Tahiti Heritage: Tauarii et Tauatua, les pierres précieuses de la Tuharu’u


Tahiti, district de Papara (Taharuu) Cliché A. Berder vers 1930
PAPEETE, le 15 septembre 2015- Tahiti Heritage vous conduit cette semaine dans les méandres de la Taharu’u à Papara en compagnie du géant légendaire Hono’ura.

Les pierres de la rivière Taharu’u font actuellement l'objet de beaucoup de convoitise. Certaines comme les pierres Tauarii et Tauatua ont pour les habitants de la vallée une valeur inestimable car elles représentent leur attachement à leur terre, leur fenua. Les anciens se rappellent qu’il y a quelques années, Papara gagnait toujours les courses grâce à ses deux pirogues qui portaient les noms de Tauarii et de Tauatua.

LE GEANT HONOURA

A sa naissance Hono’ura présentait, un aspect qui ne laissait rien entrevoir de la grandeur de sa destinée. Son père, en le voyant, s'écria : « Voici une masse informe qui n'a point apparence humaine, il faut l'enterrer ! ». Mais inspiré par un génie, au lieu de l'enfouir dans la terre, il l'abandonna dans une grotte. Hono’ura grandit seul dans sa caverne, ne mangeant que des cailloux. II devint ainsi merveilleusement grand et fort : C’était un géant.

Un jour, Hono’ura vint en pirogue dans la baie de Popoti à Papara avec l'intention de provoquer ‘Auroa, un grand poisson volant pourvu d'une tête d'espadon. Celui-ci ne tarda pas à se montrer et les deux adversaires commencèrent par se défier comme il a toujours été d'usage de le faire avant d'en venir aux coups.
« Je te percerai avec mon rostre ! » disait ‘Auroa
« Je te crèverai le ventre avec ma lance ! » répondait Hono’ura
Sur ces mots, le poisson, furieux, sortit de l'eau d'un coup sec de sa queue et fonça sur Honoura qui para le coup avec sa lance. Deux fois ‘Auroa essaya de transpercer Honoura, mais celui ci, bien calme, para les coups. ‘Auroa eut une telle frayeur de la maîtrise et de l'adresse de Hono’ura que, sortant de l'eau pour la troisième fois, il partit dans la direction de Mou’a Tamaiti (Montagne de Papara) pour chercher secours auprès des deux sorcières, les ruahine, qui habitaient au fond de la vallée de Taharu’u.

‘Auroa vola si vite qu'emporté par son élan, il ne pût s'arrêter et son rostre s’enfonça dans la montagne. Malgré ses efforts désespérés pour se dégager il n'y parvint pas et y mourut.
Hono’ura, le géant, était parti à la poursuite de son ennemi. Devant le cadavre de ‘Auroa il s’écria d'un air de mépris «Te pohe a te maa e » (Voilà un tas de nourriture perdue).


LE ROCHER NOIR TAUARII Le rocher noir, rocher Tauarii, était introuvable. Si les anciens connaissaient son histoire, personne ne l’avait réellement vu. C’était d’autant plus délicat que le cours de la rivière Taharu’u avait été déplacé et que la carrière de Papara des années 60 avait bien perturbé le site. Enfin, au bout de plusieurs mois, et après avoir examiné un certain nombre de rochers, un habitant nous a appelé pour nous dire que son grand père lui avait conté l’histoire de ce rocher qui se trouve dans sa cour près de la carrière, pas très loin du lit de la rivière Taharu’u. Il était complètement enfoui dans la végétation comme pour se protéger.
LES SORCIERES PETRIFIEES

Pour se rafraîchir, le géant Hono’ura décida d'aller plonger dans la rivière de Taharuunui ite Amaamamanu du haut d'une montagne voisine, Mou’a Tamaiti. J'irai Näue dit il. (Se laisser tomber dans l'eau les jambes croisées sous le postérieur et faire ainsi gicler l'eau de chaque côté). Pour se jeter dans la rivière, iI y avait trois étages à la paroi de la montagne : un premier, situé à mi hauteur, Te Haaporiraa, un deuxième, près de la crête de la montagne, Te Faahuahua, et un troisième, Te taputö qui partait du sommet de la montagne. Les géants avaient coutume de venir plonger en se jetant du haut de la montagne mais comme la hauteur était grande, il leur arrivait de se tuer en tombant. Les sorcières s'emparait alors des cadavres et brûlaient les os devant leur case. Elles se délectaient à l'odeur des ossements brûlés raison pour laquelle elles s’étaient installées au bord du lac.

Tenant un bouquet de ‘auti (Cordyline) dans une main, et une grande feuille de ‘o’aha (fougère nid d’oiseau) dans l'autre, Hono’ura commença l'ascension de la montagne.
Arrivé au premier escarpement il lança la feuille de ‘o’aha dans l'eau. Au bruit de la chute, une des sorcières dit à l'autre: « Va donc voir qui est tombé ». La ruahine revint et dit: «Ce n'est rien, c'est une feuille de ‘o’aha ».
Arrivé au deuxième escarpement, Hono’ura lança son bouquet de ‘auti. L’eau gicla jusque sur la case des sorcières. Une des ruahine vint voir puis rentra en disant: « ‘Aita, ce n'est rien, c'est un bouquet de ‘auti ». Hono’ura arriva alors au sommet de la montagne, il appela les sorcières et leur dit : « Déplacez votre maison sur la montagne, car je vais sauter et l’eau va vous emporter ».
« Qui es tu pour nous parler ainsi, taata ‘i’o ‘ore (homme de peu de chair), le moindre vent te courbera comme une feuille de ‘ape (Alocasia, Oreille d’éléphant). Mämü (Tais-toi) ! »
«Si vous ne voulez pas être noyées, emportez votre maison » vous dis je.

Elles ne répondirent pas, le considérant avec dédain. Du Taputö, Honoura se jeta dans le vide. Arrivé au milieu de sa chute, il se retourna, croisa les jambes pour vraiment näue et pénétra dans l'eau qui fusa en deux énormes gerbes.

Hono’ura nageait déjà lorsque la vague qu'il avait causée vint frapper la montagne, dont le flanc s'écroula dans le lac. Celui-ci déborda en emportant à la mer tout ce qui était sur ses rives. Le géant parvint à se dégager du courant. Mais les ruahine, ainsi que leur maison, furent entraînées jusque dans le bleu de l'océan.

Hono’ura s'étant dressé sur ses jambes, il aperçut les deux sorcières qui nageaient au milieu des débris que la rivière avait emportés. Il les attrapa et les mit à terre. Là, elles se transformèrent en deux gros rochers : un noir qui s'appelle Tauarii et un blanc qui s'appelle Tauatua, deux pierres bien précieuses aux yeux des habitants de Papara.



LE ROCHER BLANC TAUATUA L’emplacement approximatif du rocher blanc Tauatua a été rapidement trouvé car plusieurs anciens du Comité des sages de Papara connaissaient son existence « à l’embouchure de la Taharu’u ». Il a été par contre plus difficile de le voir pour le localiser précisément car il se cache sous l’eau au milieu des vagues, à une profondeur de 1,50 m environ. Il a fallu attendre une marée particulièrement basse pour le voir émerger dans le creux des vagues. Ce rocher est bien connu des surfeurs qui viennent y prendre pied. S’ils savaient qu’ils piétinent une sorcière pétrifiée, ils éviteraient de trop s’y frotter.
Dans les années 2000, en recensant le patrimoine de Papara, nous avons cherché longuement ces deux rochers en parcourant les rives de la rivière Taharu’u et en interrogeant les riverains.


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Rédigé par Olivier Babin le Mardi 15 Septembre 2015 à 09:45 | Lu 2332 fois