Tahiti, le 7 juin 2024 - Pour le Cesec, le projet de loi du Pays visant à transmettre une partie de la régulation du secteur de l'énergie à l'Autorité de la concurrence (APC) paraît “incohérent” tandis que l'APC juge ce texte propice à “une concurrence plus saine” en évitant “des conflits d'intérêts potentiels”. D’un côté comme de l’autre on estime qu’il est nécessaire de peaufiner ce texte qui doit être présenté en fin d'année aux élus de l'assemblée.
Projet “incohérent et incompréhensible” ou “pertinent et en faveur d'une concurrence saine” ? Le projet de loi du Pays sur la transmission d'une partie de la régulation du secteur de l'énergie (électricité et gaz), relevant actuellement de la Direction polynésienne de l'énergie (DPE), à l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC), se retrouve déjà tiraillé entre deux avis.
Le premier, celui du Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), rendu ce mercredi, présente un avis défavorable. Et le Cesec s'est montré particulièrement cinglant face à ce texte. “Nous ne pouvions pas faire autrement qu'émettre un avis défavorable”, a d'ailleurs récapitulé Jean-François Benhamza, le président de la Commission économie de l’institution : “l'APC ne peut pas jouer le rôle de régulateur.” Cependant, côté APC, qui a également rendu son avis sur ce projet de loi ce jeudi, l'Autorité estime que transférer ces compétences “permettrait une concurrence plus saine et éviterait des conflits d'intérêt potentiels”. “L'APC le dit depuis 2018, pour les énergies comme pour les télécoms, il vaut mieux avoir un régulateur indépendant. Et transférer ces compétences à l'APC serait plus pertinent que de créer une autre autorité administrative indépendante (AAI), avec ce que cela demande en termes de moyens techniques, humains et financiers”, plaide le responsable du service de la présidence du collège de l'APC, Arnaud Busseuil. “L'APC va pouvoir agir sur le domaine de l'énergie, en amont, via un rôle de régulateur, et en aval s'il y a des sanctions. L'avantage d'être régulateur, c'est de pouvoir mettre en place des règles pour ne pas arriver à la sanction de concurrence. On va donc pouvoir créer une synergie. De plus, actuellement, le Pays fait essentiellement de l'arbitrage, il y a très peu de sanctions, ce qui nous convient très bien, notamment parce qu'il n'y a pas de comportement volontairement déviant.”
Nouvelle AAI, APC, ou convention avec la CRE
Dans l'Hexagone, cette mission de régulation de l'énergie est en effet confiée à la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une autorité administrative indépendante (AAI). La CRE, créée en 2000, a pour mission de veiller au bon fonctionnement du marché de l'énergie et d'arbitrer les différends entre les utilisateurs et les exploitants, toujours au bénéfice du consommateur. En Polynésie, c'est donc la Direction polynésienne de l'énergie (DPE), anciennement le service de l'énergie et des mines, qui a la lourde tâche d'assumer ces missions, par le biais d'un seul et unique agent. “Le Pays a beaucoup recours à l'externalisation. Nous, on laissera ça en interne, avec pour objectif de renforcer le contrôle”, explique Arnaud Busseuil. La Polynésie, qui rencontre depuis plusieurs années des difficultés à assumer toutes ses missions en rapport avec l'énergie, que ce soit l'élaboration de sa politique énergétique, la gestion du FRPH, le transport et la distribution de l'électricité avec la TEP ou encore la distribution d'électricité via une concession à EDT. Le choix de transférer, donc, une partie de la mission de régulation de l'énergie a paru logique au Pays, plutôt que de créer une nouvelle AAI.
Cependant, pour le Cesec, la création d'une autre AAI ou le passage de conventions avec la CRE française aurait plus de sens que de transférer cette compétence à l'APC, notamment en raison d'un manque de compétences que la quatrième institution polynésienne prête à l'Autorité. “Bien que [le Cesec] ne remette nullement en question les compétences de l’APC en matière de concurrence, notamment sur le plan économique, juridique et comptable, elle craint toutefois que la mission de régulation des marchés électrique et gazier dépasse le cadre des compétences de cette autorité, notamment au regard de la complexité et de la technicité élevées de ces matières”, a affirmé le corapporteur du projet d'avis du Cesec, Patrick Galenon.
Du côté de l'APC, on ne s'inquiète pas trop à ce sujet : “Je comprends les inquiétudes du Cesec. Mais cette compétence, on va la gagner, et il y a déjà plein de choses que l'on sait faire, notamment en contentieux. On est reconnu comme une juridiction.” Charge à l'APC d'embaucher des gens compétents et, pour ce faire, l'Autorité va pouvoir créer deux postes supplémentaires, un rapporteur général et un rapporteur, financés par la redevance perçue actuellement par la DPE, qui lui sera logiquement transférée. “Les postes ont été jugés difficiles à pourvoir en local par le Cesec. Mais le gouvernement nous propose de transférer la compétence petit à petit. Nous ne serons pas régulateurs à 100% demain. Donc nous allons recruter des juristes ou économistes, des profils disponibles sur le territoire et non des ingénieurs CRE, plus compliqués à trouver.”
Le gaz oui, les hydrocarbures non
Le transfert de compétences partiel est justement l'une des particularités soulevées et qui a beaucoup intrigué le Cesec. En effet, comme l'explique à Tahiti Infos Arnaud Busseuil, le Pays ne va transférer qu'une partie de la compétence sur la régulation de l'énergie à l'APC. De plus, seules l'électricité et le gaz feront partie des champs d'actions de l'Autorité polynésienne de la concurrence, et non les hydrocarbures, que le Pays souhaite conserver pour contrôler la politique tarifaire du carburant. “Cependant, les hydrocarbures constituent 70% du coût de production de l’électricité et il apparaît donc difficile de séparer ce secteur de celui de l’électricité”, observe Patrick Galenon. Concernant le gaz, le fait de le dissocier des autres hydrocarbures engendrera un problème juridique que le Pays devra régler, en enlevant le gaz de la liste des carburants énergétiques, avant de faire passer la loi. “C'est vrai que c'est étonnant de séparer les deux. On s'est posé la même question que le Cesec. C'est étrange”, reconnait Arnaud Busseuil. “Mais on comprend aussi le choix du gouvernement : les hydrocarbures sont un enjeu ultra-stratégique qu'il souhaite garder sous la coupe de la DGAE. Mais à long terme, cette compétence devrait aussi nous revenir, dans 10-15 ans peut-être.”
On le comprend, ce projet de loi complexe mais essentiel dans le contexte énergétique mondial est encore à paufiner au vu de l'avis du Cesec mais aussi des recommandations de l'APC elle-même. “La date d'entrée en vigueur nous semble trop proche notamment”, explique le membre du collège de l'Autorité. Le texte définitif devrait être présenté en fin d'année à l'assemblée.
Arnaud Busseuil tient également à rappeler que des autorités multi-régulatrices et multisectorielles existent dans de nombreux pays, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. “Ce n'est pas une difficulté, du moment que les règles internes prévoient bien tous les mécanismes d'indépendance et d'échanges d'informations.”
Projet “incohérent et incompréhensible” ou “pertinent et en faveur d'une concurrence saine” ? Le projet de loi du Pays sur la transmission d'une partie de la régulation du secteur de l'énergie (électricité et gaz), relevant actuellement de la Direction polynésienne de l'énergie (DPE), à l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC), se retrouve déjà tiraillé entre deux avis.
Le premier, celui du Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), rendu ce mercredi, présente un avis défavorable. Et le Cesec s'est montré particulièrement cinglant face à ce texte. “Nous ne pouvions pas faire autrement qu'émettre un avis défavorable”, a d'ailleurs récapitulé Jean-François Benhamza, le président de la Commission économie de l’institution : “l'APC ne peut pas jouer le rôle de régulateur.” Cependant, côté APC, qui a également rendu son avis sur ce projet de loi ce jeudi, l'Autorité estime que transférer ces compétences “permettrait une concurrence plus saine et éviterait des conflits d'intérêt potentiels”. “L'APC le dit depuis 2018, pour les énergies comme pour les télécoms, il vaut mieux avoir un régulateur indépendant. Et transférer ces compétences à l'APC serait plus pertinent que de créer une autre autorité administrative indépendante (AAI), avec ce que cela demande en termes de moyens techniques, humains et financiers”, plaide le responsable du service de la présidence du collège de l'APC, Arnaud Busseuil. “L'APC va pouvoir agir sur le domaine de l'énergie, en amont, via un rôle de régulateur, et en aval s'il y a des sanctions. L'avantage d'être régulateur, c'est de pouvoir mettre en place des règles pour ne pas arriver à la sanction de concurrence. On va donc pouvoir créer une synergie. De plus, actuellement, le Pays fait essentiellement de l'arbitrage, il y a très peu de sanctions, ce qui nous convient très bien, notamment parce qu'il n'y a pas de comportement volontairement déviant.”
Nouvelle AAI, APC, ou convention avec la CRE
Dans l'Hexagone, cette mission de régulation de l'énergie est en effet confiée à la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une autorité administrative indépendante (AAI). La CRE, créée en 2000, a pour mission de veiller au bon fonctionnement du marché de l'énergie et d'arbitrer les différends entre les utilisateurs et les exploitants, toujours au bénéfice du consommateur. En Polynésie, c'est donc la Direction polynésienne de l'énergie (DPE), anciennement le service de l'énergie et des mines, qui a la lourde tâche d'assumer ces missions, par le biais d'un seul et unique agent. “Le Pays a beaucoup recours à l'externalisation. Nous, on laissera ça en interne, avec pour objectif de renforcer le contrôle”, explique Arnaud Busseuil. La Polynésie, qui rencontre depuis plusieurs années des difficultés à assumer toutes ses missions en rapport avec l'énergie, que ce soit l'élaboration de sa politique énergétique, la gestion du FRPH, le transport et la distribution de l'électricité avec la TEP ou encore la distribution d'électricité via une concession à EDT. Le choix de transférer, donc, une partie de la mission de régulation de l'énergie a paru logique au Pays, plutôt que de créer une nouvelle AAI.
Cependant, pour le Cesec, la création d'une autre AAI ou le passage de conventions avec la CRE française aurait plus de sens que de transférer cette compétence à l'APC, notamment en raison d'un manque de compétences que la quatrième institution polynésienne prête à l'Autorité. “Bien que [le Cesec] ne remette nullement en question les compétences de l’APC en matière de concurrence, notamment sur le plan économique, juridique et comptable, elle craint toutefois que la mission de régulation des marchés électrique et gazier dépasse le cadre des compétences de cette autorité, notamment au regard de la complexité et de la technicité élevées de ces matières”, a affirmé le corapporteur du projet d'avis du Cesec, Patrick Galenon.
Du côté de l'APC, on ne s'inquiète pas trop à ce sujet : “Je comprends les inquiétudes du Cesec. Mais cette compétence, on va la gagner, et il y a déjà plein de choses que l'on sait faire, notamment en contentieux. On est reconnu comme une juridiction.” Charge à l'APC d'embaucher des gens compétents et, pour ce faire, l'Autorité va pouvoir créer deux postes supplémentaires, un rapporteur général et un rapporteur, financés par la redevance perçue actuellement par la DPE, qui lui sera logiquement transférée. “Les postes ont été jugés difficiles à pourvoir en local par le Cesec. Mais le gouvernement nous propose de transférer la compétence petit à petit. Nous ne serons pas régulateurs à 100% demain. Donc nous allons recruter des juristes ou économistes, des profils disponibles sur le territoire et non des ingénieurs CRE, plus compliqués à trouver.”
Le gaz oui, les hydrocarbures non
Le transfert de compétences partiel est justement l'une des particularités soulevées et qui a beaucoup intrigué le Cesec. En effet, comme l'explique à Tahiti Infos Arnaud Busseuil, le Pays ne va transférer qu'une partie de la compétence sur la régulation de l'énergie à l'APC. De plus, seules l'électricité et le gaz feront partie des champs d'actions de l'Autorité polynésienne de la concurrence, et non les hydrocarbures, que le Pays souhaite conserver pour contrôler la politique tarifaire du carburant. “Cependant, les hydrocarbures constituent 70% du coût de production de l’électricité et il apparaît donc difficile de séparer ce secteur de celui de l’électricité”, observe Patrick Galenon. Concernant le gaz, le fait de le dissocier des autres hydrocarbures engendrera un problème juridique que le Pays devra régler, en enlevant le gaz de la liste des carburants énergétiques, avant de faire passer la loi. “C'est vrai que c'est étonnant de séparer les deux. On s'est posé la même question que le Cesec. C'est étrange”, reconnait Arnaud Busseuil. “Mais on comprend aussi le choix du gouvernement : les hydrocarbures sont un enjeu ultra-stratégique qu'il souhaite garder sous la coupe de la DGAE. Mais à long terme, cette compétence devrait aussi nous revenir, dans 10-15 ans peut-être.”
On le comprend, ce projet de loi complexe mais essentiel dans le contexte énergétique mondial est encore à paufiner au vu de l'avis du Cesec mais aussi des recommandations de l'APC elle-même. “La date d'entrée en vigueur nous semble trop proche notamment”, explique le membre du collège de l'Autorité. Le texte définitif devrait être présenté en fin d'année à l'assemblée.
Arnaud Busseuil tient également à rappeler que des autorités multi-régulatrices et multisectorielles existent dans de nombreux pays, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. “Ce n'est pas une difficulté, du moment que les règles internes prévoient bien tous les mécanismes d'indépendance et d'échanges d'informations.”