Tāura



Je me souviens encore de cet été où je me suis perdue dans la noirceur de mes pensées.
À cette époque-là, je ne pensais pas pouvoir m’en sortir tant mon esprit était submergé par les maux interdits. Et puis, je t’ai vu. Ce fut une rencontre fortuite, un regard au coin d’un feuillage, comme un mirage que seuls les plus fous peuvent raconter. Je t’ai vu dans cet espace reculé comme un messager venu à moi, me délivrer des sons inaudibles dans un espace atemporel. J’ai cru voir et puis, je me suis enfuie.

J’ai mis plusieurs jours à te retrouver, j’ai mis plusieurs jours à me décider. Notre rencontre, c’était comme un rêve un peu flou où la clarté des images nous fait plisser les yeux, où les odeurs ne sont désormais plus qu’un lointain souvenir et les bruits un cliquetis qui, sans discontinuer, se perdent dans le néant de l’esprit.

Notre second contact, ce fut un moment où l’astre rougeoyant brillait à l’est, lorsque le vent n’est encore qu’un simple murmure dans les vallées. Comme à mon habitude, je me suis baladée à travers les fourrées, sans quête précise ni savoir où aller. J’aimais seulement gravir les monts au creux du sol froid, plonger mes pieds dans les feuilles séchées et sentir le vert des feuilles humides. Je marchais au gré de mes pensées divagantes qui venaient choir sur les troncs mousseux des māpē lorsque j’entendis un tic presque imperceptible. C’était un son que j’avais déjà entendu auparavant, un « tic » comme rien d’autre ne peut réaliser. Je me suis alors rapprochée du pied de l’arbre, une évidence insensée car la forêt s’étendait jusqu’au fond de la vallée et la résonance du lieu pouvait porter à confusion. Je me suis toutefois penchée vers ces quelques branches écrasées et puis je t’ai vu.

Je pensais depuis tout ce temps que c’était moi qui devais t’apprivoiser. À vrai dire, c’était l’inverse. Depuis toujours tu as su parler à mes sentiments, tu as apaisé mes douleurs, tu m’as fait voir ce que j’ai refusé d’admettre. Et ce jour-là, enfin, j’ai pu entendre les échos de mon être, enlevant enfin ce rideau noir malhonnête qui obstrue et miroite les idées maladroites. J’ai compris tes messages dans ton silence, j’ai entendu ma détresse dans ma perte.

Je ne pensais pas te trouver ainsi, comprendre qui tu étais. Au final, tu étais là depuis les premiers jours de ma vie, à m’observer, à gravir les murs, les monts et les marées, là, toujours à mes côtés. Nos regards s’étaient déjà croisés, nous avions déjà discuté en des temps reculés dans le mutisme des longues nuits. Nous dansions déjà près des courants apaisés par les pluies diluviennes naguère tapageuses et mortelles. Ta fragilité m’a inspirée le respect, ta petitesse l’attention, ta lenteur la patience, ta beauté l’harmonie et ton silence une arme de prédiction.

Je t’ai rencontré il y a des années déjà, mon tāura.

Mon tāura est un gastéropode. Fragile et précieux.
Mon tāura m’a guidé vers ma voie,
Mon tāura m’a sauvé mille et une fois,
Mon tāura a depuis toujours, vogué auprès de moi.

Cassandre Karnage