter avant de publier des résultats plus fiables et plus détaillés).

Mais il va encore bien plus loin, arrivant à convertir la masse de commentaires en une note estimée – plus fiable que le système à 5 étoiles utilisé par les sites – pour les hôtels, îles ou destinations locales. Il peut aussi analyser l'émotion que certaines choses ont créée chez les touristes. Par exemple, un grand hôtel de Tahiti choisi pour tester la technologie crée chez ses clients un sentiment de "confiance" et de "joie", mais n'évoque aucune "surprise" parmi ses visiteurs. Il parvient même à analyser automatiquement les sujets de conversation, arrivant à montrer par exemple que les visiteurs de Bora Bora parlent finalement assez peu de son lagon, ou encore que dans les grands hôtels, le plus important pour les touristes est, dans l'ordre, la qualité des repas, des chambres et enfin de la piscine…

Quand ce travail sera terminé, Christophe Benavent compte proposer gratuitement tous ses outils et analyses aux professionnels du secteur et aux pouvoirs publics. Si vous voulez vous amusez à essayer de comprendre comment tout cela fonctionne, vous pouvez visionner sa conférence "Savoirs pour tous" de jeudi dernier sur la page YouTube de l'UPF. Vous pourrez également télécharger gratuitement tous ses outils sur le site github.com/BenaventC dès qu'ils seront prêts (en attendant vous y trouverez déjà les outils qu'il a développé pour analyser les commentaires du Grand Débat national organisé par le président Macron, ou les commentaires laissés par les utilisateurs parisiens de AirBnB).


Parole à : Christophe Benavent

Professeur des universités à l'Université Paris Nanterre spécialisé en marketing. Il enseigne également à l'école doctorale de l'Université de la Polynésie française depuis deux ans.

Que faites-vous à Tahiti ?

Je suis venu il y a deux ans et cette année pour un cours de marketing digital au Master MCI, et avec quelques collègues nous avons décidé de développer ce projet qui est assez simple. Il consiste à étudier les commentaires de TripAdvisor, AirBnB et bientôt de Booking, et d'essayer de construire un baromètre du sentiment à l'égard des hôtels en Polynésie.

Avez-vous quelques premiers résultats à partager ?
Nous avons quelques résultats encore assez simples que je peux vous donner. Globalement le sentiment est très positif, mais sans enthousiasme. On peut se poser des questions sur les touristes en général, qui sont finalement assez matérialistes, très prosaïques sur les conditions matérielles des hôtels, mais peut-être pas aussi sensibles que l'on pourrait l'imaginer à l'expérience polynésienne.

Est-ce que les touristes qui visitent nos îles partagent beaucoup sur les réseaux sociaux ?
Alors je n'ai pas de benchmark spécifique pour la Polynésie, mais la réalité des réseaux sociaux en général c'est que 1 % des internautes vont créer des contenus numériques, donc des avis, 9 % environ vont les transmettre, et les derniers 90 % sont ceux que l'on qualifie de "lurkers", donc ils épient, ils surveillent, mais ne contribuent pas. Un des enjeux du projet est de mesurer à quel point ils sont tout de même influencés par ces commentaires. Mais si vous voulez un ordre de grandeur, s'il y a environ 200 000 touristes qui visitent la Polynésie chaque année, le total des commentaires sur Trip Advisor concernant la Polynésie est de 70 000 depuis une dizaine d'années.

Vous étudiez beaucoup les réseaux sociaux, que pensez-vous des fake news ?
Alors la fake news existe dans le domaine politique, beaucoup moins dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme. Ce qui est clair c'est que ceux qui sont l'objet des notes avaient, pendant une certaine période, tendance à se noter eux-mêmes et à écrire des commentaires. Mais on constate depuis deux ans que le nombre de commentaires sur TripAdvisor concernant la Polynésie a fortement chuté et une de mes hypothèses est que c'est certainement le résultat de la politique de TripAdvisor qui vise à éliminer les robots et les faux commentaires. L'ensemble des plateformes de ce type a renforcé leurs contrôles.

Dans les médias, certains sites qui ont supprimé les commentaires ont vu leurs audiences augmenter. Est-il finalement toujours positif d'avoir des commentaires ?
C'est l'enjeu. Quand les commentaires sont globalement positifs, ça fait du bien à tout le monde. Quand ils sont globalement négatifs, ça pose des problèmes… Mais là il y a une différence majeure entre le monde des médias et celui du tourisme. Dans le tourisme les commentaires sont positifs à 90 %, alors que dans les médias ils sont plutôt négatifs, et effectivement ça dégrade la qualité des journaux. C'est pour ça qu'il est devenu indispensable d'avoir des modérateurs pour éviter les dérapages, tant dans la presse que sur les sites de commerce.
Pourtant dans le commerce, il est capital de laisser les commentaires des utilisateurs. Sans commentaires, un produit ne se vendra pas. Les gens cherchent des signaux de qualité, et un des signaux de qualité les plus importants est le nombre de commentaires, beaucoup plus que les notes, comme je l'ai expliqué lors de la conférence. Les notes ont finalement peu d'influence, par contre un grand nombre de commentaires est une marque de qualité, j'ai donné un exemple très clair sur AirBnB tout à l'heure.

Comment les outils que vous avez présentés peuvent-ils être utilisés par les entreprises ?
A partir des contenus sociaux et de leur traitement, nous obtenons une nouvelle source d'informations en matière d'étude de marché. Ces commentaires sont en volume important et relativement accessibles. Il se pose maintenant des questions de méthode, comment on traite du texte et comment on le transforme en données utiles. Et c'est ma spécialité, je fais beaucoup de traitement automatique du langage naturel, ce qu'on appelle le TAL, ou en anglais le NLP. J'utilise aussi des outils issus du big data et du machine learning, même si finalement les outils de base sont assez simples puisqu'ils se basent sur des dictionnaires et le travail des linguistes.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 6 Mai 2019 à 10:56 | Lu 5875 fois