Transport scolaire : des élèves dénoncent l'insécurité à bord des bus


Beaucoup d'élèves prennent le transport scolaire. La plupart se lève tôt pour ne pas rater le bus.
TAUTIRA, le 21/08/2017 - Ils se lèvent de bonne heure pour attendre leur bus scolaire en bord de route. Beaucoup d'élèves veulent monter au créneau pour dénoncer les conditions "difficiles" auxquelles ils font face. Sur le secteur Taravao – Tautira le problème durerait depuis deux ans. Bus surchargés, portes ouvertes pendant le trajet… Ils témoignent pour Tahiti Infos.

Il est 5h30 du matin à Tautira, non loin de l'école maternelle, les collégiens et lycéens se retrouvent pour attendre le bus scolaire qui les emmènera sur Taravao.

Si certains racontent encore les événements du week-end, d'autres semblent inquiets. C'est le cas de Arii et Jason, deux lycéens scolarisés à Taravao. "Le problème est qu'il n'y a pas assez de places dans le bus. Des fois, on se retrouve à trois,  voire à quatre sur un siège, en plus de ceux qui sont debout. Souvent, je descends du bus parce qu'il est trop chargé", explique Arii, élève en 1ère L.

D'après ces jeunes, cela fait deux ans que ça dure. "Je veux qu'on nous donne un peu plus de bus pour que la sécurité des élèves soit assurée. C'est sûr que si les élèves sont debout ou entassés, il n'y a pas de sécurité. C'est gênant et à la longue, cela devient lassant", poursuit Jason, élève en classe de Terminale S.

D'ailleurs, vendredi dernier, Jason a publié son ras-le-bol sur les réseaux sociaux, afin "de sensibiliser le gouvernement". Et il a eu raison puisque l'élue Gilda Vaiho s'est déplacée pour constater ce qui se passait réellement. Une expérience qui ne l'a pas laissée indifférente. "C'est scandaleux !" s'écrie l'élue de l'assemblée de la Polynésie française. "J'ai pris le bus avec eux ce lundi matin, j'ai vu les conditions dans lesquelles ils sont transportés. Ce n'est pas la faute du chauffeur, je pense qu'il veut faire de son mieux pour que les enfants arrivent à l'heure. Le problème est que tout le monde est entassé. Il n'y a pas de places et ils sont debout. Certains demandent de mettre d'autres élèves sur eux. Tous les bus sont des bus à 48 places et les bus de ce matin [hier, NDLR], transportaient 60 à 78 élèves. Comment voulez-vous offrir des conditions satisfaisantes aux élèves pour qu'ils puissent réussir, si déjà la question du transport n'est pas réglée ? Ce n'est pas une question de convention qui va régler ce problème. Non, c'est une prise de conscience et une attitude que l'on doit donner aux élus, mais aussi aux responsables de bus", rajoute Gilda Vaiho.

Quelques minutes plus tard, d'autres jeunes attendent le second bus. Parmi eux, on retrouve Terii, élève en classe de Terminale au Lycée de Taravao et habitant du "Fenua 'aihere". "Je me lève tous les matins à 5 heures, et je viens attendre le bus pendant au moins une heure. Mais parfois, il arrive vers 6h30. Si le bus ramasse d'abord ceux de Pueu, tous ceux de Tautira restent debout. C'est fatiguant. S'il n'y a plus de places, eh bien, on rentre à la maison. Et quand j'arrive à la maison, mes parents me demandent ce que je fais là, et je leur explique. Parfois, ils ne me croient pas. J'ai même failli perdre ma place au lycée cette année, à cause de mes absences l'an dernier."

Des parents se sont également déplacés pour accompagner leurs enfants, et le discours est le même. "En fin d'année dernière, j'avais fait un relevé sur trois semaines, et ça a été trois semaines en surcharge permanente. La semaine dernière, j'ai remarqué que les bus étaient encore en surcharge", raconte Eric, 56 ans, papa d'une fille de 11 ans qui fréquente le collège de Taravao.

"J'ai vu aussi d'autres élèves qui sont descendus. Que devons-nous faire ? Il ne faut pas aller à l'école alors ? Ce sont des élèves dont les parents n'ont pas de moyens de locomotion", rajoute Lavaina Teuira, maman d'une lycéenne de 15 ans. "La semaine dernière, ma fille est rentrée avec deux autres filles pour que je les emmène à l'école. Je trouve que c'est inadmissible. Je travaille dans l'Éducation et je sais que les transporteurs sont payés pour ça. Ils ont une subvention pour ramasser les élèves, et on se retrouve après à amener nos enfants à l'école. Où est passé cet argent ?" s'interroge la mère de famille.

À ce moment-là, arrive le second bus. Chargé bien évidemment ce qui oblige les enfants de Tautira à rester debout. Mais quelques instants plus tard, deux jeunes filles descendent. "C'est la première fois que je descends comme ça, mais je n'avais pas envie de rester debout. Tous ceux de Tautira, étaient debout et serrés. Là, je vais demander à mon papa de nous déposer", déclare l'une d'elles.

Un contexte que connait bien Bella-Loris Pifao, 22 ans. "À mon époque aussi, c'était la même chose." Ce lundi matin, la jeune femme accompagnait ses frères "qui vont au collège du Sacré-Cœur". "Je vois qu'ils sont serrés mais qu'ils n'ont pas trop le choix que de monter à bord, sinon ils vont rater leur école. Ça suffit, il y en a marre."

De son côté, le gérant de la société de transport NTCE, Willy Chung Sao, assure que tout reviendra à la normale cette semaine.
"Il faut nous laisser le temps de nous organiser parce que nous n'avons pas encore les effectifs définitifs. L'Éducation ne nous a pas encore remis les tableaux définitifs parce que ce n'est pas encore possible."

Et à la question de la sécurité, Willy Chung Sao est clair :  les chauffeurs ont des consignes à respecter.

"Je leur ai dit qu'il ne fallait pas qu'il y ait de surcharge. Ils sont responsables du véhicule, ils doivent respecter le code de la route, et s'il y a encore des élèves en bord de route, il faut faire un autre voyage. Et nous nous réorganiserons le lendemain pour mettre les véhicules qu'il faut. Pour le moment, nous avons assez de véhicules, il n'y a pas de soucis."

"Je voudrais dire aux parents que nous mettrons les moyens qu'il faudra dès qu'on aura les effectifs définitifs", conclut le gérant de la société de transport NTCE.

Et justement, ce matin, les élus de l'assemblée se réuniront pour débattre du collectif budgétaire. Parmi les enveloppes qui seront attribuées, on retrouve 800 millions de francs pour l'acquisition de nouveaux bus. Et pour Willy Chung Sao, le plus urgent est de régler les problèmes de transport, mais aussi de connaître la décision du Pays concernant le lancement de l'appel d'offres du ramassage scolaire sur Tahiti et Moorea. L'actuelle convention avec les sociétés de transport en commun arrive à échéance à la fin de l'année. Et là, un autre problème se profilera à l'horizon pour les familles, si rien n'est fait.

Actuellement, sur le secteur Taravao – Tautira, on compte une vingtaine de bus. L'an dernier, les trois sociétés (NTCE, RTU et TCCO) transportaient 20 000 élèves de Tahiti et Moorea.

Willy Chung Sao
Gérant de la société NTCE

"Nous mettrons les moyens"


"La convention entre notre société et le Pays est arrivée à terme en 2016. Le pays devait lancer l'appel d'offres, mais il ne l'a pas fait. Donc, ils ont prorogé d'un an et ça fini à la fin de l'année.

Nous sommes trois sociétés : RTU pour la zone urbaine, TCCO pour la zone Ouest et NTCE pour la côte Est de Arue à Tautira. Nous avions déjà acheté les bus par rapport à la convention de 2001. Au bout de 15 ans de convention, rien n'a changé. Je veux bien réinvestir sur d'autres bus, sauf que le Pays ne lance pas l'appel d'offres. Comment pourrais-je trouver un financement, alors que je n'ai qu'un an de contrat ? C'est comme si je vais faire un prêt à la banque et le banquier va me dire tu veux investir dans des bus alors qu'il ne te reste qu'un an de contrat, et que tu vas me rembourser sur cinq ans ? Il y a un problème. Donc, voilà le souci que l'on a. L'année dernière, j'ai déposé un financement de dix bus. J'ai le financement, mais j'attends la défiscalisation locale.
Les parents de la Presqu'île me connaissent, ils savent comment je gère le transport. Une fois que nous aurons les effectifs fixes, on s'organisera pour ça. On mettra le nombre de bus et de places qu'il faut pour transporter les enfants. Nous mettrons les moyens, sauf qu'aujourd'hui, on ne sait pas trop combien d'enfants vont au collège de Taravao, au lycée…
"



Marc Frébault
Président de l'Association des parents d'élèves du Sacré-Cœur de Taravao

"Il n'y a pas assez de chauffeurs"


"Le problème est récurrent, et à chaque rentrée scolaire, nous avons des soucis dans le transport pour plusieurs raisons. La première, c'est que beaucoup d'enfants se sont inscrits en retard pour le transport. Du coup, le transporteur n'a pas encore le communiqué du nombre exact d'enfants à transporter par secteur. La deuxième raison, c'est que nous n'avons pas assez de lignes. Du coup, les chauffeurs sont obligés de faire une double rotation. Ce qui fait que les rotations commencent très tôt pour les enfants qui viennent de Mataiea, Hitiaa, Tautira et Teahupoo, qui commencent vers 5 heures du matin. Et les mêmes chauffeurs sont obligés de refaire une seconde ligne, ce qui fait que certains élèves arrivent à 7h25-7h30. Et on ne peut plus admettre cela. Il faudrait que l'on trouve une solution avec le transporteur et la direction pour qu'on puisse améliorer le service.

C'est au transporteur de régler son problème, et non, à nous les parents à subir chaque matin, des retards. J'ai vu encore ce matin des parents qui viennent de Teahupoo ou de Tautira. Ils ont été obligés de se débrouiller pour trouver un moyen de locomotion pour que leurs enfants arrivent à l'école, c'est inadmissible.
"



Eric Pedupebe, 56 ans
Père d'une collégienne de 11 ans

"Je suis en colère"


"Nous avons rencontré la principale qui a fait des courriers pour les enfants laissés sur le bas-côté parce que le bus était plein. Et ça a commencé déjà l'année dernière, c'est un truc habituel. Je suis en colère parce que le Territoire dépense quand même beaucoup d'argent pour le transport scolaire.
Je demande à ce qu'on mette plus de bus à la disposition de nos enfants, qu'ils aillent tranquillement à l'école. Si on avait plus de bus, nos enfants dormiraient plus longtemps, parce que l'on met une demi-heure entre Tautira et Taravao. Lorsque nos enfants arrivent devant le collège, eh bien, le portail n'est pas encore ouvert. Donc, ils vont au Mac Do à Super U, partout à Taravao, sauf au collège.
"

Lavaina Teuira
Mère d'une lycéenne de 15 ans

"S'il y a un échec scolaire, c'est peut-être dû au transport scolaire"


"Il y a des enfants qui viennent du "fenua aihere" qui se lèvent à 4 heures du matin, qui prennent le bateau ou un petit bus pour arriver au village. Là, ils attendent encore le bus qui les emmènera à leur école. Parfois, il n'y a pas de bus. Donc, ils viennent pour rien. S'il y a un échec scolaire, c'est peut-être dû aussi au transport scolaire, je ne vais pas m'avancer trop tôt. Mais je me demande si ce n'est pas une des raisons. Tout le monde, je pense, est soucieux de ce problème. Maintenant, c'est l'action qui manque.

L'année dernière, j'ai vu des enfants attendre le bus au grand pont, dans le souci d'avoir une place. Donc, j'ai dit à ma fille qu'elle n'avait pas à faire cela, et qu'il fallait qu'elle attende au village. C'est ça aussi le problème et il y a un risque. Je me suis dit que ce n'était pas possible et c'est la raison pour laquelle je suis venue voir ce matin
[hier, NDLR]. Il y a même des parents qui sont allés voir le transporteur, et on voit bien qu'il n'y a pas d'évolution."


Gilda Vaiho
Représentante à l'APF

"Il est temps d'agir"


"Nous sommes en train de parler de convention, de budget, alors que les batailles les plus importantes sont celles que mènent nos enfants tous les jours et tous les matins. À 4 heures du matin, comme le témoignent certains élèves et parents, tout le monde est au bord de la route. Cela suppose que ces enfants se sont levés à 3 heures du matin. Je trouve que c'est inadmissible et intolérable.

Aujourd'hui, on parle d'égalité dans l'Éducation, d'équité… Et on voit qu'il y a une inégalité. Je trouve que ça suffit et il est temps de changer les choses.
Je sais que demain
[aujourd'hui, NDLR], nous allons voter le collectif et j'espère que tout le monde va prendre conscience de l'importance de ces bus pour ces élèves. Ensuite, il y a une question de surveillance parce qu'on parle de sécurité dans ces bus. Je trouve qu'il y a beaucoup de Contrats Accès à l'emploi (CAE) que l'on donne aux communes. On pourrait en donner aussi au transport en commun, pour que ces personnes puissent aider le chauffeur à surveiller les élèves.

J'ai vécu une situation illégale, où les élèves sont debout, les portes sont ouvertes. Et s'il arrive un accident, tout le monde sera fautif : le chauffeur, l'opérateur, le responsable, mais aussi les élus, parce qu'on a laissé faire ces conditions. On ne peut plus fermer les yeux. Il est temps d'agir. Donc, je demande à tous nos élus de prendre conscience de la situation dans laquelle nos enfants se trouvent aujourd'hui.

Je trouve que le système éducatif que l'on propose en Polynésie avec le système de transport n'est pas bon. On a beau avoir tous les schémas directeurs du transport inter-insulaire, du transport terrestre, on a beau faire toutes les études qu'il faut avec leur budget, le résultat n'est pas bon. Nous sommes vraiment nuls aujourd'hui.
"



Actuellement, sur le secteur Taravao – Tautira, on compte une vingtaine de bus. L'an dernier, les trois sociétés (NTCE, RTU et TCCO) transportaient 20 000 élèves de Tahiti et Moorea.

Rédigé par Corinne Tehetia le Lundi 21 Aout 2017 à 15:14 | Lu 11088 fois