Tourisme : Nicole Bouteau, "Nous avons les moyens de nos ambitions"


PAPEETE, le 02 février 2017 - La nouvelle ministre du tourisme, Nicole Bouteau dresse le bilan du secteur pour l'année 2016 et nous révèle quel sera le fil rouge de son ministère : montrer une Polynésie authentique, vraie et fidèle à elle-même. Elle annonce également une enveloppe de 2,8 milliards de Francs pour le tourisme en 2017.

Pouvez-vous nous dresser un bilan de l'année 2016 ?
2016 a été pour le gouvernement l’année de la mise en œuvre de la stratégie de développement touristique 2015-2020.Près de la moitié des 134 actions qui sont décrites dans la stratégie ont été engagées, à des degrés divers. Plus d’une trentaine sont abouties. En infrastructures, même si ce n’est qu’un début, le Pays s’est mis en ordre de marche et les réhabilitations et réalisations tant à Tahiti que Moorea ont été nombreuses. En marketing aussi, chacun a pu le constater, les nouvelles orientations ont porté leurs fruits et la fréquentation touristique globale continue de progresser, malgré un contexte international complexe.
Nous sommes environ à +5% de touristes en année pleine de plus que l’année dernière. A novembre 2016, ce sont de 223 000 visiteurs que nous avons reçu en Polynésie (177 637 touristes – 45 941 excursionnistes). Nous devons conserver ce rythme de croissance, qui est solide et n’est pas conjoncturel. Les équipes touristiques, les hébergeurs, les transporteurs, les pouvoirs publics, vont dans la même direction. C’est sur cette synergie que l’on peut continuer à construire notre développement touristique et économique.

Quelle énergie souhaitez-vous insuffler au ministère ? Quelles seront vos priorités ?
Ma priorité, c’est la proximité : rencontrer rapidement l’ensemble des professionnels du tourisme, ceux qui au jour le jour le font vivre, le développe, aller aussi à leur rencontre dans les archipels. Le développement, le tourisme, l’identité de notre Pays, celle que l’on donne à voir à nos visiteurs, tout cela repose sur ces acteurs. Je veux être à leurs côtés, au propre comme au figuré. Je mettrai toute mon énergie, et mes équipes aussi, pour que ce ne soit pas une posture, mais une réalité tout au long de cette année et la suivante.

Quels sont les grands chantiers 2017 ?
Il y en a plusieurs. Il nous faut développer l’offre de chambres. Les taux de remplissage ont été exceptionnels cette année. Pour cela la réouverture des hôtels qui ont fermé ces dernières années fait partie des discussions qu’avaient initiées mon prédécesseur. Je souhaite les poursuivre. Par ailleurs, la réalisation de nouvelles structures d’hébergement est nécessaire. Nous y travaillons avec le Président du Pays et le gouvernement notamment avec le projet autour du golf de Moorea et la poursuite des discussions avec les différents investisseurs intéressés par le domaine touristique d’Outumaoro. Je souhaite par ailleurs poursuivre la campagne de sensibilisation lancée l’année dernière car il est primordial que les polynésiens se sentent partie prenante de notre tourisme : ce seront notamment encore cette année de la sensibilisation aux formations et métiers du tourisme, les appels à projets touristiques pour créer de nouveaux produits et susciter auprès des jeunes des vocations.
La question de la gouvernance sera également au cœur de ma feuille de route. Comment les acteurs, les entrepreneurs, les gérants de pensions ou d’activités peuvent être mieux intégrés dans l’élaboration de notre produit touristique global ? Au travers des pôles locaux de développement touristique (PLDT), et d’une recomposition de la gouvernance. Cette phase de structuration, de retour sur nous–même, est essentielle pour les évolutions futures. Sinon, nous avons aussi cette année un fort volet règlementaire car il nous faire évoluer des règlementations qui pour certaines ont plus de 20 ans et ne correspondent plus à la réalité des pratiques.

Quelle sera l'enveloppe budgétaire consacrée au tourisme en 2017 ?
Toutes opérations confondues, infrastructures, marketing, subventions diverses, le Pays dégage près de 2,8 milliards en faveur de la croissance touristique. C’est un signe fort. Nous avons les moyens de nos ambitions. Il faut les mettre en œuvre. Nous nous inscrivons dans la continuité, nombre d’actions sont engagées au titre du budget, je veillerai à ce qu’elles soient réalisées comme prévues.

Tahiti Tourisme, bras armé de la promotion touristique ?
Oui, cela aussi rentre dans la gouvernance. Les équipes de Tahiti Tourisme sont essentiellement impliquées dans la promotion touristique internationale, et aussi dans l’accueil et l’information localement. Les canaux de communication et d’influence changent très vite dans le secteur du tourisme, le Tahiti Tourisme a dû se réinventer complètement ces dernières années. Ils ont su faire preuve de rigueur, d’audace, de détermination, d’inventivité. Il faut le souligner.

Et il faut les encourager, leur travail est crucial pour le Pays. La campagne Embraced by mana lancée l’année dernière fonctionne, fait écho sur nos marchés émetteurs. Par cette campagne nous avons su enfin nous démarquer de nos concurrents en mettant en avant notre plus grande richesse : les Polynésiens, notre patrimoine naturel et culturel, la diversité de nos îles....

Si de façon globale le nombre de visiteurs s'annonce à la hausse (+0,4%), les trois derniers mois étaient négatifs en terme de fréquentation touristique (-8,8% par rapport à novembre 2016) , est-ce inquiétant ?
Il ne faut pas s’arrêter au 3 derniers mois, mais avoir une vision globale sur les 11 premiers de l’année 2016 dont nous avons, aujourd’hui, les statistiques. Je le redis, sur les 11 premiers mois de l’année, nous avons reçu 5% de visiteurs en plus alors qu’entre 2014 et 2015, elle était d’une peu plus de 1%. Le coefficient moyen de remplissage de l’hôtellerie internationale à novembre 2016 était de près de 70%. 2016 est une très bonne année pour notre tourisme.
Donc, non, ce n’est ni inquiétant ni préoccupant. Le tourisme n’est pas une activité linéaire. D’une année sur l’autre, d’un trimestre sur l’autre, d’un mois sur l’autre, les variations sont incessantes, souvent liées à la conjoncture, aux variations monétaires, climatiques, aux rachats entre tour-opérateurs, compagnies de croisière ou groupe hôtelier international…
Pour compenser ces à-coups, incessants, sur chaque marché, chaque niche, chaque segment, il faut être solides sur des marchés très différents. Le Pays, Tahiti Tourisme, nos gestionnaires hôteliers, Air Tahiti Nui, l’ensemble des professionnels sont rassemblés et mobilisés sur ces questions.
Donc une vigilance oui, mais pas d’inquiétude. Il convient juste d’apporter les réponses appropriées, marché par marché. Nous sommes bien mieux armés aujourd’hui que nous l’étions il y a 5 ans où nous étions bien plus affectés, bien plus démunis, face aux variations internationales. Du travail de fond a été réalisé, par tous les acteurs, individuellement et collectivement, c’est primordial de le souligner.

L'objectif de 300 000 visiteurs, à l'horizon 2017-2018, annoncé par votre prédécesseur en 2013 est-il maintenu? Quelles stratégies allez-vous mettre en place pour y arriver ?
Si l’on maintient le rythme de croissance de ces 3 dernières années, nous serons à 280 000 visiteurs en 2018. Donc, il va falloir être offensifs, ne pas se reposer sur ces bons résultats, continuer à gagner des points de compétitivité et des parts de marchés chaque fois que c’est possible, sur chacun des différents segments. Après, vous me connaissez, faire du volume pour faire du volume, ce n’est pas mon ambition. Ce que souhaite le gouvernement c’est que ce développement touristique participe surtout au développement du Pays.
Nous voulons une Polynésie de partage, dynamique, -et qui se sente bien dans sa peau.
Il faut travailler, il faut que chacune et chacun se sente responsable de ce développement, se sente impliqué, se sente considéré aussi, et respecté.
Il n’y a pas qu’une manière de faire du développement touristique. Il n’y a pas qu’une vérité. Et nous avons une véritable diversité, d’îles, de cultures, d’histoires, de paysages, d’expériences et d’émotions à partager.- Plus nous pourrons valoriser qui nous sommes, ce que nous sommes, plus nous serons désirés et visités.

Comment comptez-vous répondre au recul constant du nombre de croisiéristes en Polynésie ?
La constance que vous évoquez est discutable. Le Pays a connu une forte augmentation en 2014 sur ce segment (des passagers de croisière qui embarquent à Papeete), puis un réajustement entre 2015 et 2016 du fait du départ d’un seul et unique opérateur — Princess Cruises… Ce départ a été compensé, en volume, sur l’ensemble de l’activité croisière, sur l’ensemble des passagers, avec un recul très marginal.
Depuis le début de ce mandat, notre stratégie spécifique sur la croisière est claire. Elle repose à la fois, ici en Polynésie, sur notre capacité réceptive, notre offre d’activités en escales, notre sérieux dans la gestion de ces escales, et sur notre positionnement régional comme un « hub » de croisière, en complément de Fidji et la Nouvelle-Zélande.
Cette stratégie, le Pays la porte avec constance depuis plusieurs années. Il y a des soubresauts, mais les tendances sur ces 5 dernières années sont très claires, nous sommes sur la bonne voie, nous devons persévérer.
Nous avons encore des efforts marketing à fournir, ciblés, construits, auprès des compagnies de croisière, et le Port Autonome a bien avancé sur le projet de construction d’un terminal de croisière internationale. Nous avons aussi d’autres points, de gestion, de réglementation ou d’infrastructures, sur lesquels nous sommes attendus par les professionnels. Je veux croire que dans les mois qui viennent, nous progresserons encore plus vite sur ces sujets.

Alors que les professionnels de la petite hôtellerie demandent à être plus considérés et annoncent des taux de remplissages d'environ 30% tandis que la grande hôtellerie affiche des taux de remplissages tournant autour de 80%, quelle politique allez-vous adopter pour gérer ces deux marchés différents ?
Cela rejoint parfaitement ce que je viens de dire. L’hôtellerie de famille se professionnalise, à plus d’un titre. Ils ont fait de réels efforts pour se structurer, depuis des années, pour améliorer la qualité, pour accroître leur visibilité et la lisibilité de leurs labels. Et maintenant, ils vont former des agents de voyage en France, aux Etats-Unis pour intégrer des réseaux de vente plus conséquents.L’accompagnement technique de Tahiti Tourisme est vraiment stratégique sur ce point. Il faut le saluer.
C’est un travail de fond, il n’y a pas de baguette magique. Et tous ces gérants de pensions, ils font le travail. Ils ne sont pas passifs. Ils avancent. Allez les voir à l’occasion du Salon du Tourisme, comment ils ont fait évoluer leur offre, année après année. C’est un vrai bonheur, et selon moi, ce n’est qu’un début. Le Pays se doit d’être à leurs côtés, c’est ce que nous faisons, c’est que nous ferons toute cette année encore.

Où en êtes-vous dans l'application du plan d'action de développement touristique mis en place jusqu'en 2020?
Déjà un quart de réalisé. Encore 20% de plus déjà engagé. Avec notre équipe, nous avons planifiés encore une trentaine d’actions supplémentaires — sans compter tous les à-côtés, les opportunités et les projets qui ne sont pas dans la stratégie initiale. Bref, si nous avançons convenablement, ce gouvernement aura déployé ou initié plus de 60% des actions d’ici à 2018. Sans doute faudra-t-il ensuite évaluer tout ce travail fait à mi-parcours, mais on est dans les temps par rapport aux objectifs fixés pour 2020.

Le tourisme asiatique est-il toujours une priorité pour la Polynésie ? Faut-il créer de nouvelles liaisons aériennes ?
J’ai eu l’occasion d’ores et déjà de rencontrer Michel Monvoisin, PCA d’Air Tahiti Nui et le chef de service de la direction polynésienne de l’aviation civile : de ces 2 rencontres, je constate que les routes aériennes nous sont ouvertes à travers le monde.
Mais le développement de ces dessertes ne se décrète pas. Il nous faut créer les conditions d’exploitations d’une telle ligne. Cela a été initié. Les accords avec les autorités aériennes chinoises le permettent. Il faut maintenant travailler avec les opérateurs chinois. Nous poursuivons les contacts, les échanges, les tests produits. Ainsi, nous serons prêts, tant en Polynésie que sur le continent asiatique, pour lancer une nouvelle ligne. Vous aurez notez que le marché chinois est celui qui a le plus progressé.

Si on lit les 134 actions prévues dans le plan de stratégie du développement touristique, la Polynésie tendrait vers un tourisme durable, un tourisme vert en 2020 Or ce n’est pas vraiment compatible avec le tourisme de masse qu’implique le tourisme chinois ?
Notre développement touristique s’est élaboré sur deux piliers : le tourisme balnéaire d’une part, et l’authenticité polynésienne d’autre part. Oui, nous avons besoin de flux, non pas de masse — on est très loin, vraiment très loin, des « destinations de masse » — mais je dirai de « flux balnéaires », des voyageurs qui consomment des vacances sans vraiment pleinement savourer ce qui peut l’être. Ces flux nous apportent un socle de revenus, des possibilités logistiques, de transports internationaux, d’économies d’échelles également, qui sont importantes pour structurer notre destination.
Mais, à côté, ce tourisme durable, culturel, vert et bleu, c’est véritablement là que nous sommes différents, que nous sommes uniques, que l’expérience que nous proposons n’a rien à voir avec celle des Seychelles, des Antilles, ni même de Samoa ou de Fidji.
Alors oui, c’est là qu’il faut appuyer, c’est en cela qu’il faut mettre nos moyens, nos efforts, pour être une destination « pas comme les autres ». Et vous verrez, j’en suis convaincue, que d’ici une décennie, pas plus, le tourisme chinois que nous recevrons ne viendra pas chez nous par hasard ou par effet de mode, mais par choix, par adhésion, par désir.

Où en est le projet du Tata'a beach ?
Le groupement d’investisseurs qui porte ce projet a rencontré le gouvernement. Ils en ont fait une présentation détaillée. D’autres groupes d’investisseurs ont fait part de leur intérêt pour la réalisation du projet d’aménagement du site de Outumaoro. Le Pays propose un cadre attractif. Teva Rohfritsch, Vice-Président en charge des grands projets d’investissements pilote désormais ce projet en liaison étroite avec les ministères concernés dont celui du tourisme.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Vendredi 3 Février 2017 à 04:30 | Lu 5428 fois