Teva i Uta, la commune qui résiste à l'eau chlorée


Tahiti, le 24 août 2022 – Le dernier rapport de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de Teva i Uta, publié mercredi, détaille la situation inédite d'une commune polynésienne qui refuse la potabilisation de l'eau par “chloration”, jugée trop “agressive”. La commune de Tearii Alpha n'est donc toujours pas en mesure de respecter ses obligations de distribution d'eau potable, mais elle assume ses choix et défend d'autres solutions “innovantes” plus coûteuses et plus longues à mettre en place.
 
La “Terre des sources” n'a pas l'eau potable. La situation aussi paradoxale qu'inédite en Polynésie française est détaillée par le dernier rapport de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de la commune de Teva i Uta. Diffusé mercredi, ce rapport consacre son chapitre habituel sur les “services publics environnementaux de compétence communale” parmi lesquels figure l'alimentation en eau potable. Un potabilisation rendue obligatoire par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) et qui doit être assurée par les communes polynésiennes avant le 31 décembre 2024. Sauf que la situation de Teva i Uta est assez unique en son genre sur ce sujet…
 
La chloration “agressive”
 
La commune administrée depuis 2014 par l'actuel ministre de l'Agriculture, Tearii Alpha, refuse en effet de potabiliser son eau par “chloration”. Teva i Uta juge le procédé trop “agressif”. C'est en tous cas ce qu'explique le maire, qui précise qu'il s'agit d'une opinion partagée par sa population. Le système est pourtant “très répandu en Polynésie française, en France ainsi que dans le monde”, précise la chambre territoriale des comptes. Et pour la juridiction financière, cette décision prise aujourd'hui sans autre solution de remplacement a pour conséquence immédiate de “dénier un droit à l'eau potable inscrit dans le CGCT et reconnu par les instances internationales”. Teva i Uta ne réalise même plus l'autocontrôle de son service public de distribution d'eau depuis 2007 “au mépris de la réglementation en vigueur”, précise le rapport.
 
“Ce défaut de potabilité est d’autant plus regrettable que la commune dispose de ressources en quantité et qualité suffisante, et que des équipements de potabilisation ont été subventionnés et installés”, déplore la chambre territoriale des comptes. En effet, la commune a équipé deux réseaux de stations de chloration –Vaite et le Bain des Vierges– qui ont été réceptionnés en 2017. Mais ces stations n'ont pas été mises en service, en raison de l'opposition des habitants de la commune. La chambre territoriale des comptes précise qu'elle “ne discute pas le choix du type de potabilisation”, mais regrette que les stations de chloration aient été “commandées et financées” par la commune. Commune qui s'est d'ailleurs engagée à rembourser la part des subventions perçues pour ces équipements : 11,8 millions de Fcfp ! “Ces subventions n’ayant servies qu’à un équipement non mis en œuvre”, constate le rapport.
 
Teva i Uta assume ses choix
 
Pour autant, la commune de Teva i Uta assume parfaitement le caractère très singulier de ses choix en matière d'eau potable. À partir de février 2020, la commune a installé deux fontaines publiques dont l'eau est traitée par ultraviolets (UV). Des installations qui ne concernent pour l'instant que deux des trois sources (Bain des Vierges et Vaihiria) et qui ne sont évidemment pas suffisantes pour la potabilisation de l'eau sur l'ensemble de la commune, ni chez les particuliers.
 
Le principal projet de potabilisation individuelle avancé par la commune est celui d'un système individuel de filtration chez les particuliers. La commune se chargerait d'acheter des dispositifs individuels pour chaque foyer et d'en assurer l'entretien. Là encore, un projet “inédit” en Polynésie française, relève la chambre territoriale des comptes. Deux options sont annoncées : soit un système individuel en entrée du foyer pour assurer une désinfection sur l'ensemble des points d'eau de la maison, soit un système de potabilisation sur robinet –au niveau de l'évier de la cuisine– pour assurer un point unique d'arrivée d'eau potable par foyer.
 
La première option a été chiffrée à 320 millions de Fcfp pour l'achat des équipements et 60 millions de Fcfp d'entretien par an pour le renouvellement des filtres. La seconde a été évaluée à 80 millions de Fcfp d'investissement initial des filtres à robinet, puis 24 millions de Fcfp annuels pour leur renouvellement. Deux choix jugés “onéreux” par la chambre et dont la complexité juridique et en termes de responsabilité pour la commune en cas de “contamination” n'apparaît pas très opportune pour la chambre. Dernier problème, le financement de cette solution inédite n'est pas assuré. Son caractère incertain rendant tout subventionnement public délicat…
 
La deadline de 2024
 
Une autre alternative à la chloration a été avancée par Teva i Uta pendant le contrôle de la chambre territoriale des comptes. Il s'agit de “l'ozonation”. Le maire de Teva i Uta, Tearii Alpha, a défendu auprès de la juridiction financière l'utilisation de cette méthode en Métropole dans la ville de Grenoble. La méthode présente l'avantage d'être une solution collective et non individuelle, mais là-aussi “son caractère innovant risque de retarder la potabilisation de l’eau”, constate le rapport. Inédite à l'échelle de la Polynésie française, elle nécessitera notamment des études de faisabilité.
 
La chambre territoriale des comptes, qui examine la gestion des collectivités, conclut sur ce point en rappelant à Teva i Uta que l'obligation pour les communes de distribuer de l'eau potable à ses administrés a été votée en 1999 par l'assemblée territoriale. Elle recommande donc à la commune de la côte Ouest “d'assurer dès 2022 la potabilisation de l'eau”, mais constate dans le même temps qu'avec le “maintien du refus de la chloration” : “la potabilisation de l’eau risque de n’être réalisée qu’après la date recommandée et à des coûts peu soutenables pour les finances communales”.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 24 Aout 2022 à 21:12 | Lu 2841 fois