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Tourisme : les pensions de famille, élèvent la voix


PAPEETE, le 5 septembre 2016 - Les pensions de famille et la petite hôtellerie en ont assez d’être reléguées au second plan du développement touristique du Pays. Elles ont décidé d’élever la voix et de se faire entendre sur le plan local et international.

Alors que l’hôtellerie classée est saturée jusqu’à la fin de l’année, la petite hôtellerie et les pensions de famille ont un taux de remplissage de 27 % selon les derniers chiffres de l’ISPF. Nombreuses sont celles qui doivent avoir une activité secondaire pour pouvoir survivre. Elles veulent être prises au sérieux par les pouvoirs publics -et à l’international- comme des interlocuteurs sérieux et viables.

Le développement du tourisme est devenu une des priorités du gouvernement, cependant, quand on regarde les campagnes de communication à l’international, les pensions de famille brillent par leur absence. Melinda Bodin, présidente de l’association des Hôtels de Famille de Tahiti et ses îles, dénonce cela haut et fort : « Ce n’est pas normal. Quand on va sur le site de “Tahiti Tourisme” par exemple, il n’y a pas de rubrique Pension de famille, nous sommes un sous-groupe dans la rubrique Hôtel, alors que nous ne sommes pas des hôtels. Même les Golfs ont leur onglet propre », s’indigne-t-elle. Marc Collins, ancien ministre du Tourisme, qui travaille avec l’association va même jusqu’à parler de « cousin pauvre du tourisme ». Il explique, « les pensions de famille se sont développées seules, sans aucune subvention, ou d’aides de quiconque, contrairement à l’hôtellerie classée qui dispose de différents avantages financiers et autres aides. »

Marc Dauphin, propriétaire de la Pension Reva à Teahupo’o, dresse le constat « nous voulons nous développer, mais nous n’avons aucune aide, toutes les améliorations nous les finançons avec notre épargne. Les hôtels ont droit à la défiscalisation à foison. Nous n’avons droit à rien parce que nous sommes trop petits. Avec un petit coup de pouce, nous pourrions faire des choses incroyables. » Il s’agace, « les pensions de famille font vivre des îles entières là où il n’y a pas d’hôtels. Sur certains atolls, sans pension, il n’y aurait rien. »

Melinda Bodin poursuit dans ce sens, « les pensions de famille sont le poumon économique des îles, surtout des îles éloignées. Elles font vivre les pêcheurs, les agriculteurs, les perliculteurs, et les artisans. » Aujourd’hui les hôtels de famille ne sont pas à négliger, car ils sont 295 sur l’ensemble du territoire et représentent 33 % de la capacité d’hébergement touristique. Ils participent à l’économie locale de 32 îles et reçoivent entre 8 et 10 % des touristes internationaux soit environ 15 000 touristes étrangers par an et environ 10 000 visiteurs résidents.

Heiranii Taiaapu de la Pension Mana Tupuna Village à Ua Huka ne cache pas sa frustration, « nous voulons participer à l’amélioration de l’offre et au développement du secteur, mais on ne nous en donne pas les moyens. Pour les îles éloignées, nous avons des soucis avec la desserte, mais aussi le prix des billets. Ça coute aussi de venir chez nous que d’aller à Hawaï. Pour les résidents, le choix est vite fait. ».

« On reproche aux pensions de famille de ne pas assez s’investir, mais on ne les a jamais consultées sur quoi que ce soit pour les projets de développement touristique. »

Un autre représentant des pensions ne cache pas son agacement : « ils parlent de la possibilité d’investir jusqu’à 3 milliards de francs pour une route qui ne desservirait qu’un hôtel (NDLR Papeno’o). Nous sommes 295 pensions de famille, ça représenterait 10 millions par pension pour 300 familles et l’économie locale de 32 îles ! Ces sous nous permettraient à tous de faire des rénovations et des transformations considérables. Nous n’en demandons pas autant, mais c’est l’exemple le plus parlant. »
Et Marc Dauphin d’ajouter, « l’avenir du tourisme en Polynésie c’est nous. Le tourisme vert, l’écotourisme, le tourisme authentique, passent par nous. C’est une évidence. »

Les pensions de famille en chiffres

295 le nombre de pensions de famille sur le territoire
27 % le taux de remplissage des pensions de famille selon l’ISPF
70 % des clients des pensions de famille sont des touristes internationaux
1500 le nombre de chambres disponibles sur le Fenua
33 % de la capacité hôtelière du pays
Environ 25 000 touristes internationaux et résidents passent par les pensions de famille.

"L'effet Salon est important, surtout dans les îles éloignées" ,Melinda Bodin, présidente de l’association des Hôtels de famille de Tahiti et ses îles

En quoi le Salon du Tourisme est-il essentiel aux les pensions de famille ?
Les Pensions de famille ont créé le Salon du Tourisme. Les trois premières éditions du Salon ne concernaient que nous, nos activités, nos comités de tourisme. C’était vraiment la promotion d’un tourisme authentique.

Aujourd’hui, le Salon vient remplir le calendrier de réservation des pensions de famille. L’événement a pris tellement d’importance, qu’il leur permet à chaque édition de remplir, deux mois voire trois mois de leur cahier de réservations, c’est-à-dire six mois par an.

L’effet salon est important surtout dans les îles éloignées parce qu’Air Tahiti fait des réductions qui vont jusqu’à 50 % ce qui veut dire que pour aller au Gambier c’est pratiquement 35 000 francs au lieu de 80 000.
Déjà grâce au Salon les pensions de famille vivent bien et aussi grâce à Air Tahiti, quand on sait que séjour dans les îles faites pratiquement la même chose. Air Tahiti joue le jeu de cette promotion qui est faite pour le Salon. C’est super.

Les hôtels de famille sont importants pour l’économie des îles ?
C’est très compliqué financièrement pour les pensions, surtout pour les pensions des îles éloignées. Quand on entend la promotion de la Polynésie et de Tahiti et ses îles, quand on voit les publicités qui sont faites à l’international, il n’y en a que pour Bora Bora, Moorea, Rangiroa, Fakarava, Tikehau. Elles délaissent Tahiti et les autres archipels. Ça ne représente qu’une dizaine d’îles. Pourtant ce sont justement ces îles qu’on ignore qui ont besoin d’être promues. Qui a entendu parler de Makemo ? Que nous, qui sommes ici. Qui a entendu parler de Anaa, Mataiva ? Personne, parce qu’il n’y a pas d’hôtels.
Les pensions de famille sont l’acteur principal de l’économie des iles, pas que de l’économie touristique, mais de l’économie tout court. Elles donnent de l’argent aux pêcheurs, à l’agriculteur, aux perliculteurs, aux tatoueurs, aux sculpteurs, à l’artisanat en général. C’est toute une population qui vit de ce tourisme authentique, mais une population qu’on n’a jamais été impliquée dans le tourisme. Quand j’entends dire, « c’est une population qui doit s’impliquer », non. Elle a toujours été impliquée, mais on ne l’a jamais écoutée.

De quoi ont besoin les pensions de famille aujourd’hui ?
Historiquement, nous reprochons au GIE et ministère du Tourisme de ne pas donner assez de visibilité aux pensions de famille. Le GIE a pour objectif premier de faire la promotion de la destination, cependant ils ne font que la promotion de l’hôtellerie classée et de ses bungalows sur pilotis aux dépens des pensions.

Les hôteliers, remplis ou pas, c’est leur problème. Aujourd’hui, ils sont saturés, mais c’est parce que beaucoup ont fermé, pas forcément parce que le nombre de touristes a augmenté. Nous les pensions, nous avons toujours été là et avons toujours eu des places disponibles. La clientèle d’hôtel classée ne viendra pas chez nous, ils vont attendre qu’il y ait de la place. Nous ne visons pas la même cible. Aujourd’hui, nous avons acquis une reconnaissance et nos lettres de noblesse grâce à notre travail, mais aussi à la professionnalisation de notre secteur qui n’a pas toujours été bien accueillie. Nous avons tapé des pieds et des mains pour en arriver là. Au salon du tourisme, le ministre a annoncé que le GIE allait accorder à l’association 30 millions de francs de budget. C’est un bon début.

Les pensions de Famille ont la parole

Marc Dauphin de la Pension Reva, Teahupo’o
« Nous n’avons pas à nous plaindre, nous sommes complets tous les week-ends pour les six prochains mois. En quatre ans nous sommes passés de quatre bungalows à bientôt huit.
Mon problème c’est que je n’ai pas accès à internet, c’est handicapant pour les réservations en ligne, et la clientèle internationale.
Ensuite, nous avons les conditions idéales pour développer le tourisme vert et les randonnées, mais nous manquons d’infrastructures et de balisages. Enfin, nous avons trop peu de guides de randonnée qualifiés.
Les pensions de famille, nous nous sommes développées sans aucune aide, alors que nous sommes l’avenir. Sans pensions de famille, certaines îles n’auraient plus d’économie locale. Avec un coup de pouce, nous pourrions faire des choses incroyables. »

Lovaina Dexter de la Pension Anaa Toku Kaiga, Anaa

« Le salon ne compte quasiment pas sur notre remplissage. Nous avons exclusivement de la clientèle internationale et quelques résidents métropolitains à la retraite. Nous perdons de l’argent sur l’offre que nous proposons au Salon.
Notre problème principal est la desserte. Nous n’avons qu’un avion par semaine, hors la clientèle du Salon et la clientèle locale en général, demande des séjours de deux, trois nuits. Nous ne pouvons pas répondre à cette demande. L’idéal serait qu’Air Tahiti mette en place deux dessertes par semaine le temps de l’offre du Salon. C’est moins cher d’aller en Nouvelle-Zélande que de venir chez nous. Ça nous ferme les portes d’un marché intéressant. »

Kato Mieko de la Pension La Perruche Rouge, Rimatara

« 50 % de notre remplissage se fait grâce au Salon du Tourisme. Le Salon est très important, surtout pour nous qui sommes une destination éloignée. Nous recevons essentiellement de la clientèle internationale et beaucoup de métropolitains résidents. Il nous arrive de tourner à vide, ce n’est pas rare. On s’en sort, mais c’est dur.
Notre souci principal est le prix du billet. Il est aussi cher que pour aller en Nouvelle-Zélande, du coup les clients préfèrent aller à l’étranger. Nos clients nous le disent souvent, ce qui les freine, ce n’est pas le prix de la pension, mais plutôt le coût des billets. C’est d’ailleurs pour ça qu’on fait le plein pendant le salon, les gens profitent de la baisse des prix de l’avion. Une aide à ce niveau-là nous arrangerait beaucoup. »

Heiranii Taiaapu de la Pension Mana Tupuna Village, Ua Huka

« Le salon du Tourisme représente 70 % de nos réservations. Le reste du temps, nous travaillons avec les agences de voyage et séjour dans les îles.
Les résidents ne représentent que 35 % de notre chiffre d’affaires parce qu’ils préfèrent aller à Hawaï plutôt que de venir chez nous, c’est le même prix.
Notre principal problème, c’est la desserte. La demande est là, mais nous sommes desservis par des “Twin Otter” qui ne peuvent pas transporter plus de 14 pour trois îles. Nous voulons promouvoir la destination et maintenir notre qualité, mais si le touriste ne peut pas arriver chez nous, ça ne sert à rien. Nous avons demandé à rallonger notre piste pour pouvoir faire atterrir un plus gros avion et augmenter le nombre de passagers. Ça nous changerait la vie. »

Tati Salmon de la Pension Maupiti Paradise, Maupiti

« De façon générale, le Salon du Tourisme nous apporte entre 30 et 40 % de notre clientèle. Cette édition de septembre ne nous apporte pas grand-chose. Les plannings d’Air Tahiti étant complets pour Maupiti en septembre et octobre, au lieu de travailler sur trois mois pleins, nous ne travaillons que sur un mois et demi.
En dehors du Salon du Tourisme nous remplissons la pension grâce au bouche-à-oreille et aux agences de voyages. Entre juin et octobre nous recevons beaucoup de touristes internationaux : des métropolitains et des Italiens essentiellement et entre février et avril ce sont surtout des résidents et des locaux qui ont fait leurs réservations au salon. »

Bianca Urarii de la Pension Chez Bianca et Benoit, Gambier

« 60 % de mon remplissage se fait grâce au Salon. Les gens profitent de la baisse des prix des billets d’avion pour visiter les îles éloignées. Je peux dire sans hésiter qu’il a un impact direct sur le taux de remplissage de ma pension.
Notre connexion internet n’est pas fiable par exemple, pour les réservations internationales et les échanges avec les agences de voyages, c’est compliqué.
Le fret tant par bateau que par avion est très cher, en plus nous ne sommes pas prioritaires. S’il n’y a pas de place, tant pis pour nous. Nous devons nous prendre avec deux et trois mois à l’avance pour expédier nos commandes. »

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Lundi 5 Septembre 2016 à 05:00 | Lu 3935 fois