Tatouage marquisien : identité «encrée» dans la peau


La pratique du tatouage serait née il y a environ 1500 ans aux îles Marquises. De là, cet art a déferlé à travers toute la Polynésie, se perpétrant même jusqu'aux mégalopoles européennes et américaines. Avec le temps, l’esthétique a primé sur la signification des motifs et leurs origines. La christianisation n’est pas étrangère à l’oubli forcé de ces signes qui, une fois rassemblés, distinguaient des individus de tribus différentes. Les spécialistes de cet art, appelés « tuhuka Patutiki », traduit par le maître du tatouage, n’hésitent pas à comparer la signification des motifs à celle d’une « carte d’identité » ou d’un « passeport », preuve d’une notion originelle d’identification.

D’un point de vue général, les Mäòhi s’adonnaient au tatouage pour plaire à Ta'aroa, le dieu tout puissant, dont les fils s'étaient fait tatouer pour séduire leur entourage, et plus particulièrement leur propre sœur. Symbolisant la beauté et le charme, le tatouage devient rapidement un rite essentiel dans la civilisation Mäòhi, tant chez les hommes que chez les femmes. Il était inconcevable de ne pas être tatoué sous peine d’être la risée de toute la population. A cette époque-là, Seuls les tahua tatau, des prêtres habilités à officier dans l’art du tatouage, avaient le droit d’exercer cet art divin.

En reo mäòhite tatau signifie «taper doucement». L’outil utilisé pour le tatouage se nomme le «ta». Il s’agit d’un peigne comportant plusieurs dents, en os, mais parfois en nacre en écaille de tortue, fixé à un manche en bois. Ainsi, le tatouage consistait à inciser légèrement la peau pour y introduire un colorant foncé à l'aide du peigne à tatouer afin d’y graver des motifs divers. Une petite palette en bois servait de maillet pour frapper le peigne. La technique n’était pas très différente d’un archipel à un autre.

Mais les motifs et styles les plus répandus dans le monde du tatouage polynésien restent sans conteste ceux des îles marquises, car dès le début du 19e siècle jusqu’au début du 20e siècle, des scientifiques russes, allemands et américains sont venus relever ces « mystérieux symboles » dans cet archipel et ont publié plusieurs ouvrages très complets sur les marquisiens et leur art.

Citons Willowdean Chatterson Handy, l’épouse du fameux ethnologue américain Edward Smith Craighill Handy, qui livre ses impressions dans un bulletin édité en 1922 par le Bishop Museum ([http://hbs.bishopmuseum.org/pubs-online/pdf/bull1.pdf]url:http://hbs.bishopmuseum.org/pubs-online/pdf/bull1.pdf ). Elle y décrit en détail l’utilisation des motifs et leur signification dans l’ancienne civilisation marquisienne.
 
Vingt-cinq ans plutôt, un autre ethnologue, allemand, Karl Von Den Steinen avait passé six mois sur l’île de Nuku hiva. Ce sont tous ces travaux réunis, parfois dans des conditions difficiles, qui ont permis aux tatoueurs marquisiens de perpétuer, parfois avec des lacunes et une mauvaise compréhension des sens, cet art fabuleux. De l’avis unanime des ethnologues cités, le patutiki, relevait du monde mystérieux marquisien et soutenaient la thèse d’une utilisation par concordance selon le statut social d’un individu, au sein d’une tribu.
 
 
 Des lacunes dans la compréhension des motifs
 
Teiki Huukena, originaire de l’île de Nuku hiva, est l’auteur du tout premier dictionnaire sur l’histoire et la pratique du tatouage marquisien intitulé « Te hamani ha’atuhuka : te patutiki ». Il déclare sur son site : « la signification d’un bon nombre de symboles utilisés dans la réalisation du Patutiki, s’est perdue avec le temps. La plupart de ces symboles, restés longtemps mystérieux, ont entrainé une utilisation erronée et un mélange improbable de ces motifs à la symbolique très différente (d’un archipel à un autre, d’une île à une autre, d’une vallée à une autre, d’une famille à une autre…). »
 
Les nombreuses lacunes décelées chez les tatoueurs, mais également les tatoués, a incité Teiki Huukena à effectuer des recherches approndies sur les différentes catégories de motifs. Aidé de Pierre Ottino, archéologue spécialiste des îles marquises, il a procédé à un reclassement des motifs répertoriés. (dictionnaire consultable à l’adresse suivante : [www.tiki-tattoo.com]urlblank:http://www.tiki-tattoo.com/ .)
 


Quels motifs choisir ?
 
Le choix des motifs et la finesse du dessin indiquaient le rang social du jeune guerrier et son appartenance à une lignée. Au fil des années, le corps entier pouvait ainsi être tatoué, à l’exception du visage (sauf aux Marquises où les chefs appréciaient beaucoup de se faire tatouer le contour des yeux et de la bouche, sans oublier le lobe des oreilles et le nez...), de la paume des mains et de la plante des pieds.

Autrefois, différentes «écoles d’initiation » à cet art existaient. Là, on y enseignait les thèmes les plus élaborés ainsi que leur sens. Cependant, la censure qu’ont exercé les missionnaires durant le XIXè siècle a bien failli occulter définitivement cette pratique ancestrale. Des témoignages d’époque rapportent que ceux qui perpétuaient cet art étaient passibles d’excommunication sur une île isolée, comme celle d’Eiao située à une centaine de kilomètres au nord est de Nuku hiva. La crainte s’est vite transformée en résignation, au point que de nombreuses familles avaient banni la pratique du tatouage de leur vie, au grand bonheur des prêtres.

Mais, les « résistants » voulaient démontrer qu’ils étaient fiers de leurs origines. Ils arboraient alors des motifs familiaux ou ceux de leur clan. Selon les îles, les motifs les plus courants représentaient des lignes brisées, en forme de Z, mais aussi des formes géométriques très classiques, carrés, cercles, rectangles, triangles, chevrons, souvent répétés plusieurs fois. Les hommes avaient une prépondérance pour les représentations d’oiseaux et de poissons, sans oublier leur adoration pour leurs dieux qui se manifestaient sous la forme d’imposants tiki aux allures menaçantes. Le simple fait de montrer ses tatouages permettaient d’identifier le clan ou la tribu d’un individu. D’où le rapprochement fait par les tatoueurs modernes à une carte d’identité. Par exemple, lorsqu’un guerrier arborait des motifs en forme de bandeau noir continu sur le visage, tous savaient alors qu’il venait de l’île de Ua pou.

Autre catégorie : les femmes. Elles, étaient généralement plus discrètes, et se contentaient de tatouer leurs poignets, leurs bras et parfois leurs jambes. Quelques-unes s’essayeront avec audace au tatouage du visage, notamment le pourtour des lèvres, renforcé par des lignes droites parallèles. Les femmes qui venaient d’enfanter se faisaient tatouer la main droite. Ces dernières furent les seules à pouvoir mélanger le « pōpoi », plat traditionnel à base de pâte fermentée de maiore.

La majorité des enfants étaient vouée au tatouage dès leur douzième année, une coutume qui marquait le passage à l’âge adulte. Les parties du corps le plus couramment tatoués à cet âge étaient les hanches, les fesses et les épaules, mais là encore, toujours selon les codes des rangs sociaux et de l’appartenance à une communauté.

Fort heureusement, après des décennies d’interdiction, la nouvelle génération marquisienne a renoué avec les motifs du passé, des motifs intrafamiliaux. Chaque famille possède son chant, ses appels incantatoires et son tatouage. Les tatoueurs, de par leur maitrise du geste et de la nuance, y ajoute l’esthétique, au nom de l’identité historique. ‘Āue te kanahau ! Kā’oha nui !

TP
 
 

Rédigé par TP le Vendredi 12 Avril 2013 à 16:04 | Lu 6105 fois