TDL, une taxe en bout de course


Tahiti, le 8 février 2024 - Avec la réforme fiscale appelée du vœu même de président du Pays, et son étude par la Chambre territoriale des comptes, la Taxe de développement locale (TDL), critiquée depuis de longues années, doit être réaménagée, voire supprimée, pour espérer faire jouer le levier de la baisse du coût de la vie.

Nombreux étaient déjà les détracteurs de cette TDL, symbole d’un protectionnisme suranné, et vecteur de hausse des prix et de pratiques anti-concurrentielles. Décriée par de nombreux observateurs du monde économique, elle est malmenée par quantité de rapports, depuis le rapport Bolliet en 2010, jusqu’aux préconisations de l’Autorité de la concurrence, en passant par quelques économistes et essayistes locaux, souvent guère tendres avec une vache à lait fiscale qui peut rapporter au Pays jusque 2 milliards de francs par an.

N’est-ce pas justement là qu’il faut chercher sa légitimité ? Dans sa rentabilité, plus que dans sa fonction, qui masque à peine quelques complaisances avec certaines entreprises.

Tombée brutalement le 1er janvier 1998, la TDL, perçue par les services de douane, frappe les “biens effectuées par toute personne physique ou morale, soit lors de la mise à la consommation directe, soit lors de la mise à la consommation”. Ses taux sont de 2%, 9%, 20%, 27%, 37%, 51%, 60% et 82% en fonction des produits.

37% sur les fromages, 82% sur les huiles végétales, 51% sur les glaces, 60% sur l’eau minérale, 82% sur la bière ou encore le bois et les vêtements de sport. Ne cherchez pas, plus forts sont les taux, plus fortes sont les entreprises locales derrière pour protéger leurs productions. Certaines de ses dispositions servent à protéger l’artisanat local comme les 82% sur les ouvrages en nacre, les patchwork style tīfaifai, ou encore les pāreu. Mais la TDL protège aveuglément aussi bien cet artisanat que certaines grandes industries.

26 ans après sa mise en place, cette protection est-elle toujours légitime ? Les entreprises qui menacent de licenciements à venir en cas d’abandon de cette taxe sont-elles vraiment si fragiles ?

Un procès exagéré

En 2009, un rapport de Paul Roger de Villers, chargé par le Pays d’étudier la TDL défend cette taxe présentée pourtant comme “une sorte de mécanisme de protection que les industriels ont demandé aux gouvernements d’instaurer chaque fois qu’il leur est apparu que la production d’un nouveau produit requérait une protection contre les concurrents importés pour en assurer la rentabilité”. Une façon de protéger des produits, même de qualité très médiocre, fabriqués localement.

Dans son rapport, le consultant affirme que “le procès qui est fait à la TDL de pousser les prix vers le haut est largement exagéré, et pour un certain nombre de produits, infondé”. Il affirme que la TDL protégeait à l’époque 1230 emplois. Elle protégerait les producteurs de porcs, alors que le pays en importe par milliers de tonnes, comme les producteurs d’ananas, qui pourtant ne fournissent pas en assez grande quantité l’usine de jus de fruits.

Pour Paul Roger de Villers, la TDL est aussi utile que l’interdiction d’importation. Cependant, bien qu’il en défende le produit, il ponctue son rapport de quelques recommandations : diminution ou suppression des taux sur la bière de malt, l’eau ou les jus de fruits pour baisser “l’effet d’aubaine” pour un producteur local ; suppression sur certains produits importés mais non produits localement (shampooing, savons, charcuterie, certains produits plastiques, menuiseries, etc.).

Des promesses de réformes jamais tenues

En 2011, le plan de redressement proposé par le gouvernement Temaru devait s’atteler à la réforme de la TDL avec “mesures compensatoires pour les producteurs pénalisés par l’ouverture du marché local” et complétait qu’un “ajustement de certains taux élevés qui ne se justifient plus lorsqu’une industrie a su capter une part significative du marché local”. À l’époque, le directeur de la Brasserie de Tahiti notamment, criait à la “catastrophe” alors que le pays était frappé par une crise économique sans précédent. Finalement, ces mesures ne seront pas prises.

Certains défenseurs de la TDL argumentaient aussi sur le risque de ne pas voir les prix baisser après la suppression ou la baisse d’une taxe. Après le fiasco du retrait du 1% de la Contribution pour la solidarité par le gouvernement Brotherson – puisque la taxe CPS a été fondue dans les marges des commerçants –, beaucoup redoutent de voir les produits de la TDL se transformer elle-aussi en marges. On se souvient qu’en 2004, le gouvernement avait supprimé la TDL sur les meubles sans effet visible sur les prix.

Éliane Tevahitua, aujourd’hui vice-présidente du Pays, avait posé en 2019 une question orale adressée à Édouard Fritch dans laquelle elle proposait de supprimer la TDL sur les Produits de première nécessité, a minima pour ceux dont l’intensité concurrentielle est insuffisante, et la remplacer par des mesures favorisant la baisse des coûts de fabrication des produits locaux. Elle rappelle, sans en prendre conscience par-là même, que la compétence en matière de fixation des taux de TDL sur les produits, et peut-être même sa temporalité, est de compétence de l’assemblée de la Polynésie française.

Édouard Fritch avait alors annoncé une réforme de cette TDL, qui n’a finalement pas vu le jour, noyée dans la gestion de la crise Covid. “La délibération instaurant la TDL sur les produits fabriqués en Polynésie fera l’objet, en 2023, d’une réforme afin de protéger nos emplois locaux tout en préservant les intérêts des consommateurs et, surtout, le pouvoir d’achat”, avait-il défendu dans son discours introductif lors du débat d’orientation budgétaire en octobre 2022. “En effet certains produits sont encore majorés de cette taxe alors mêmes qu’ils ne sont pas produits en Polynésie française, nous poursuivrons le toilettage.”

Un double tacle de l’autorité de la concurrence

En 2019, puis plus récemment encore, l’Autorité de la concurrence a commenté cette TDL qu’elle ne voit pas d’un bon œil. “La taxe de développement local (TDL), selon les modalités de mise en œuvre actuelles, apparaît particulièrement pénalisante”, expliquait l’APC dans un rapport de 2019. “En effet, si son rendement est faible, elle dissuade l’importation de certains produits et favorise, plutôt qu’une concurrence par les mérites, la constitution d’une rente au profit des producteurs locaux, qui n’ont pas d’incitation à innover ou à maîtriser leurs coûts de production”, tacle l’arbitre économique.

L’année dernière, Johanne Peyre, présidente de l’Autorité polynésienne de la concurrence en remettait une couche lors de son audition à l’Assemblée nationale par le Commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales. “Cette dernière [la TDL, NDLR] aurait dû être limitée dans le temps mais a finalement perduré. Son assiette nous semble un peu trop large – cela a fait l’objet de plusieurs avis de l’APC –, car elle n’englobe pas uniquement des biens produits localement mais également la transformation, l’embouteillage et le conditionnement. Tout cela crée des situations de rente pour certains acteurs et n’incite ni à baisser les prix, ni à gagner en qualité, ni à faire entrer de nouveaux produits.”

Le gouvernement de Moetai Brotherson a un magnifique casse-tête devant lui et devra s’attacher à jongler entre déchirer les derniers oripeaux d’une protection locale dépassée et provoquer une baisse des prix, une entrée de la concurrence, au risque d’y laisser quelques emplois, ou maintenir un système à bout de souffle, générateur de recettes fiscales, soi-disant protecteur d’emplois, mais aussi vecteur de malbouffe.

>> Lire aussi : Le Sipof défend le “patriotisme économique” de la TDL

Rédigé par Bertrand PREVOST le Jeudi 8 Février 2024 à 18:53 | Lu 6354 fois