Tepuaraurii Teriitahi : “Le premier débat, c'est le pouvoir d'achat”


Tahiti, le 13 juin 2022 – Arrivée en tête sur la deuxième circonscription, la candidate du Tapura aux législatives et présidente du groupe majoritaire à l'assemblée, Tepuaraurii Teriitahi, répond aux questions de Tahiti Infos avant le second tour du 18 juin prochain. Inflation, pouvoir d'achat et retour des fonctionnaires d'État polynésiens au programme, avec un large détour par l'intérêt d'un “dialogue constructif” avec Paris.
 
Au vu des résultats du premier tour, est-ce que vous vous attendiez à davantage de voix d'avance sur le candidat du Tavini ?

“C'est vrai que par rapport aux chiffres, je suis agréablement surprise d'être finalement en tête. Parce que pour revenir sur cette soirée électorale, l'instant d'un moment, j'ai même cru que je n'étais pas au deuxième tour. J'ai d'abord reçu les résultats de Mahina, de Papara et de Paea… Et avec cette configuration de chiffres, je n'étais pas au second tour. Et au cours de la soirée, j'ai finalement appris que j'étais devant. Mais c'est vrai que j'espérais quand même avoir une meilleure avance. Je constate que cette avance est courte et que tout reste à faire pour le second tour.”
 
Est-ce que vous avez une crainte sur les reports de voix, parce qu'il y a à la fois les voix des souverainistes du Amuitahira'a et du Hau Maohi Tiama, mais aussi celles a priori opposées au Tapura du A Here ia Porinetia ?

“Effectivement, ce qui est à craindre c'est ce qui s'était passé à la présidentielle. On a cette expérience où au second tour, on a voté plutôt contre un parti que pour un candidat. Tous les partis en face du Tapura se sont unis et ont reporté leurs voix contre le Tapura et pour Marine Le Pen finalement. Donc, évidemment on peut avoir cette crainte pour cette élection. Mais je pense aussi qu'avant d'aller chercher une éventuelle réserve du Tapura, on va parler des abstentionnistes. Il n'y a que 40% des électeurs qui se sont déplacés. Beaucoup de personnes qui ne sont pas venues au premier tour, parce que traditionnellement c'est comme ça quand il y a trop de candidats. Les gens sont un peu perdus et préfèrent attendre le premier tri et se retrouver en face de deux noms. Là aussi, je suis très contente parce que je sais qu'on est deux, mais je suis la seule à dépasser les 12,5% des inscrits. Et je me dis qu'au deuxième tour, on devrait avoir plus de participation. Donc pour notre campagne, on vient inciter la population à voter. Sur les reports de voix, je pense que les électeurs, sur cette élection, regarderont davantage le candidat. Il y a la notion d'insatisfaction contre le Tapura effectivement. Mais il y aura aussi la personnalité des candidats. Il suffit de voir l'intérêt que les spectateurs auront pour les débats, pour les live, pour les articles… On sent bien l'intérêt. Et c'est une bonne chose, parce qu'il ne faut pas se tromper d'élection. On n'est pas encore aux territoriales. C'est dans un an. Et si les gens ont envie de changer la gouvernance, ils verront à ce moment-là. Mais aujourd'hui, on est dans des élections législatives. Il ne faut pas se tromper sur le rôle des députés. Les députés doivent aller en France pour ramener quelque chose et ne pas faire uniquement de l'idéologie. On peut porter ses idées, on portera la voix de la Polynésie. Mais l'objectif au bout du compte, c'est de ramener quelque chose qui puisse bénéficier à la Polynésie et bénéficier aux Polynésiens. Parce que les débats que l'on a sur la modification du statut, ce n'est pas le quotidien des Polynésiens. Aujourd'hui, les Polynésiens voient la hausse du coût de la vie, ont faim, manquent de moyens et d'emplois. Et tout ça ne pourra être réparé qu'en créant de l'emploi, en ramenant des moyens qu'on a l'opportunité d'aller chercher en métropole.”
 
La campagne s'est d'ailleurs un peu réorientée sur ce débat autonomie-indépendance, parce que ce positionnement bénéficie a priori au Tapura. Ce que vous nous dites, c'est que ce n'est pourtant pas l'enjeu de cette campagne ?

“Non, pour moi le premier débat c'est le pouvoir d'achat. Alors j'entends tout de suite les gens qui vont réagir en disant que c'est à cause de nous que le coût de la vie a augmenté. Je donne souvent l'exemple du punu puatoro qui est un produit que les Polynésiens achètent et sur lequel il n'y a pas de TVA sociale, parce que c'est un PPN. Et lorsque vous allez au magasin… Il y a un mois, le punu puatoro était à 400 Fcfp. Aujourd'hui, il est à 700 Fcfp. Donc dire que c'est la TVA sociale qui est à l'origine de la hausse du coût de la vie, non. Effectivement, cette décision que nous avons prise n'est pas tombée au bon moment parce que d'autres facteurs comme le coût du transport ou la rareté de certains produits dans le monde ont fait qu'il y a eu une augmentation. Mais le fait qu'on vote la TVA sociale à ce moment-là est venu un peu embrumer tout le monde. La politique s'en est mêlée et nos adversaires nous accusent d'être à l'origine de cette hausse. Mais rapidement, si nous avons pris cette décision, c'est parce que nous n'avions pas le choix. Si nous n'avions qu'une vision démagogue, comme certains nous accusent de l'être pour d'autres décisions, nous n'aurions pas pris cette mesure à ce moment à quelques mois des élections. Je le dis constamment en meeting, il faut être un peu cinglé pour prendre une telle mesure juste avant une élection. Effectivement, on savait qu'on allait se faire flinguer, mais on n'a pas pensé élection à ce moment-là. Parce que lorsqu'on prend des décisions, on n'est pas toujours en train de se demander si on va gagner les prochaines élections. On prend des décisions qui agissent sur la vie des gens. Et là en l'occurrence, il s'agissait de sauver les retraites et les allocations.”
 
Mais sur le débat autonomie-indépendance, il n'a pas lieu d'être ?

“Si, je veux revenir dessus. Ce n'est pas l'intérêt du Tapura de mettre cet argument en avant. C'est l'intérêt de la Polynésie. Parce qu'imaginez que demain, trois députés bleus gagnent les élections. Quel est le message qu'on porte à Paris ? Celui que la majorité des Polynésiens ont choisi de mettre en place des députés issus d'un parti indépendantiste. Donc, en raccourci, la Polynésie s'inscrit dans un processus d'indépendance. Or aujourd'hui, je pose la question, est-ce qu'on est là-dessus ? Est-ce que c'est la volonté des Polynésiens de s'inscrire dans un processus d'indépendance ?…”
 

“Si trois députés bleus gagnent les élections, quel est le message qu'on porte à Paris ?”

Sur le pouvoir d'achat, concrètement, comment peut-on influer sur le cours des choses en étant élue députée à Paris ?

“C'est une des premières actions que je veux mener. Il existe des fonds de solidarité exceptionnels. Et on a vu il y a quelques jours la ministre des Outre-mer indiquer que les collectivités ultra-marines pourraient bénéficier d'un soutien par rapport à toutes les mesures qui pourraient être prises pour compenser la hausse du coût de la vie. Nous avons déjà mis en place, au niveau local, des dispositifs pour contenir cette hausse. Il y a le prix du pain. Si on devait suivre le cours de la farine, le pain devrait être à 100 Fcfp aujourd'hui. On ne le veut pas, parce qu'on sait qu'aujourd'hui c'est un produit de base pour les Polynésiens. (…). Nous sommes également intervenus pour limiter la hausse des prix du carburant. Tout cela a un coût. Aujourd'hui, c'est presque 10 milliards de Fcfp en plus dans le budget du Pays. Donc, demander un fonds de soutien exceptionnel permettrait de récupérer des fonds et de continuer à amortir la hausse. Parce qu'on n'est pas au bout de nos peines. On est dans une période très difficile. Les choses ne vont pas s'améliorer. La pénurie va être de plus en plus grande. La guerre est toujours en cours entre l'Ukraine et la Russie. La farine va être de plus en plus rare. Le tournesol va être de plus en plus rare. Toutes ces choses vont avoir un impact sur les prix. Et si on veut contenir cette hausse et soutenir nos dispositifs, il nous faut un fonds. Ce que j'aimerais plaider au plus vite. En parallèle, nous pourrions également récupérer certains fonds à placer à la Caisse de prévoyance sociale. C'est le fameux retour de l'État au financement de la solidarité.”
 
C'est l'un des points de votre programme. Vous souhaitez, au même titre que le retour de l'État au financement du régime de solidarité entre 2015 et 2020, obtenir des fonds nationaux pour financer la protection sociale ?

“C'est exactement ça. Il s'agit de pérenniser la contribution de l'État. Évidemment, cela va se faire par des conventions entre le Pays et l'État. Et le rôle des députés, c'est de faire du lobbying au préalable, d'être un relai actif pour pérenniser ces contrats et en signer de nouveaux. Nous avons le contrat de projet, la défiscalisation qui arrive à son terme en 2025… Et le rôle du député, c'est d'être présent à Paris, auprès des ministères, dans un dialogue et non pas dans un conflit perpétuel. J'entends souvent qu'on nous reproche d'aller faire allégeance à Macron. Il ne s'agit pas de ça. C'est simplement d'entrer dans la maison pour pouvoir discuter. C'est comme quand on reçoit quelqu'un chez soi. Quand on reçoit quelqu'un qui crie, on n'a pas pas envie de l'accueillir parce que c'est conflictuel. Alors que quand on a quelqu'un qui frappe à la porte pour parler, c'est constructif et on l'accueille beaucoup plus facilement. Et on est beaucoup plus enclin à coopérer. C'est ce qu'on veut. C'est continuer ces partenariats. On n'est pas l'esclave de la France. Je ne peux pas entendre ce discours-là.”
 
Donc on peut être dans un dialogue constructif avec l'État sans avoir à être dans une relation de subordination, c'est ce que vous nous dites ?

“Tout à fait. Pour moi, la France est un partenaire. Je n'ai pas cette impression d'une suprématie nationale. On est dans un partenariat dont aujourd'hui on ne peut pas se passer. Encore moins dans le contexte actuel, avec toutes les dépenses qu'on doit engager avec la crise qui nous a quand même mis sur les rotules. Et la Polynésie s'en sort bien. Parce que quand on voit la Calédonie qui n'arrive pas à équilibrer son budget. Nous, on arrive à équilibrer notre budget. On arrive encore à soutenir certaines mesures d'emploi. On arrive encore à faire quelques aides. Je pense que quelque part, on a aussi une bonne gestion et un bon partenariat avec l'État.”
 
Sur un dernier sujet, qui vous tient à cœur en tant que fonctionnaire d'État polynésienne, la protection de l'emploi local s'est beaucoup invitée dans la campagne du premier tour. Il y a une mesure sur laquelle vous insistez, c'est une refonte de l'indemnité d'éloignement outre-mer, parce qu'elle entrave le retour des fonctionnaires originaires de Polynésie. Expliquez-nous ?

“Effectivement, c'est presque mon bébé ce sujet. C'est quelque chose que je défendais déjà quand j'étais candidate en 2017. Il faut savoir qu'en 1952, une loi est venue disposer des différents avantages octroyés aux fonctionnaires métropolitains expatriés qui viennent exercer en Polynésie. Donc il faut se remettre dans le contexte de 1952, nous n'avions pas d'aéroport pour venir en Polynésie. On venait en bateau. Il fallait deux mois pour venir en Polynésie. Il n'y avait pas de moyens modernes de communication. Lorsqu'on avait fini son affectation, on repartait pour à nouveau deux mois de bateau. On pouvait demander à prolonger son séjour en Polynésie. Encore deux mois pour revenir… C'était le contexte de l'époque. Et à cette époque, pour motiver les fonctionnaires à venir en Polynésie, on leur avait octroyé une indemnité égale à sept fois leur salaire par trajet. Donc, pour quatre trajets, vingt-huit fois leur salaire. Il y a eu une révision il y a quelques années, pour tomber à vingt fois le salaire, à raison de cinq mois d'indemnités par trajets. Sauf qu'aujourd'hui, à mon sens, c'est totalement injustifié. Aujourd'hui, on a un aéroport. On est hyper-moderne. On est numérisé à souhait. Et je ne comprends pas pourquoi aujourd'hui, il faut continuer à attribuer ces avantages pour continuer à inciter des expatriés à venir exercer en Polynésie dans la fonction publique d'État. À mon sens, si on fait une réforme de cette indemnité d'éloignement, beaucoup moins d'expatriés seront intéressés de venir en Polynésie. Et à ceux qui me diront que c'est une perte financière pour la Polynésie, je dis non. Parce que bien souvent, cette indemnité d'éloignement retourne en métropole dès qu'elle est touchée par les fonctionnaires.”
 
Parce qu'elle n'est pas investie ici ?
 
“Non. Autant l'indexation profite à la Polynésie et je ne souhaite absolument pas y toucher. Autant l'indemnité d'éloignement, la plupart du temps, repart vers la métropole. L'annuler ne sera pas une perte pour la Polynésie, mais moins de gens seront intéressés par la Polynésie. On pourra l'annuler totalement, je le souhaite, ou la réduire. Ce sera dans la discussion. Mais surtout, inciter alors qu'on a vivier de jeunes polynésiens compétents, qui ont passé une formation, dont les parents les ont poussés à faire des études pour leur permettre de prendre ces postes, je ne vois pas pourquoi on inciterait d'autres personnes puisqu'on a les personnes qu'il faut. Après, pour les postes où nous n'avons pas encore les compétences, parce qu'on n'a pas encore suffisamment d'enfants formés sur ces compétences-là, il faudra étudier ces cas particuliers. Mais en ce moment, ce sont nos enfants qui sont des cas particuliers puisque les CIMM (Centre des intérêts matériels et moraux) sont considérés comme des cas particuliers. Je veux inverser la tendance. Et je suis persuadée qu'il y aura beaucoup moins d'expatriés intéressés pour venir en Polynésie.”
 

​Les résultats du premier tour dans la deuxième circonscription


Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Lundi 13 Juin 2022 à 18:52 | Lu 1207 fois