Tourisme : Les locations touristiques, "l'équivalent de trois nouveaux hôtels"


Emily Biotteau-Colas travaille dans la location saisonnière depuis 2011. Elle a lancé Tahiti Homes en 2013, qui est aujourd'hui le plus gros acteur du secteur avec 50 propriétés en gestion.
PAPEETE, le 22 octobre 2015 - Ces dernières années un phénomène a pris de l'ampleur en Polynésie : les locations touristiques. 350 appartements, maisons, villas et même motu privés sont proposés à la journée aux locaux et aux touristes. Emily Biotteau-Colas, qui a créé la plus grosse entreprise privée du secteur, nous en explique les ressorts.

Au début de la décennie, il y avait en Polynésie moins d'une centaine de propriétés proposées en location saisonnière. C'était un petit marché, où des propriétaires louaient directement leurs biens à des locaux. Mais à travers le monde, le secteur connaissait alors une transformation fulgurante, poussée par la start-up AirBnB créée en 2008. L'entreprise de la Silicon Valley n'en finit plus de grossir depuis et elle est aujourd'hui valorisée plus de 25 milliards de dollars, soit plus que la chaîne hôtelière Marriott (environ 21 milliards) et elle se rapproche de Hilton (28 milliards). Sur les 12 derniers mois, 30 millions de voyageurs ont utilisé le site…

Ce succès reflète un changement profond dans les habitudes de certains touristes. Voyager en étant "comme à la maison", faire des économies substantielles par rapport au voyage classique hôtel+restaurants, s'insérer plus profondément dans la culture locale… Une nouvelle façon de voyager est née, et son impact se fait sentir jusque chez nous.

Car entre 2011 et aujourd'hui, le nombre de locations saisonnières en Polynésie a explosé : il y en avait 80 il y a quatre ans, il y en a 350 aujourd'hui selon les estimations de l'ISPF et d'Emily Biotteau-Colas. Cette dernière est la fondatrice de Tahiti Homes (tahiti-homes.com), la plus grosse entreprise du secteur. Lancée en 2013, la société qui a le statut d'agent immobilier gère aujourd'hui 50 propriétés proposées à la location internationale. Elle a deux autres concurrents qui, selon elle, gèrent chacun une vingtaine de propriétés. Le reste est proposé directement par les particuliers. "Bref, ce n'est plus un marché de niche, on est à au moins 750 chambres de disponibles en plus des hôtels, donc c'est comme si trois hôtels s'étaient ajoutés. Mais les locations ne sont pas disponibles toute l'année."

PAS DE CONCURRENCE AVEC LES PENSIONS ?

Emily explique qu'en deux ans, elle a déjà créé deux emplois et demi, des indépendants. "On gère à ce jour 50 propriétés sur 5 îles, sachant que 4 seulement sont hors de Tahiti et Moorea. Ça va de l'appartement entièrement équipé, à la maison, la villa et même l'île privée, des motu. On offre un vrai service de conciergerie aux touristes, et pour les propriétaires c'est tout bénéfice. Pour eux ce sont soit des maisons secondaires, soit ils ne vivent qu'une partie de l'année en Polynésie, mais de toute façon ils n'auraient pas le temps de s'occuper de les mettre en location saisonnière. Donc là ça leur fait un revenu supplémentaire et de quoi payer les charges, l'entretien de la maison, etc."

D'emblée, l'entrepreneuse se défend d'être un concurrent pour les établissements établis. Il faut dire que les pensions, en particulier celles de Moorea, commencent à critiquer vertement ces locations saisonnières qui ont des charges largement inférieures aux leurs et "casseraient" le marché. La patronne de Tahiti Home leur répond : "La clientèle que nous accueillons ne serait pas allée en hôtel ou en pension de famille. Ces clients ont pour habitude de louer des biens pour leurs vacances. Après, les pensions de familles ne comprennent pas pourquoi les propriétaires ne sont pas soumis à la même réglementation vétérinaire, les impôts, les normes et autres. Mais les propriétaires ne font pas ça comme activité principale, contrairement aux pensions de familles qui, elles, sont soumises aux normes d'accueil du public. Malgré tout, les propriétaires doivent respecter des règles. Ils doivent prendre la patente de logeur, L05, ils sont soumis aux déclarations fiscales sur leur chiffre d'affaires, ils doivent collecter 5% TVA, ils doivent assurer leur bien... Et moi depuis 4 ans je me bats pour que la direction des impôts et le service des impôts me fasse collecter la Redevance pour la Promotion Touristique (RPT)."

La RPT est la taxe payée par les hôteliers sur chaque nuitée, instaurée à l'origine pour financer le GIE Tahiti Tourisme (aujourd'hui la taxe est versée au budget général du Pays, qui verse ensuite une subvention au GIE). Faire du lobbying pour payer une taxe alors qu'on en est exempté peut sembler étrange, mais Emily Biotteau-Colas a ses raisons : "l'idée c'est de faire comprendre au reste du monde qu'il n'y a pas que des hôtels en Polynésie. On veut payer la taxe, et qu'on fasse la promotion de notre hébergement comme celle des hôtels. Souvenez-vous des charters nautiques il y a 15 ans, personne n'y croyait. Mais aujourd'hui ça prospère, des touristes viennent pour ça et ça a créé des emplois. b[Ce sera la même chose pour la location touristique. Moi j'ai créé cette société, ce n'est pas pour m'engraisser, j'ai créé de l'emploi. Et pour paraphraser Al Keahi, 'il est temps que nous ayons une destination multidimensionnelle' : il faut arrêter de ne faire que de la lune de miel, il faut plus d'activités. Nous on est d'ici, on veut développer et on ne va pas partir avec la caisse."

DES TOURISTES PLUS AVENTURIERS

La différence entre les touristes traditionnels et ces "touristes AirBnB" est, selon Emily, profonde : "Pour certains de nos clients c’est un supplice d’aller à l’hôtel avec leurs enfants et d’avoir les autres clients les regarder de travers parce qu’au restaurant le petit dernier fait sa crise. Pour d’autres, financièrement c’est plus intéressant de partager le coût de l’hébergement et de la nourriture pour pouvoir dépenser plus dans les activités par exemple. Enfin d’autres voient dans la location d’une maison ou d’une villa la tranquillité et l’intimité que cela confère. Beaucoup de nos clients possèdent ou vivent à l’année dans des maisons de 250m² ou plus et pendant leurs vacances ils ne souhaitent pas se retrouver dans des hébergements de 40 ou même 100m². C’est un mode d’hébergement différent et parfois complémentaire, car certains hôtels m’appellent pour leurs clients. Il n’est pas rare de voir des voyageurs séjourner dans une villa à Tahiti et Moorea et de les retrouver à Bora bora dans un grand hôtel ou aux Tuamotu."

Du coup le concept d'Emily Biotteau-Colas la fait aujourd'hui vivre : "Ça fait deux ans et demi que j'ai lancé Tahiti Homes. Sur la deuxième année, on a eu 750 clients, pour 2000 nuitées. Ce sont des groupes qui peuvent aller jusqu'à 20 couchages, les gens restent entre 4 jours et un mois et demi. En moyenne 10 jours. Au début c'était difficile, il fallait convaincre les propriétaires que ça marcherai. Mais aujourd'hui j'en vis, et j'ai plein d'ambitions pour l'avenir. Demain je vois très bien Tahiti Homes devenir propriétaire ou gestionnaire de complexes en appart-hôtel. Je suis très intéressée par le Mahana Beach…"

Deux fois moins cher que l'hôtel

Sur AirBnB, 60 maisons, chambres ou villas sont à louer à Tahiti ou Moorea pour février prochain.
Selon les estimations d'Emily Biotteau-Colas, il est deux fois moins cher de louer une maison chez elle que d'aller à l'hôtel : "Pour une famille de quatre qui passe une semaine en Polynésie, je dirais qu'en maison d'hébergement ils dépenseraient 1800 euros maximum pour une maison avec 2 chambres, piscine, dans la montagne vue sur le lagon. En hôtel il leur faudrait déjà 2 chambres. La chambre moyenne à Tahiti est à 30 000 Fcfp la nuit… en tout on arrive à 3500 euros. Donc le double. Sachant qu'à l'hôtel ils ne peuvent pas se faire à manger donc ils doivent aller au restaurant de l'hôtel ou à l'extérieur. Tous les matins ils en auront pour 10 000 Fcfp de petit déjeuner..."

A noter que par AirBnB, on peut trouver encore beaucoup moins cher… mais sans le service de conciergerie du loueur. Quelle que soit la location, ça coute moins cher et les clients en profiteraient pour rester plus longtemps dépenser leur argent dans les commerces ou en activités. Ils pourraient aussi mieux s'imprégner de la culture locale.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 22 Octobre 2015 à 08:11 | Lu 3586 fois