Tensions au palais de justice de Papeete


Tahiti le 5 janvier 2023 - Dans un article publié le 3 janvier dernier, le journal Le Monde évoque sur les conflits qui animent le palais de justice de Papeete alors que trois inspections de la chancellerie ont été ordonnées en deux ans. Le quotidien revient également sur les vives tensions qui perdurent entre les juges du siège et le parquet.

Le quotidien Le Monde a consacré mardi une page entière à “l’ambiance tendue entre les juges du siège et le parquet” du palais de justice de Papeete. En octobre dernier, Tahiti infos révélait dans ses colonnes, que le juge d’instruction, Frédéric Vue, avait été lourdement sanctionné par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour des retards dans le traitement des dossiers, des détentions arbitraires ou encore pour des erreurs de procédure. Le magistrat a été muté d'office avec l'interdiction définitive d'exercer à l'instruction.

Notre confrère Franck Johannès révèle que ce dernier et son conjoint avaient entamé une procédure de délégation de l'exercice de l'autorité parentale et avaient déposé un “congé pour adoption”. Le procureur général, qui avait déclaré dans la presse que “l'on se cache derrière le fa'a'amu pour faire de la sous adoption” avait demandé au procureur de la République Hervé Leroy de diligenter une enquête pénale pour “provocation à l’abandon d’enfant avec possibilité de le contraindre par la force s’il ne se rendait pas à une convocation”.

“De mémoire de magistrat, on n’avait jamais vu ça”, affirme le journaliste du quotidien. Cette enquête, menée “secrètement”, a créé, selon Franck Johannes, un “scandale” au palais de justice. À la demande du juge d'instruction, Frédéric Vue, Thomas Pison “a dû dépayser l’affaire chez son collègue de Nouméa” qui l’a “vite classée” pour “faute d’infraction” : “Un sérieux désaveu pour le parquet de Tahiti”, juge le journaliste du Monde.

Pour rappel, la Cour de cassation, saisie par le parquet général qui avait formé des pourvois contre des décisions de la cour d'appel ayant accordé la DEAP à des couples, a considéré en septembre dernier que les adoptants doivent être des “proches dignes de confiance”, soit “un membre de la famille, un proche digne de confiance, un établissement agréé pour le recueil des enfants ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance” comme le stipule l'article 377 du Code civil et “ne saurait être un étranger”. La cour a rappelé que la délégation de l’autorité parentale “n’a pas pour objet de rendre un enfant adoptable”.

La “prise de pouvoir” du parquet sur les juges du siège

Dans nos colonnes, nous révélions également que plusieurs inspections de la chancellerie ont été menées au fenua. “Ce qui constitue un record, surtout pour une si petite juridiction”, selon Franck Johannes. Le CSM a envoyé un courrier à la chancellerie qui fait état des “dysfonctionnements de la hiérarchie” et “des souffrances au travail des magistrats », indique Le Monde.

En effet, le délégué de l’Union syndicale des magistrats et juge d'instruction, Frédéric Vue, avait dénoncé la “prise de pouvoir” du parquet, indique le quotidien. Le président du syndicat Ludovic Friat, a expliqué au journal Le Monde que, selon lui, le procureur général s’est conduit comme “une sorte de proconsul plénipotentiaire sur un confetti d’empire”, avec un procureur de la République, “magistrat­ colonel honoraire”, ‘qui se coule dans la volonté’ de son supérieur”

Profonds désaccords

Selon Le Monde, Thierry Polle a même “suggéré au ministère de prendre des mesures disciplinaires” à leur encontre pour “atteinte aux conditions d’exercice impartial et indépendant des fonctions du siège”.

La présidente du Syndicat de la magistrature, Kim Reuflet, a indiqué à Le Monde qu'elle estime qu'“il y a une grande souffrance au travail” et qu'elle craint qu’ils en viennent aux mains. Tous pointent du doigt le mutisme de la direction des services judiciaires, selon Franck Johannès. “Un procureur général peut se payer un juge du siège sans que ça gêne qui que ce soit”, a déclaré Ludovic Friat à notre confrère. Toujours selon le quotidien, le rapport de mission de la chancellerie fait état “de profonds désaccords et des positionnements juridiquement contestables de la part du procureur général”, qui ont fragilisé “la dyarchie” alors qu’il a “outrepassé ses compétences” en s’immisçant “dans les pouvoirs propres des magistrats du siège”.

Le rapport relève par ailleurs “la forte attente de certains magistrats pour lesquels la seule issue à leur mal-être reste le départ des personnes qu’ils estiment être à l’origine des situations de stress qu’ils subissent, à savoir le procureur général et le procureur de la République”, indique notre confrère. Le Monde affirme également qu’au niveau du palais de justice “personne ne comprend que ces dysfonctionnements n’entraînent pas une enquête disciplinaire contre le procureur et le procureur général”.

Et pour conclure, Franck Johannès rappelle que la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, s’est étonnée, lors de sa visite en Polynésie, du fait que “le taux d’incarcération soit […] le double de celui de la métropole”, et a dénoncé “les incohérences de la politique d’application des peines, les dossiers mal tenus et les insuffisances du parquet”.

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Jeudi 5 Janvier 2023 à 20:52 | Lu 4249 fois