Un bateau cargo infesté par la Punaise diabolique


Le Carmen, un bateau de transport de voitures battant pavillon suédois, a été refoulé de la Nouvelle-Zélande et de Nouméa à cause d'une invasion de punaises. (crédit photo : Jasco/MarineTraffic.com)
PAPEETE, le 10 décembre 2018 - Un bateau cargo est passé à Tahiti livrer des voitures le mois dernier. Mais après avoir quitté Papeete, le bateau a été refoulé par la Nouvelle-Zélande puis par Nouméa : il est contaminé par la punaise diabolique, un insecte malodorant qui dévaste les récoltes...

Le bateau cargo Carmen est arrivé au port de Papeete le 19 novembre, une escale de routine pour débarquer des voitures destinées à divers concessionnaires locaux. Juste à temps pour assurer la livraison des ventes de fin d'années, qui s'annoncent excellentes.

Sauf que la fête a failli être gâchée par un passager clandestin particulièrement dégoûtant : la Punaise diabolique (voir encadré). Alors que le Carmen a été certifié sain par le service Phytosanitaire lors de son passage à Papeete, une semaine plus tard les autorités sanitaires néo-zélandaises ont détecté un début d'invasion par la punaise lors d'une inspection au large. Elles lui ont donc refusé d'accoster. Les autorités douanières néo-zélandaises ont expliqué avoir trouvé à bord trois punaises diaboliques vivantes (Brown marmorated stink bug, en anglais), 39 mortes, et 69 autres cadavres de punaises d'autres espèces.

Steve Gilbert, le directeur du service Border Clearance de l'administration Biosecurity New Zealand expliquait ainsi à la presse de Aotearoa que "l'inspection indique que le cargo était probablement infesté de punaises. Nous pensons également que le bateau lui-même était contaminé. Nous avions informé les industriels avant le début de la saison que nous serions intraitables avec les bateaux cargos semblant être infestés par la punaise. Il s'agit d'empêcher qu'une peste dangereuse n'ait une chance de s'installer en Nouvelle-Zélande."

Ce sont les concessionnaires polynésiens eux-mêmes qui nous ont alertés sur la situation quand ils ont reconnu le nom de leur cargo dans la presse internationale. Ils ont inspecté leurs véhicules livrés dès que l'alerte a été donnée, sans trouver aucune trace de la punaise. Mais si le bateau lui-même est contaminé, la punaise a très bien pu se glisser à quai...

Une hypothèse peut-être trop alarmiste. Le service phytosanitaire nous assure ainsi que le Carmen a été visité le 21 novembre au quai de Papeete par les inspecteurs phyto, sans trouver de trace de punaises ni dans le cargo destiné à la Polynésie, ni dans les lieux de vie du bateau. De plus, toutes les voitures débarquées ont été traitées avec du dichlorvos, un insecticide "très efficace contre les punaises". Le service émet l'hypothèse que les punaises étaient cachées dans le cargo destiné à la Nouvelle-Zélande.

LE BATEAU REFOULÉ DE NOUVELLE CALÉDONIE

Quant au reste des aventures du Carmen, elles ne sont pas joyeuses. Refusé à Auckland, le navire a donc fait route vers sa prochaine escale : Nouméa. La compagnie maritime a immédiatement alerté les autorités locales de la contamination, demandant à effectuer un traitement anti-punaise avant d'accoster. Peine perdue, comme le rapporte Les Nouvelles de Calédonie dans leur édition du 8 décembre : "Après investigation, la possibilité d’une décontamination complète du navire, un temps envisagée, vient d’être écartée du fait que ses résultats ne peuvent être totalement garantis en dépit des traitements insecticides envisagés" affirme le gouvernement calédonien cité par le journal. "C’est donc par 'principe de précaution' que Philippe Germain a interdit l’accès du navire en Calédonie. 'Le bateau est ainsi refoulé, tout comme il l’a été par la Nouvelle-Zélande précédemment'."

La compagnie maritime a demandé à pouvoir revenir en Polynésie effectuer le traitement, mais ça lui a été refusé également, notre petit pays n'ayant pas le matériel pour effectuer une décontamination de grande ampleur en plein océan...

Le navire est donc resté dix jours bloqué au large de Nouméa à attendre de trouver une solution à cette infestation, mais il est désormais en route vers l'Australie. Selon la chaîne de télévision Calédonie Première, le navire devrait y recevoir son traitement. Les Calédoniens qui se sont acheté une voiture pour Noël se préparent donc à une livraison très en retard, mais au moins le principe de précaution évitera de gâcher la fête pour tout le reste de la population.

UNE PUNAISE VRAIMENT DIABOLIQUE

La punaise diabolique et son repas de tomates (crédit photo : Journal of Integrated Pest Management, Volume 5, Issue 3, 1 September 2014)
Car la punaise diabolique, qui a reçu ce nom à cause de ses yeux rouges, est une vraie plaie. "Cette punaise a un impact assez important sur l’agriculture avec des pertes qui peuvent osciller entre 25 % et atteindre dans certains cas 70 %. Le problème c’est que cette punaise possède 300 plantes hôtes, donc 300 plantes différentes sur lesquelles elle peut vivre et se nourrir. Et elle a un impact assez important sur l’agriculture, notamment par les piqûres sur les fruits et les légumes" explique Frédéric Gimat, chef du SIVAP, le service de l’inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire de Nouvelle Calédonie, à Calédonie Première. Imaginez le retour de la Mouche des fruits, mais en pire.

Mais pour la population générale, sa présence ne resterait pas non plus inaperçue : la punaise diabolique empeste ! En Europe et en Amérique, qu'elle envahit rapidement depuis une dizaine d'années, elle se réfugie par centaines dans les maisons à l'arrivée de l'hiver pour fuir le froid. Si elle arrivait en Polynésie, elle ne devrait pas montrer ce comportement... Par contre en climat tropical elle peut se reproduire quatre fois par an, promettant une invasion rapide. Pire que le Grinch pour gâcher Noël !

Halyomorpha halys : la Punaise diabolique

La punaise diabolique et ses yeux rouges (crédit photo : US Department of Agriculture)
La Punaise diabolique, aussi nommée Punaise marbrée ou Halyomorpha halys, est originaire de l'Asie de l'Est, où elle est pourchassée par toute une ribambelle de prédateurs allant de micro-guêpes parasites à des escargots carnivores. Mais quand elle est arrivée en Europe et en Amérique, elle s'est retrouvée avec le champ libre pour croître et se multiplier. En climat tempéré elle peut se reproduire deux fois par an, avant d'aller hiberner dans les habitations (ce qui la rend très impopulaire). En climat tropical, elle se reproduit quatre fois par an et envahit les champs rapidement, provoquant d'énormes dégâts.

Elle ne présente aucun danger pour l'homme, bien que son odeur soit très désagréable comme la plupart des punaises. Par contre elle se nourrit en suçant la sève des plantes et des fruits. Les fruits et légumes piqués peuvent avorter avant maturité ou être trop abîmés pour la vente, une catastrophe pour les agriculteurs. En plus de ça, la gourmande a des goûts éclectiques : elle s'attaque à des centaines d'espèces différentes !

Les pays européens, dont la France, tout comme les États-Unis et le Japon, sont en pleine invasion de punaises diaboliques. Pour éviter d'être les prochains sur la liste et perdre des milliards de dollars de revenus agricoles, les autorités néo-zélandaises et australiennes ont instauré une période de vigilance particulière pour tous les bateaux arrivant de ces destinations entre septembre et avril (quand les punaises quittent les champs pour hiberner dans les conteneurs, voitures, maisons, etc). Tout bateau en provenance de ces pays est inspecté au large, et les cargos à haut risque (comme les voitures) doivent être traités au départ ou à l'arrivée. Les autorités recommandent un traitement au bromure de méthyle (illégal en Europe) ou au fluorure de sulfuryle... Un produit chimique qui peut endommager les habitacles des voitures et est illégal en Nouvelle-Zélande.

Bref, pour le Carmen, le transporteur n'avait aucune bonne solution de traitement en Europe. Et le bateau s'est retrouvé interdit d'entrée dans les eaux néo-zélandaises ou australiennes pour un traitement au bromure de méthyle, conformément à leur réglementation... C'est ce qui explique la situation intenable du Carmen, coincé au large de Nouméa pendant deux semaines. L'Australie devrait finalement l'autoriser à entrer dans ses eaux pour recevoir un traitement selon Calédonie Première.

"Going to a land down under"

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 10 Décembre 2018 à 17:14 | Lu 12841 fois