Trésors archivistiques : Musique pa’umotu des années 30


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PAPEETE, le 14 Mars 201: On n'en parle presque jamais, mais la Polynésie possède quelques rares enregistrements de musique traditionnelle Pa’umotu enregistrés dans les années 30. A une certaine époque,L’institut de la Communication Audiovisuelle avait, dans sa caverne aux trésors, quelques unes de ces œuvres qui se trouvent aujourd'hui dans les locaux du Service des Archives du Territoire.

Entre 1929 et 1934, le Bernice P. Bishop Museum (muséum d'histoire naturelle et culturelle de l'État d'Hawaï) organise une mission expéditionnaire dans le but d’étudier la musique et les chants polynésiens. A l’issue de la mission, quelques 600 textes sont collectés. De plus, 350 chansons sont enregistrées. Le service des Archives du Pays a, en sa possession, quelques unes de ces œuvres uniques. Plus de 80 années plus tard, des chants des atolls de Vahitahi, Napuka, Reao et Fangatau ont pu être restaurés et archivés. Mais comment sont-ils arrivés jusque sur les hauteurs de Pape’ete, c’est-à-dire dans les locaux de l’établissement ? Là encore, il faut remonter dans le temps.

Une expédition pluridisciplinaire

La première expédition du Bishop Museum (1929-1931) était composée de Kenneth Emory, anthropologue, Clifford Gessler, journaliste et Franck Stimson, linguiste, qui plus tard a publié des traductions de certaines chansons. De cette première mission est née l’ouvrage intitulé « Native Music of the Tuamotus » de E.G. Burrows qui analyse les résultats de cette collecte. A cette époque, les enregistrements s’effectuaient sur des « Dictaphone » à cylindre de cire. On imagine sans peine les difficultés d’une telle entreprise, la patience de ces chercheurs qui recueillirent et notèrent ces musiques en parcourant les îles les plus reculées.

Dans son livre, E.G Burrows explique aussi la méthodologie de tout ce travail. De nombreux chants ont été transcrits avec une notation musicale européenne et une transcription réalisée à l’oreille, avec l’aide d’un diapason et d’un métronome. Les informations d’ordre ethnographiques liées à l’étude de ces chants provenaient des notes de terrain et des commentaires de Kenneth Emory et des traductions et notes de Franck Stimson. Les éléments cités figurent d’ailleurs dans le bulletin numéro 119, sorti en 1933.

Les enregistrements détenus par le Service de la Culture et conservés par l’ICA depuis 2003 (et numérisés jusqu’en 2007) puis transmis depuis peu au Service des Archives Territoriales, proviennent d’une seconde série d’enregistrements réalisés jusqu’en 1934 par Emory et Stimson à Papeete, Napuka, Vahitahi, Mangareva, Tatakoto, Fangatau et Reao.

Certains chants sont déjà empreints de l’influence chrétienne et d’harmonies occidentales tandis que d’autres paraissent surgir des tréfonds de ces femmes et ces hommes du bout du monde. Comme les « anau », ces lamentations, ou incantations, entêtante récitation davantage parlée que chantée sur un ton monotone, dans laquelle on ressent la puissance d’un monde aujourd’hui presque englouti. Généalogies, prières, légendes, on raconte les aventures de Tahaki, les exploits de ‘Oro et les pleurs de Hina après la mort de son époux Tiki.

Mais il y a aussi des chants d’amour (teki, mereu, tirau), de travail – pour se donner du courage -, de combat (hurihuri vaka, haka,kihau) – pour affirmer sa force, de danse (putu, nihinihi, tirivara). Autant de structures mélodiques, de tonalités, de vocalises, de rythmes et de tempos qui ont été, lors de cette mission, répertoriés, classés, analysés… Il s’agit du seul travail de collecte de chansons qui ait été effectué dans les Tuamotu et a permis de léguer une partie de la mémoire musicale de cet archipel.

Malheureusement, le grand public ne peut pas, à ce jour, avoir accès à ces œuvres pour des raisons de droit : le copyright appartient au Bernice P. Bishop Museum (90 ans à partir de la date d’enregistrement). Cependant, grâce à l'intervention d'Eric Conte, le président de l'Université, les habitants de Napuka ont eu l’opportunité de voir des photos prises par Kenneth Emory lors de sa dernière mission en 1934. Des œuvres uniques et précieux qui nous rappellent aussi ô combien la culture des archipels éloignés est riche.

TP

Rédigé par TP le Vendredi 14 Mars 2014 à 15:49 | Lu 2268 fois