Trois duels Tapura-Tavini


Tahiti, le 6 juin 2022 – Trois duels Tapura contre Tavini animeront le second tour de ces élections législatives en Polynésie française : Nicole Bouteau face à Tematai Le Gayic dans la première circonscription, Tepuaraurii Teriitahi face à Steeve Chailloux dans la deuxième et Tuterai Tumahai face à Moetai Brotherson dans la troisième. Des résultats qui se traduisent par une légère perte de vitesse du Tapura, une forte percée du Tavini, un redoutable essoufflement du Amuitahira'a et une belle entrée en matière du A Here ia Porinetia.
 
Premier verdict des urnes après plusieurs semaines de campagne des élections législatives en Polynésie française : À la profusion -parfois brouillonne- des candidatures au premier tour va succéder un duel -des plus clairs- opposant les trois candidats du Tapura huiraatira à ceux du Tavini huiraatira. Le "retour" d'une opposition "autonomie ou indépendance" a voulu résumer dimanche le président du Pays et leader du parti majoritaire. Une analyse volontairement superficielle qui arrangerait bien Édouard Fritch, mais la réalité est beaucoup plus complexe.
 
Le Tapura majoritaire mais en ballotage
 
Grand vainqueur avec une large et absolue majorité : l'abstention s'est une nouvelle fois invitée dans ce scrutin. Quasi-équivalente en proportion au record de 2017, elle le dépasse même de plus de 1 000 voix en valeur absolue des 57,8% des électeurs à avoir boudé les urnes ce week-end (voir encadré). Reste que ce chiffre très stable de la participation entre deux élections permet une comparaison quasi-parfaite de l'évolution du poids des partis politiques en cinq années. Comparaison ô combien nécessaire pour comprendre ce scrutin.
 
On l'oublierait presque, tant le parti rouge et blanc n'est jugé par ses adversaires que sur sa seule perte de vitesse, le Tapura huiraatira reste le parti majoritaire après ce premier tour des élections législatives. Nicole Bouteau (41,9%) signe la meilleure performance sur la première circonscription, Tepuaraurii Teriitahi (33,2%) devance le candidat du Tavini de plus de 1 000 voix sur la deuxième et seul Tuterai Tumahai termine 600 voix derrière le député indépendantiste sortant sur la troisième. Sur l'ensemble de ce premier tour, le Tapura s'octroie 30 958 voix (36,1%), devant le Tavini et ses 23 469 voix (27,4%). Deux bémols cependant : une dynamique en baisse avec 1 950 voix de moins qu'en 2017 et une domination plus faible que les 39% atteints au premier tour en 2017.
 
Le parti majoritaire reste particulièrement bien implanté et représenté par ses tāvana dans les îles éloignées. Sur l'ensemble des archipels des Tuamotu, Gambier, Marquises et Australes, il arrive en tête dans 23 des 28 communes. Seuls Makemo -fief de Félix Tokoragi-, Rapa -bastion de Gaston Flosse-, Raivavae -acquise au Tavini-, Puka Puka et Tatakoto -où Tauhiti Nena truste plus de 70% des voix- échappent au Tapura. Même aux îles Sous-le-Vent, Tuterai Tumahai perd quelques communes mais réalise au total un score largement dominateur avec 39% des voix. À Tahiti, c'est plus compliqué. Le Tapura perd à Mahina, à Papara, à Taiarapu-Ouest et à Faa'a. Mais il échoue aussi dans les deux fiefs de ses candidats à Paea et à Punaauia.
 
La percée du Tavini
 
S'il retrouve son statut de deuxième parti politique local, le Tavini signe surtout la principale performance de ce premier tour en qualifiant ses trois candidats au second tour des législatives. Le jeune et novice en politique Tematai Le Gayic a certes moins de la moitié des voix de Nicole Bouteau (6 224 contre 12 970), mais il devance Pascale Haiti derrière qui planait évidemment l'ombre de Gaston Flosse, Félix Tokoragi l'un des ténors du A Here ia Porinetia ou encore Tauhiti Nena qu'il laisse même littéralement KO sur Papeete. Dans la deuxième circonscription, le presque aussi néophyte Steeve Chailloux se hisse à quelques 1 354 voix derrière la candidate du Tapura. Mais surtout il termine à 3 000 voix devant la députée sortante Nicole Sanquer et à plus de 4 000 voix d'avance sur le candidat de Gaston Flosse. Enfin, Moetai Brotherson, député sortant et candidat plus expérimenté, termine sans véritable surprise en tête du premier tour avec 34,3% des suffrages. Au total, le Tavini gagne près de 5 800 voix en cinq ans. Un énorme bond en avant.
 
Surtout, les trois candidats du Tavini semblent disposer d'un avantage qui comptera dans deux semaines lors du second tour : un potentiel de report de voix beaucoup plus important que celles du Tapura. En effet, si seuls Tauhiti Nena et Jacky Bryant ont déjà annoncé qu'ils n'appelleraient pas à voter Tapura au second tour, on imagine mal Gaston Flosse ne pas saisir cette chance de jouer un mauvais tour à son meilleur ennemi Edouard Fritch en faisant activement campagne contre le Tapura. C'est d'ailleurs toute l'origine startégique de son revirement idéologique indépendantiste de ces dernières années, même si l'ancien président s'imaginait certainement devant Oscar Temaru pour jouer la carte de l'union sacrée anti-Tapura en position de force. "Oscar Temaru a récupéré une grande partie des voix du Tahoera'a huiraatira", a d'ailleurs raillé Edouard Fritch dimanche, estimant que la stratégie du Vieux Lion s'était retournée contre lui. Enfin, le A Here ia Porinetia ne s'est pas encore prononcé. Mais avec une campagne et une ligne politique fermement anti-Tapura, on voit mal Nicole Sanquer appeler à un soutien indéfectible en faveur de son ancien parti face au Tavini.
 
En conséquence, s'il faut toujours se méfier des additions de voix en politique, force est de constater que Steeve Chailloux et Moetai Brotherson ont théoriquement bien plus de marge de progression que leurs adversaires. Pour Tematai Le Gayic, le retard à combler est si vaste que l'opération sera nettement plus compliquée. Principale arme du Tapura pour riposter : mobiliser ses électeurs et aller chercher ceux du parti rouge et blanc qui ont tourné le dos aux urnes.
 
A Here surgit, le Amuitahira'a s'essouffle
 
Enfin dernier enseignement politique de ce premier tour, la belle performance du jeune A Here ia Porinetia de Nicole Sanquer, Nuihau Laurey et Felix Tokoragi. Le parti vert et blanc termine à une centaine de voix derrière le Amuitahira'a de Gaston Flosse, à l'inverse en nette perte de vitesse. Le parti orange semble bien s'essouffler cette fois-ci et perd 10 000 voix par rapport à 2017… L'alternative A Here a gagné en crédibilité, en s'offrant même une victoire sans appel à Mahina sur le fief de sa présidente. Et surtout, en s'octroyant un score (13,6%) lui permettant de lorgner le second tour des territoriales l'an prochain.
 
Tauhiti Nena de son côté n'y arrive toujours pas et sa nouvelle formation est en recul de 1 000 voix en comparaison d'il y a cinq ans. Heiura-Les Verts progresse, mais surtout porté par les bons résultats de son leader, aujourd'hui mieux ancré sur la scène communale à Arue. Peu d'enseignements à tirer en revanche des résultats des "petits" candidats. Si ce n'est qu'élections après élections, et malgré la forte abstention qui caractérise désormais la plupart des scrutins, les poids lourds restent les seules valeurs sûre en politique au fenua.
 
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 6 Juin 2022 à 20:36 | Lu 2147 fois