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Su’a Alaiva, tatoueur traditionnel samoan au Matavaa


Nuku Hiva, le 18 décembre 2023 - À l'occasion du Matavaa o te henua enana, le festival des îles Marquises 2023, qui a débuté samedi, Su’a Alaiva, un tufuga, un artiste tatoueur traditionnel samoan, a été invité par le comité organisateur. Plongée au cœur de ce rite initiatique qui allie savoir-faire ancestral et culture océanienne. Reportage.
 
La porte du salon de tatouage Patutiki se balance doucement sur ses gonds. Derrière, Wilfried attend. Son corps est meurtri d’hématomes, mais il est prêt pour sa dixième séance. Il s'apprête à passer de nouveau sous les aiguilles expertes de Su’a Alaiva, un tatoueur originaire des îles Samoa, qui encre la peau avec des techniques ancestrale du Pacifique que seule une poignée maitrisent encore. Il est l’un des invités d’honneur du festival des îles Marquises 2023, le Matavaa o te henua enana. Originaire de Wallis-et-Futuna, une île à la lisière des Samoa, Wilfried est établi avec sa femme à Nuku Hiva. Il a décidé de se faire marquer à la manière des anciens rites initiatiques, en se faisant tatouer une “ceinture” ou “malofie” en samoan. Un tatouage traditionnel qui serpente autour de la taille, du bassin, descend jusqu'au bas de la cuisse, explorant les contours des fesses et du pubis. Ce tātau est un rituel intensif qui demande une dizaine de jours. Douloureux, très douloureux, mais porteur de sens dans la culture samoane. Il symbolise le statut social, la bravoure, et la maturité. Avant d'entamer cette nouvelle étape, Wilfried se confie : “C’était important pour moi de me rapprocher de la culture de mes ancêtres.”  
 
Dixième séance
 
Dans la salle, avant cette énième séance, l’atmosphère est studieuse, étrangement calme. Chacun vaque à ses occupations. Su’a Alaiva, lui, prépare longuement et méticuleusement ses outils, un à un, comme des reliques sacrées. Ses āu (peignes dentelés) et son moli (bâton de frappe) sont bien alignés et prêts à l’emploi. Il transvase enfin l’encre dans un récipient. Wilfried, respectant les traditions du tatouage samoan, s'étend sur le sol. Pas de tables ou de fauteuils ici. Deux “tireurs de peau” prennent place de part et d'autre, tandis que Su’a Alaiva, assis en tailleur à côté de la cuisse droite de Wilfried, se prépare pour le travail du jour. C’est cette partie du corps qui sera encrée aujourd’hui.
 
Enfin installé, la séance peut débuter. Su’a commence par esquisser quelques lignes tracées au stylo. Puis, c’est les sons réguliers des chocs entre le moli et le āu qui résonnent dans la pièce, créant une symphonie douloureuse, encrant à jamais la cuisse de Wilfried. La salle, plongée dans un silence quasi-religieux, est rythmée uniquement par une enceinte crachant la playlist éclectique de Faleinu, le frère de Su’a, où se mêlent musique traditionnelle, rap, et rockabilly américain. Pendant plusieurs heures, nous assistons à cette séance, baignés dans ce brouhaha où personne ne dit plus rien.
 
La pièce qui trône magistralement sur le corps de Wilfried continue peu à peu à prendre de l’épaisseur. Si son visage ne trahit aucune douleur, les hématomes sur son corps, stigmates des coups de maillet de Su’a, ne cessent de s’étendre aussi. Cette séance terminée, il en faudra encore quelques autres pour terminer le “malofie”.
 
Une présence historique et singulière
 
Au-delà d’une simple invitation, la présence de Su’a, ainsi que de son frère Faleinu est lourde de sens au regard de l’importance du tatouage dans la culture marquisienne. En effet, Su’a Alaiva’a est un tufuga, véritable maître tatoueur samoan. Son petit frère, lui, n’est pour l’instant que kossou, c’est-à-dire celui qui tend la peau. Dans quelques années, après avoir engrangé suffisament d’expérience, lui aussi deviendra tufuga comme son frère et son père avant lui. Ce savoir est l’héritage de ces artistes samoans qui, avec cette transmission intergénérationnelle, ont réussi à conserver leur authenticité en préservant les techniques et rituels ancestraux, là où ailleurs dans le Pacifique, ces traditions s’étiolaient face à l'homogénéisation culturelle. “Le tatouage traditionnel dans sa pratique avait disparu. Mais à partir des année 1980, il y a eu une renaissance de cet art aux iles Cook, à Hawai’i, en Nouvelle-Zélande mais aussi à Tahiti et c’est grâce aux tatoueurs samoans que la tradition a pu se relancer. Car eux n’avaient jamais cessé de pratiquer”, rappelle à ce sujet Heretu Tetahiotupa, le président du Comité organisateur du Matavaa, le Comothe.
 
Au cœur de la culture marquisienne, où le tatouage est un véritable marqueur identitaire, l'invitation des tatoueurs samoans par le Comothe est un geste symbolique. “Nous sommes très heureux de pouvoir rendre visite à nos cousins marquisiens et de leur faire découvrir cette méthode”, confie Faleinu. La présence de ces maîtres tatoueurs marque donc un chapitre inoubliable dans l'histoire du Matavaa, illustrant la vitalité et la richesse des traditions du Pacifique, préservées avec respect et dévouement.


Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 18 Décembre 2023 à 14:07 | Lu 1448 fois