Tapura et Ahip déposent deux recours au Conseil d'État


Le Tapura et A here ia Porinetia ont déposé deux recours devant le Conseil d'État qui a trois mois pour statuer. Crédit photo AFP
Tahiti, le 10 janvier 2024 - Le Tapura et A here ia Porinetia ont déposé deux recours devant le Conseil d'État. Le premier le 29 décembre dernier contre la loi fiscale du gouvernement adoptée en décembre. Et le second, ce mardi soir, contre le règlement intérieur de l'assemblée récemment modifié par le président Tony Géros. La haute juridiction a trois mois pour statuer.
 
Ce n'est pas une surprise. Ils l'avaient déjà annoncé après avoir alerté le Tavini et le gouvernement sur la fragilité juridique de la loi fiscale telle qu'elle a été adoptée par la majorité en décembre dernier. Le Tapura et A here ia Porinetia (Ahip) ont donc joint l'acte à la parole en décidant de saisir ensemble le Conseil d'État pour contester la légalité de ce texte. Ils ont déposé un recours en ce sens le 29 décembre dernier. Les principaux intéressés en ont été informés la semaine dernière, à savoir le président du Pays Moetai Brotherson, le président de l'assemblée Antony Géros, ainsi que le ministère de l'Intérieur auquel est rattaché le ministère des Outre-mer, ce qui laisse supposer que le dossier est déjà en cours d'instruction.
 
Si, sur le fond de la loi fiscale, le recours porte sur certaines mesures comme la suppression partielle des exonérations sur les véhicules hybrides ou l'iniquité de traitement pour les locations saisonnières par exemple, c'est surtout la forme qui est attaquée. “Ce recours sur la forme est très important car c'est le règlement intérieur qui doit normalement cadrer l'ensemble du travail législatif”, a expliqué Nuihau Laurey (Ahip) à Tahiti Infos.
 
En effet, il faut rappeler le parcours pour le moins ubuesque de cette loi fiscale. Elle a été votée une première fois en commission le 21 novembre avec deux articles rejetés à l'unanimité et deux articles amendés. La majorité Tavini, avec le président Antony Géros en tête, désavouait ainsi clairement le texte du gouvernement. Il fallait donc se mettre d'accord. Mais plutôt que de suivre la procédure législative qui veut qu'un texte adopté en commission soit ensuite discuté et amendé si nécessaire en séance plénière, le président de l'assemblée a convoqué une nouvelle commission en présentant exactement le même texte, “à la virgule près”. “On les a alertés. Mais ils ont continué jusqu'à arriver à cette fragilité juridique alors que s'ils avaient juste suivi la procédure, il n'y aurait pas de souci. Les amendements auraient été votés et on n'en serait pas là”, a développé de son côté Tepuaraurii Teriitahi (Tapura) qui insiste sur le fait que l'objectif de leur démarche n'est pas de “casser le gouvernement” ni de “l'empêcher de travailler”, mais que les règles et la démocratie “soient respectées”.
 
Une décision à double tranchant
 
C'est donc ce qui a conduit les deux mouvements autonomistes à déposer un second recours, ce mardi 9 janvier au soir, contre certains articles du règlement intérieur de l'assemblée récemment modifié par le président de l'institution, Antony Géros. Car comme nous l'a confié Nuihau Laurey, il était primordial d'engager une action juridique pour “mettre le holà” à ces “dérives” dès maintenant. Car “si comme cela a été le cas pour cette loi fiscale, on peut voter, ‘dévoter’, adopter des amendements, les rejeter, les déposer au nom de quelqu'un... finalement, il n'y a plus de règles”.
 
Et concernant ce recours sur le règlement intérieur, plusieurs articles sont pointés du doigt : celui sur la commission de décolonisation qui utilise les deniers publics à des fins politiques, mais aussi la composition même de cette commission, son manque de transparence du fait qu'elle se déroule à huis clos sans qu'il n'y ait de compte-rendu, ou encore la limitation des interventions du rapporteur et du gouvernement dans le cadre du débat d'orientation budgétaire (DOB).
 
Le Conseil d'État a trois mois pour statuer. Une décision qui peut être à double tranchant si elle ne va pas dans le sens de l'opposition. Mais pour Nuihau Laurey, “c'était une nécessité parce que pour la minorité, le règlement intérieur, c'est la protection de sa capacité à s'exprimer et à pouvoir travailler normalement”. Et si la haute juridiction venait à annuler la loi fiscale, le budget du Pays adopté en décembre dernier se retrouverait en déséquilibre. Le gouvernement devrait alors présenter un collectif budgétaire en puisant dans ses réserves... qui s'amenuisent de plus en plus.
 

Tepurauraii Teriitahi (Tapura) : “Il y a un mélange des genres”

Sur la loi fiscale : “L'objectif n'est pas de fragiliser le budget. On les a alertés. Ils n'en ont pas tenu compte et ils nous ont même défiés en nous disant d'aller en justice si on n'était pas d'accord. C'est aussi ce qui s'est passé avec Tapati. Je fais un parallèle. On avait demandé au président de l'assemblée de prendre des mesures, ce qu'il n'a pas fait et il nous a dit d'aller voir la justice et c'est ce qu'on a fait. (...) Aujourd'hui, on se doit de réagir parce que le risque, c'est que dès qu'ils auront un texte qui a été voté d'une façon qui ne leur convient pas, on va recommencer jusqu'à ce qu'ils obtiennent ce qu'ils veulent. Ce n'est pas ça, la démocratie.”

Sur le règlement intérieur : “Force est de constater que le président de l'assemblée, dès qu'il voit un obstacle à ce qu'il veut faire au sein de cette assemblée, il décide de modifier le règlement intérieur sur mesure, à sa mesure. Pour la commission de décolonisation, notre recours porte sur ceux qui la composent puisqu'il n'y a pas que des membres de l'assemblée. Il y a aussi des membres du gouvernement, des membres religieux, des membres du Cesec, etc., et à huis clos, c'est là le pire ! (...)
Le président de l'assemblée a prétendu qu'il n'y avait aucun moyen financier dédié à cette commission. Mais c'est un peu déguisé. Car ils ont possibilité de recourir à des prestataires payés par le budget de l'assemblée (...) donc c'est utiliser les moyens publics pour une cause politique. (...) Sur le fait que le président de l'APF s'octroie la prérogative de retirer un texte émanant du gouvernement : là aussi il y a un mélange des genres (...) là encore, on se rend compte que le fond du décor, c'est cette lutte entre le président du Pays et le président de l'assemblée qui veut pouvoir être celui qui mène la danse.”

Nuihau Laurey (Ahip) : “Il y a une forme de tromperie des élus”

Sur la loi fiscale : “J'ai l'impression que le président de l'assemblée a peut-être regretté ses prises de position sur les deux articles qui n'ont pas été votés, et au lieu de devoir s'en expliquer en séance plénière, il a préféré, presqu’en catimini, retravailler le texte dans une autre commission. (...) Sur le fond, il y a plusieurs dispositions contestées comme la suppression partielle des exonérations sur les véhicules hybrides. Elle se fait sur la base d'un rapport produit pour le gouvernement par le service des Énergies et qui dit que les véhicules hybrides ne consomment pas moins de carburant que les véhicules thermiques, ce qui est complètement faux. On a demandé à avoir la communication de cette étude mais on ne l'a jamais eue puisqu'elle n'existe pas ! Il y a une forme de tromperie des élus finalement.”

Sur le règlement intérieur : “On attend de voir quelle sera la lecture du droit par le Conseil d'État sur tous ces points, mais surtout sur les points de procédure. Ce sera une décision importante pour nous car la majorité a poussé le curseur très loin dans le non-respect de l'organisation législative. Et si finalement le Conseil d'État nous dit, oui on peut pousser encore plus loin le curseur, eh bien cela voudra dire qu'on n'a plus besoin de règlement intérieur puisqu'on peut le réécrire à sa sauce en cours de route. (...) On ne peut pas créer des commissions à tout va ! Là, on nous propose une commission sur la décolonisation qui n'a pas de fondement. Parce que la décolonisation, ce n'est pas un sujet d'intervention publique au même titre que l'action sociale, l'action sanitaire ou la réalisation de routes, de ports ou d'aéroports par exemple. On ne peut pas utiliser les institutions et notamment l'argent public pour financer les actions politiques.”

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mercredi 10 Janvier 2024 à 18:00 | Lu 3160 fois