Tahiti Pearl Consortium : le projet controversé du Pays pour sauver la perle


L’esprit du dispositif envisagé par le cabinet Gaetano Cabalieri & Co, à la demande du Pays, visant la "réorganisation du processus de production et de commercialisation" des perles de culture de Tahiti, a été présenté vendredi matin 30 novembre alors que la Maison de la Perle devrait signer, dans le courant de la semaine prochaine, la convention de prestation avec le consultant international et lui verser un premier chèque de 19.5 millions Fcfp HT à ce titre. Avant le 31 décembre un deuxième versement de 13 millions Fcfp HT est prévu à la remise du business plan échafaudé par l’expert italien, puis après mise en place de la personne morale Tahiti Pearl Consortium et avant le 30 juin 2013, un versement de 29.3 millions HT, suivi par la libération du reliquat de 3.2 millions Fcfp avant le 31 juillet 2013, date fixée pour le début d’activité de la centrale d’achat imaginée par le consultant.

Moyennant une expertise de 65 millions Fcfp HT, très controversée par les professionnels du secteur de la perle, le Pays compte restructurer entièrement le commerce du joyau des lagons en créant une centrale d’achat, à capital mixte. Le Tahiti Pearl Consortium se donne l'ambition d'acheter toutes les perles produites sur le territoire et souhaite proposer l’image d’un fournisseur sérieux sur le marché de la joaillerie, illimité en quantité, attentif à la qualité et à la traçabilité des produits. Le point essentiel : il s’adresse directement aux clients de nos acheteurs traditionnels, japonais et chinois. Spécialiste du diamant, l'expert italien préconise de mettre en place, pour le commerce de la perle, un système commercial inspiré de celui imposé par le conglomérat dimantaire sud africain De Beers.

Multiplier par un facteur 10, la valeur ajoutée localement

La valeur ajoutée sur la perle réalisée en Polynésie française est de moins de 2.5% actuellement, estime le cabinet Cavalieri & Co, alors que le dispositif imaginé par le consultant pense pouvoir multiplier par un facteur 10 localement la richesse produite par le commerce de la perle, à quantités produites égales. "Les producteurs bénéficieront de ventes meilleures", promet Steven Benson, du cabinet de consultants, "les marges augmenteront. Cela aura un effet positif sur la qualité des perles (…) Lorsque la marée rentre, tous les bateaux sont à flot", a aussi commenté, métaphorique, le consultant.

Mais, outre le prix jugé élevé de la consultation de Gaetano Cavalieri, épaulé par une ligne de 500 millions Fcfp au budget 2013, "à un moment où le Pays est à l’agonie", expliquent-ils, les professionnels redoutent l’intervention du politique dans un écosystème fragile : "tous les systèmes qui sont en monopole, a fortiori contrôlé par un gouvernement, ne fonctionnement pas correctement", constatait mercredi Loïc Wiart, président du syndicat des négociants de perles. "Ce qui marche, c’est la concurrence. Une concurrence suffisamment saine pour stimuler les acteurs de la filière, producteurs, négociants ou acheteurs étrangers. Se retrouver tous dans une entité contrôlée par le Pays est inquiétant. Il suffit de regarder la Maison de la perle : ça ne fonctionne pas et 90% des acteurs ne sont pas dans cette Maison de la Perle."

La réussite du Tahiti Pearl Consortium tient aussi à l’adhésion des producteurs à ce projet. Professsionnels dont les 9 GIE et les quatre syndicats de producteuyrs ont clairement exposé leur opposition au principe qualifié de "tentative de hold up par le gouvernement", jeudi dans un communiqué où ils demandaient la démission du ministre en charge de la Perliculture, Temauri Foster.

Interrogé sur ce fait, Oscar Temaru évoque des professionnels qui souhaitent préserver leurs privilèges :

Les professionnels se prétendent unanimement opposés à ce projet de Consortium chargé de la commercialisation de la perle de Tahiti. Comment espérez-vous les convaincre à se joindre à ce projet ?

Oscar Temaru : Les politiques ont une grosse responsabilité dans la gestion de ce pays. Ce dispositif, que nous mettons en place aujourd’hui, aurait déjà dû être installé il y a très longtemps. On a laissé faire. Et aujourd’hui, tout le monde le sait, notre perle est bradée sur le marché. Certains tirent profit de la situation et ce sont surtout ceux-là qui ne veulent pas que ça change. La mise en place de ce consortium va permettre d’ici quelques temps de contrôler la production. (…) Aujourd'hui, la production est contrôlée par les négociants japonais, chinois et locaux. Il faut changer ça. Ce consortium permettra également de valoriser cette perle, qui est unique. Avec le réseau de M. Cavalieri, nous sommes persuadés que la perle de qualité va reconquérir la confiance des acheteurs.
Je ne vois que l’intérêt de tous, dans cette affaire. Et je pense qu’une fois le message passé. Tout le monde comprendra que ce projet est dans l’intérêt de tous, aussi bien les producteurs que les négociants. (…) J’espère que nos perliculteurs comprendront le message et qu’il y va de leur intérêt.
(…) Il faut que les perliculteurs comprennent que toutes les perles seront achetées. Ils n’auront plus aucun problème. Et cela n’est pas du tout le cas aujourd’hui, lorsque certaines personnes tirent profit de la situation.


Si tout est si profitable à tout le monde, pourquoi pensez-vous que les perliculteurs s’inquiètent ?

Oscar Temaru : Il y a un peu de manipulation derrière tout cela. On le voit bien. (…) Je suis là pour remettre de l’ordre dans ce pays, partout où il y a de la corruption. Je parle de la corruption en général et de ce que j’en connais dans ce milieu là. Les petits perliculteurs n’ont pas les moyens de toucher les grosses bijouteries à l’international : ils sont pris en otage. Je parle des négociants en général, qu’ils soient locaux, japonais ou chinois. L’industrie de la perliculture est prise en otage et les fermiers avec. Ce que nous voulons mettre en place, c’est la rationalisation de notre perliculture et il en va de l’intérêt général. J’espère que les perliculteurs comprendront rapidement qu’il en va de leurs intérêts en particulier.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 30 Novembre 2012 à 14:27 | Lu 2317 fois