Tang saveur orage à la Délégation polynésienne de Paris


La Délégation de la Polynésie française à Paris a une efficacité perfectible, mais semble surtout avoir eu un management défaillant. (Photo : Présidence)
Tahiti, le 9 juillet 2023 - La semaine dernière, Tahiti Infos revenait sur l'écrémage dans les services du Pays qui voyait différents chefs de service tomber le long des pages du Journal officiel de la Polynésie française. Caroline Tang, chef de service à la Délégation polynésienne à Paris (DPF), et nièce d'Édouard Fritch, a ainsi été débarquée le 30 juin dernier.

Cette éviction de Caroline Tang, ancienne assistante parlementaire de Gaston Flosse, nommée en 2015, sans appel à candidature, par le gouvernement de la Polynésie française ne tient pas du choix hasardeux ou d'un quelconque “fait du prince” Brotherson. Tahiti Infos s'est en effet procuré le rapport d'audit commandé par Édouard Fritch à la Direction de la modernisation et des réformes de l'administration (DMRA) en juillet 2022. Cette étude qui s’intéresse au fonctionnement de l'antenne polynésienne à Paris a été rendu en fin d'année dernière. Un rapport qui revient en long et en large sur les errements, les manquements, et l'orientation désastreuse prise par la Délégation sous l'impulsion de son ancienne directrice. Un rapport qu'elle conteste, l'estimant écrit à charge, et dirigé contre elle “pour des raisons d'inimitiés”.

Remis en décembre 2022, le rapport est resté dans les cartons le temps que les territoriales se passent. “La représentation de la Polynésie française sur le sol européen et national et le suivi des dossiers est lacunaire”, explique le rapport dans sa synthèse. “De graves défaillances dans le management et la gestion ou la disponibilité d'éléments quantitatifs d'activité sont mis en exergue. Le service s'exonère de nombreuses réglementations et procédures en vigueur au sein du Pays et fonctionne sans rendre compte ou communiquer les éléments qui permettraient de suivre son activité.”

Beaucoup de questions, peu de réponses

Caroline Tang, ici à droite du président Macron, avait de nombreux agents de la DPF contre elle. (Photo : Présidence)
La DPF fonctionnait en mode bateau ivre avec une capitaine largement décriée par ses matelots. Rien ne va dans le cap choisi. Les dépenses mal ciblées, les compétences mal exprimées, un management étouffant, ont transformé la Délégation en couteau de Lichtenberg. Un couteau sans lame auquel il ne manque le manche. 

L'audit de la DMRA ne voit que deux solutions à ce problème : Transformer la Délégation polynésienne en “simple conciergerie” ou seuls cinq agents seraient nécessaires, ou “redevenir une véritable entité de représentation de la Polynésie française sur le sol européen et national”, avec un effectif cible de 18 agents 

Lors de l'audit, c'est tout naturellement vers le chef de service, Caroline Tang, que les auditeurs se sont tournés. Dès le départ, la quête d'informations sur le fonctionnement du service est devenue un cauchemar pour la DMRA. Les salariés répondaient aux questions depuis leurs boîtes mails personnelles “de craintes d'être espionnés ou de représailles”. Quant à la chef de service, c'était silence radio. Vingt courriers électroniques lui ont été envoyés depuis Papeete. 87 questions lui ont été posées sur le service, son organisation, son effectif, sa comptabilité… des questions normales d'une administration à un chef de service à qui l’on demande des comptes. 

En tout et pour tout, Caroline Tang ne proposera que… trois réponses. Une sur l'existence d'un logiciel dangereux sur leur réseau informatique ; une sur la variation de son salaire entre 2019 et 2020 ; et une sur le projet de service. Pour le reste, la DMRA a dû se débrouiller seule pour trouver les réponses aux questions posées. “Il apparait regrettable que la chef de service ait adopté une posture défensive contre-productive, alors que les recommandations de l'audit visent à rétablir un fonctionnement plus efficient et plus serein en termes de management d'équipe, de management de qualité et de management des risques”, constate le rapport de la DMRA. Dès le départ, murée dans un sentiment d'acharnement contre elle, Caroline Tang a fait preuve d'une absence de volonté de contribuer à l'audit, tentant de disqualifier le rapport à de nombreuses reprises. Mais elle finira par répondre aux questions posées dans ses observations lors de la remise du rapport provisoire en décembre 2022.

Arrêts maladies en cascade

Photo : Présidence.
Dans l'évaluation faite par la DMRA, c'est tout le service parisien qui est décrit en souffrance. “Il n'existe aucune orientation stratégique concernant le service”, est-il froidement constaté dans l'audit, malgré un rapport de la Chambre territoriale des comptes sur le sujet en 2019. Difficile de dire si les objectifs de performance de la DPF ont été remplis, puisqu'aucun d'entre eux n’a été renseigné. Le dernier rapport d'activité date… de 2017.
 
Enfin, on apprend que la chef de service, qui ne menait pratiquement aucune réunion de direction, s'était érigée dans une tour d'ivoire. “La chef de service semble difficilement abordable pour certains et très facilement abordable pour d'autres. Par exemple, l'accès à l'étage de son bureau se fait par badge. Certains agents ont un droit d'accès alors que d'autres n'en ont pas. La chef de service confirme bien que les accès sont différenciés et qu'elle ne peut donner des accès à tous les personnels pour des raisons de sécurité et de confidentialité.”

Une défiance dans le personnel qui se retrouve dans l’augmentation exponentielle des arrêts maladies. 14 jours en 2018, 64 jours en 2019, 97 jours en 2020 et 473 jours en 2021. Le Covid direz-vous ? Même pas. “Le covid en 2021 n'a généré que 35 jours d'arrêts maladies”, note l'audit de la DMRA. “Cette augmentation serait liée à des facteurs psycho-sociaux.” Dans le questionnaire Leymann (servant à identifier les risques pyscho-sociaux) fournis aux salariés lors de l'audit, la notion qui revient le plus est celle de “harcèlement”. Une notion relayée par la médecine du travail, sans effet sur la direction. “Depuis 2019, les contentieux RH, concernent en moyenne de 6,25 situations par an conflictuelles, ce qui au vu de l'effectif de la DPF constitue un ratio extrêmement important”, conclut l'audit.

Le conflit Tang/Champion

Le règne de Caroline Tang à la DPF est marqué par plusieurs conflits. Le premier, au fort écho médiatique, fut celui contre Maeva Salmon, poussée dehors pour des faits de harcèlement pour lesquels elle a été relaxée et qui auraient pu déboucher sur une procédure en dénonciation calomnieuse contre Caroline Tang. Pourtant, c'est cette dernière qui prendra sa place comme chef de service.

Dans le dernier courrier du syndicat de la fonction publique en soutien aux différents limogeages de certains chefs de service par le nouveau gouvernement, on pouvait s'étonner de l'acharnement d'Olivier Champion envers Caroline Tang. 

Le syndicat de la fonction publique avait déjà expliqué dans un communiqué que la DPF était “une zone de non-droit” en 2021 où Caroline Tang faisait “régner une telle peur dans le service que la majorité des fonctionnaires préfère aujourd’hui s’enfoncer dans un profond mutisme”.

L'audit de la DMRA apporte des éclaircissements sur la question. Si le récent courrier était si dur envers elle, et si flatteur pour le nouveau gouvernement, c'est que son secrétaire général, Olivier Champion, était directement concerné par ce qu'il se passait à la DPF, puisqu'il y officie en qualité de responsable du bureau de l’administration, des finances et des moyens généraux. L'avocat de Caroline Tang est allé jusqu'à suggérer que le rapport de la DMRA était piloté à la demande d'Olivier Champion qui dénonçait les pressions, le harcèlement et la possible présence d'un logiciel espion dans les ordinateurs des salariés de la DPF. L'avocat de Caroline Tang plaidait alors pour l'ouverture d'une procédure disciplinaire contre Olivier Champion pour “violation de son devoir de réserve”.

Elle-même, dans un courrier de décembre 2022, suite à la remise de l'audit provisoire, dénonçait “la partialité du rapporteur de l'audit”, et le comportement “particulièrement agressif, déplacé et malveillant d’un agent qui occupe le second poste le plus important de la DPF”, à savoir Olivier Champion, sur le dos de qui Caroline Tang déverse les responsabilités des dysfonctionnements de la Délégation polynésienne à Paris. 

Rédigé par Bertrand PREVOST le Lundi 10 Juillet 2023 à 07:28 | Lu 9321 fois