Teihotua Tehei : L'homme qui façonnait le son


Tahiti, le 5 mai 2022 - Enseignant en percussion et membre de l’orchestre traditionnel du conservatoire d’art et de musique de Polynésie, Teihotua Tehei est aussi l’un des fabricants de to’ere les plus talentueux de Tahiti. Considérant chacun de ses instruments comme des personnalités à part entière, il participe à la sauvegarde des précieux savoir-faire qui font vivre l’instrument ancestral.

Il est l’un des cinq fabricants de To’ere de toute la Polynésie, et sans doute l’un des plus talentueux. Teihotua Tehei le dit lui-même : il vit littéralement pour la percussion, depuis toujours. Mais aujourd’hui, pour ce musicien et enseignant du conservatoire, fabriquer le To’ere est devenu un aspect majeur de sa vie.
« Je pense que mon destin était déjà tracé »,  explique Teihotua Tehei. « Mon papa était un musicien connu ici à Tahiti, et ma maman une danseuse également reconnue. Je viens de là. Mes parents m’ont fait baigner dans la culture polynésienne durant toute mon enfance. J’ai commencé à taper à l’âge de 9 ou 10 ans. Je ne crois pas avoir vraiment désiré faire ces instruments, je pense que c’était tout simplement en moi».

Souhaitant voyager tout en continuant la percussion, il quittera le Fenua à l’âge de 17 ans pour partir vivre six ans en Espagne, puis repartira en 2013 pour le Mexique où il enseignera la percussion et travaillera pour une école de danse. Il découvrira là-bas un réel intérêt des habitants pour la culture polynésienne au sens large. En revenant au Fenua trois ans plus tard, c’est la rencontre avec un certain Wilson Mahuta qui va amener un changement majeur dans sa vie.
« C’était un ancien, et c’est lui qui m’a appris à faire cet instrument », raconte-t-il. « J’allais tous les jours, pendant 6 mois, apprendre auprès de lui dans son atelier les gestes justes. Il est décédé en 2017, et de mon côté j’ai décidé de continuer. J’ai alors installé mon atelier chez mes parents pour me lancer petit à petit. A force de travail, je pense avoir réussi à acquérir un certain niveau. Je sentais que ça venait, je prenais de plus en plus de plaisir,  et je voyais mes instruments s’améliorer ».
Aujourd’hui Teihotua a forgé une réputation qui résonne au-delà de la Polynésie, et vend régulièrement ses instruments au Mexique ou même au Japon.

Teihotua utilisent deux essences de bois locales pour réaliser l’instrument : le miro et le 'aito.

La recherche du son

L’instrument, qui appartient depuis des siècles à la culture polynésienne, ne peut naître que d’un savoir-faire transmis par les anciens. Qu’il s’agisse du choix des bois ou de la manière de creuser la matière, le To’ere est un instrument de percussion bien plus complexe qu’il n’y paraît, et ne sonnera pas correctement tant que les gestes employés pour sa fabrication ne seront pas parfaits. « La moindre variation dans la profondeur va changer le son et la puissance de l’instrument », explique-t-il. « Lorsque je fabrique le to’ere, je ne pense à rien d’autre qu’à sa réussite dans sa vie d’instrument. Pour chacun d’entre eux, je dois creuser jusqu’à trouver le son juste. Alors je creuse, puis je tape. Je creuse encore, puis je tape. Pour l’école, je sais quel est le son qui conviendra le plus, et ça ne sera pas la même que celui d’un instrument destiné au heiva, qui sera alors beaucoup plus puissant, car c’est un combat, où tu pars en guerre contre les autres groupes ».
 
Des techniques nouvelles

Comme l’explique Teihotua, le To’ere se fabriquait autrefois à la main, à l’aide d’un rabot manuel. Aujourd’hui, on fabrique cet instrument ancien en employant des outils modernes. Si apparemment certains d’y voir un manque d’authenticité, l’emploi d’une tronçonneuse pour creuser l’instrument offre un énorme gain de temps, sans lequel l’artisan ne pourrait répondre aux sollicitations grandissantes.
« Mon papa m’a toujours dit que pour faire le To’ere il fallait du miro », explique-t'il. « A son époque, il n’y avait que ça comme bois local suffisamment dense. C’est un bois extrêmement dur. Je ne pourrais pas travailler autrement qu’avec la tronçonneuse. Les baguettes, elles, qu’on appelle raau, doivent être fabriquées dans ce que l’on appelle à Tahiti le bois de fer, qui est encore plus dur. Elle ne pourrait être faite dans un autre bois ».

Comme un archet l’est pour un violon, chaque baguette ainsi va avoir sa singularité propre, et correspondra au jeu du musicien qui possèdera l’instrument. Teihotua va les tailler en fonction de chacun, et c’est là encore une spécificité qu’il apprécie dans son métier : même si les instruments se ressemblent, il ne ressent pas la moindre routine en les réalisant.
« C’est spécial pour moi, à tel point que je parle avec eux, je les remercie quand ils sont enfin terminés, car c’est grâce à eux que je vis aujourd’hui », ajoute-il.
Quand je termine, je peux rester plusieurs heures devant, je les remercie, car c’est grâce à eux que je vis.

Lorsqu’un tō’ere est terminé, Teihotua passe des heures à le contempler, lui parler, et le remercier.

Rédigé par Simon Saada le Jeudi 5 Mai 2022 à 17:22 | Lu 1398 fois