Un an ferme et cinq ans d'inéligibilité requis contre Cyril Tetuanui


Tahiti, le 30 janvier 2024 – Dans le cadre de l'affaire de détournement de fonds et d'escroquerie portant sur des contrats de bétonnage passés entre Tumara'a et des entreprises de Raiatea, trois ans de prison dont deux avec sursis ont été requis mardi contre le maire de la commune, Cyril Tetuanui. Cinq ans d'inéligibilité ainsi qu'une interdiction définitive d'exercer une fonction publique ont également été demandés contre le tāvana qui s'est “défaussé” à la barre en chargeant certains agents communaux. Décision le 13 février.
 
“Être maire, c'est faire confiance” et si l'on en croit le maire de Tumara'a, Cyril Tetuanui, il s'agit même d'une confiance aveugle. Le procès pour escroquerie, détournement de fonds publics et faux et usage de faux de l'élu, qui est également président du Syndicat pour la promotion des communes (SPC-PF), s'est ouvert mardi matin devant le tribunal correctionnel. Pour comprendre l'origine de cette affaire, qui avait été mise au jour suite à un rapport de la Chambre territoriale des comptes (CTC) publié en 2020, il faut remonter à 2011. Cette année-là, la commune avait signé une convention avec le Pays portant sur le bétonnage de 13 servitudes pour un montant total de 46 millions de francs dont 80% pris en charge par la Polynésie, soit 36 millions de francs. 
 
Quatre ans plus tard, le maire avait signé un constat selon lequel les travaux étaient terminés alors même que seules six des treize servitudes étaient bétonnées. Dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte par le parquet, les gendarmes de la section de recherches de Papeete avaient alors établi l'existence d'un “différentiel important” : un “trop-perçu” de 16 millions issus d'une subvention perçue sur la base de fausses factures et de faux bons de commande. 
 
“Confiance” et “contrôle”
 
Jugé pour cette affaire mais également pour des faits de harcèlement et pour avoir utilisé le bateau de la commune à des fins personnelles (voir encadrés), l'époux de la sénatrice Lana Tetuanui a expliqué au début de son procès, mardi matin, que c'était la “deuxième fois” qu'il se retrouvait devant la justice à cause de son directeur technique. “C'est le service technique qui suivait ces travaux car j'occupe aussi d'autres fonctions”, a-t-il assuré avant d'indiquer qu'il se déplaçait souvent et qu'il n'était “pratiquement pas toujours” présent à Tumara'a. Interrogé sur la raison pour laquelle il avait signé le constat de réalisation de travaux alors que toutes les servitudes n'étaient pas bétonnées, l'élu – jugé en état de récidive légale – a affirmé qu'il avait signé sans lire. “Je n'ai pas regardé en détail le document dans le parapheur car j'ai fait confiance à mes techniciens.” Réponse du président : “La confiance n'exclut pas le contrôle.” 
 
Comme il l'avait déjà fait durant sa garde à vue, Cyril Tetuanui a ensuite assuré qu'il avait appris ce “petit problème” (le fait que les servitudes n'étaient pas toutes bétonnées, NDLR) peu avant que la CTC ne publie son rapport, soit cinq ans après qu'il a signé le document attestant de la fin des travaux. “Si l'on est devant vous aujourd'hui, c'est que le directeur technique n'a pas été bon”, a-t-il poursuivi avant que le président du tribunal ne l'interroge sur ses responsabilités. “C'est étonnant Monsieur, plus l'on monte dans l'échelle des responsabilités et moins on s'intéresse à ce qui se passe en bas. Finalement, nous n'avez aucune responsabilité.” Cyril Tetuanui n'en démord pas, son seul tort est d'avoir fait “confiance” à des gens qui n'ont pas “bien fait leur travail”. Également poursuivis pour recel dans le cadre de cette affaire, les gérants de deux sociétés de BTP sont ensuite venus expliquer à la barre qu'ils estimaient n'avoir commis aucune faute en émettant des factures et des bons de commande pour le compte de la mairie. 
 
“Stratégie” pour garder la subvention 
 
Entendu à son tour, le directeur technique de l'époque – qui a depuis été affecté à l'accompagnement dans les transports scolaires après avoir été jardinier au CJA – a reconnu qu'il avait eu l'idée d'une “stratégie” pour ne pas perdre la subvention. “L'échéance allait bientôt arriver et il fallait trouver un moyen pour garder cette convention coûte que coûte même si les travaux n'étaient pas terminés. L'idée était de continuer les travaux après à notre rythme.” Face à ces déclarations, Cyril Tetuanui a de nouveau affirmé qu'il avait signé le constat de fin des travaux en ignorant tout de leur réalisation. “À quoi sert d'être maire finalement si l'on ne s'occupe de rien ?”, lui a fait remarquer le président du tribunal. “On fait confiance”, lui a de nouveau opposé le tāvana. 
 
Concédant qu'il y avait, “certes”, eu un “manque de contrôle du Pays”, l'avocat de la Polynésie française, Me Gilles Jourdainne, a cependant assuré lors de sa plaidoirie qu'il y avait surtout, dans ce dossier, un “élu de la République” qui a “attesté que les choses avaient été bien faites”. “Nous ne savons pas à qui a été affecté le trop-perçu et venir nous dire aujourd'hui que personne ne s'en est rendu compte, cela me laisse sans voix. Lorsque l'on empoche l'argent public, il y a un problème d'intégrité !” 
 
Suivi “catastrophique”
 
Cyril Tetuanui atteint d'une “cécité” durant un “moment important de signature” ? Explication trop légère pour le procureur de la République qui a expliqué au prévenu qu'en qualité de “premier magistrat de la commune”, il aurait dû “vérifier” au lieu de se “défausser sur son directeur technique”. Après avoir affirmé que le maire de Tumara'a ne pouvait “décemment” avancer cette version, le représentant du ministère public a requis contre ce dernier trois ans de prison dont deux avec sursis, la révocation d'un an de sursis prononcé lors d'une précédente condamnation, cinq ans d'inéligibilité assortis de l'exécution provisoire et l'interdiction définitive d'exercer une fonction publique.
 
Des réquisitions “effarantes” pour l'avocat de Cyril Tetuanui, Me Robin Quinquis, selon lequel le dossier se limite à “peu de choses” concernant son client alors même que la majeure partie des faits serait par ailleurs prescrite. “Le suivi fait par les services de la commune et de la Polynésie était catastrophique et le suivi, ce n'était pas son travail. Il est maire et non directeur et il n'y a aucun enrichissement personnel dans ce dossier !” Le tribunal rendra sa décision le 13 février. Rappelons par ailleurs que Cyril Tetuanui bénéficie de la protection fonctionnelle dans le cadre de ces procédures.

Quand le directeur technique devient jardinier...

Cyril Tetuanui était également jugé mardi suite à des accusations de harcèlement formulées par son directeur technique qui est venu expliquer au tribunal qu'après avoir été placé en garde à vue dans le cadre de l'affaire des servitudes, il avait été mis au placard. L'homme, qui “pilotait” jusque-là “les projets techniques de la commune” s'était en effet retrouvé à “mettre de la terre dans des pots” au CJA avant de se voir assigné à l'accompagnement dans les transports scolaires. Une mise à l'écart assumée par Cyril Tetuanui qui l'a justifiée en expliquant qu'il n'avait plus “confiance” en lui. Six mois de prison avec sursis et cinq ans d'inéligibilité ont été requis contre le tāvana dans cette deuxième affaire. 
 
Alors qu'il était également jugé pour une troisième affaire relative au fait que le bateau de la mairie avait été utilisé pour des mariages et pour faire la “bringue” alors que le navire était destiné à des missions d'assistance et de secours, Cyril Tetuanui a reconnu les faits. Il a cependant expliqué qu'en cas de besoin, le bateau aurait immédiatement été mis à disposition. Cinq ans d'interdiction d'exercer une fonction publique et cinq ans d'inéligibilité ont finalement été requis à son encontre. 
 
Dans ces deux affaires, la décision sera également rendue le 13 février.
 
 
 
 

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 30 Janvier 2024 à 17:05 | Lu 5890 fois