Steve Chailloux : “Être reconnus en tant que peuple”


Tahiti, le 13 juin 2022 – Candidat du Tavini huiraatira dans la deuxième circonscription, Steve Chailloux a répondu aux questions de Tahiti Infos dans cet entre-deux-tours des élections législatives. Langue, peuple et identité au programme des réflexions du jeune professeur de reo tahiti, qui évoque également les résultats du premier tour et se réjouit de la “pluralité d'offres” politique souverainistes et autonomistes.
 
En comparaison de votre adversaire du Tapura, vous pourriez compter sur bien davantage de reports de voix au second tour. Est-ce que c'est un calcul que vous faites aujourd'hui ?

“Les voix appartiennent à nos électeurs et ils vont le décider de manière souveraine. Bien sûr qu'on peut le discuter avec les gens, c'est normal. Mais en toute fin de cause, ce sont les électeurs qui vont le décider dans l'isoloir.”
 
Concrètement, comment se passe un entre-deux-tours avec autant de candidats en lice au premier tour. Est-ce que ces candidats viennent vous voir ou est-ce que vous allez discuter avec eux ?

“Disons qu'en tant que candidat, on n'a pas le temps matériel de mener ces discussions-là parce qu'on est à fond dans notre campagne. Moi par exemple, je tiens parfois deux grands meetings par jour. C'est sûr qu'on peut recevoir des coups de fil de soutiens spontanés de gens qui nous disent qu'ils sont de tel ou tel parti et qui nous expliquent qu'ils ont décidé de nous soutenir. Après, les rencontres de haut niveau, elles se font plutôt entre les présidents de grands partis. Nous n'avons pas forcément le temps, nous, de rentrer dans de longues discussions avec d'éventuels partenaires.”
 
Plusieurs nouveaux partis souverainistes, le Amuitahira'a ou le Hau Maohi Tiama par exemple, ont mené une campagne au premier tour. On pourrait s'attendre légitimement à ce que leurs électeurs choisissent de voter pour un parti indépendantiste au second tour ?

“Disons que si on doit réfléchir de manière rationnelle, oui ça pourrait le faire. Mais souvent en politique, si j'ai bien appris quelque chose, c'est que rien n'est forcément rationnel. On verra le 18 juin. Mais ce que j'aime c'est qu'effectivement, on a aujourd'hui une pluralité des partis souverainistes. Ce qui nous diffère, je pense, c'est la méthodologie et même la compréhension de ce que c'est que le combat souverainiste. Un des avantages par rapport à l'émergence de ces partis, c'est que le sujet même de l'indépendance ou du moins du mouvement souverainiste a été démocratisé. C'est un sujet qui fait moins peur et c'est une bonne nouvelle pour la démocratie, parce que maintenant on peut discuter de ces sujets de manière dépassionnée et de façon plus rationnelle.”
 
Toujours en terme de stratégie politique, c'est plus intéressant aujourd'hui, avec la multiplication de ces partis souverainistes, d'avoir l'occasion de s'affirmer comme le parti leader de ce côté de l'échiquier politique grâce à ces élections législatives ?

“Tout à fait. Les résultats ont montré que parmi cette offre souverainiste, c'est le Tavini Huiraatira qui est le parti qui a réalisé le leadership de ce paradigme politique. Mais on pourrait dire la même chose des partis autonomistes. Dans les années 1990, on avait une pluralité de l'offre autonomiste. On avait les autonomistes 'purs et durs', on va le dire comme ça, et puis on avait les modérés, Boris Léontieff et le Fetia api. Ce que j'ai regretté à partir de 2014 quand le Tapura s'est créé, c'est que tous les mouvements autonomistes se sont agrégés au Tapura et finalement il ne restait plus qu'une seule branche autonomiste et tous ceux qui étaient plus modérés ont intégrés le Tapura. Les résultats nous montrent aujourd'hui qu'il y a une force politique autonomiste, le A Here ia Porinetia, qui est une troisième ou une quatrième force politique dans notre Pays. Et je pense que c'est bon pour la démocratie dans notre Pays qu'on ait une pluralité d'offres à la fois chez les indépendantistes mais aussi chez les autonomistes.”
 
Sur le fond du programme du Tavini, vous prônez vous aussi une modification constitutionnelle pour intégrer à la Constitution un article propre à la Polynésie française et notamment pour intégrer, c'est un sujet qui vous concerne particulièrement, la reconnaissance des langues maohi. Pourquoi ce point particulier sur les langues est si important et est-ce réaliste de voir cette pluralité de langues reconnues via la Constitution ?

“C'est l'ADN du Tavini Huiraatira et c'est mon ADN personnel, par rapport à mon parcours et à mon combat citoyen et intellectuel. Est-ce que c'est réaliste ou non ? En tout cas, on va essayer de transformer l'essai en une réussite. On voit qu'au niveau des législatives en France, le mouvement Nupes et le mouvement Renaissance sont au coude à coude. Donc on verra quelle majorité sortira de ces élections. Et nous pensons que si c'est la majorité Nupes, à laquelle nous appartiendrons si nous sommes élus, nous aurons plus de moyens de discussions et les esprits seront peut-être plus disposés à discuter de ces sujets. J'estime que la France a une vision linguistique un peu dépassée. La France veut maintenir le monolinguisme pour garantir le ciment de l'État. Or, il y a des exemples tout autour dans l'Union européenne. Je pense à l'Allemagne qui a plusieurs langues officielles reconnues et ce n'est pas pour autant que la nation allemande se disloque. Il faut conjuguer aussi notre rapport linguistique au présent et au futur.”
 
Vous estimez, avec la reconnaissance de la citoyenneté Maohi, que le peuple français ne doit pas être un et indivisible, comme la langue ne doit pas être une et indivisible en France ?

“Absolument. Il y a une chose qui me tient à coeur. Avec la modification constitutionnelle de 2003, des termes ont été changés. Nous ne sommes plus considérés, selon la Constitution française, comme étant un peuple mais comme une population. Or la différence anthropologique est essentielle. Un peuple est dépositaire d'une terre, d'une culture, d'une identité, d'une langue, d'une ancestralité, d'une filiation… Alors qu'une population c'est différent. Ce n'est ni plus ni moins que le nombre d'habitants d'un lieu donné. Or, et ce n'est pas uniquement le combat du Tavini Huiraatira mais de tous les Polynésiens, nous voulons pouvoir être reconnus en tant que peuple. C'est la reconnaissance de notre existence à nous. Et à partir de là, évidemment que la notion de peuple ne peut être dissociée de la notion de ses langues. Donc, première étape, réaffirmer la notion de peuple et enchaîner sur la reconnaissance de toutes les langues maohi et pas juste la langue tahitienne. Parce que quand on est dans notre mouvement, on ne veut pas non plus que le tahitien devienne une langue coloniale dans notre propre pays et centraliser autour de Tahiti. Selon nos linguistes, nous avons sept langues qu'il faut officialiser.”
 
Et c'est possible en étant député ? Comment est-ce que l'on fait ?

“Avec cette réforme constitutionnelle, en y insérant le titre concernant la Polynésie française à l'instar de la Nouvelle-Calédonie. Cette réforme, on ne peut la faire en général qu'en début de mandat. Et c'est pour cela que, si nous sommes élus, nous monterons au créneau dès le début du mandat pour proposer ces réformes.”
 
Il vous faudra le soutien de la Nupes, ou en tous cas d'un groupe fort à l'Assemblée nationale, pour vous faire entendre sur ces questions ?

“Et pas que. Il faut aussi le soutien de tous les autres peuples de France. Je pense aux Corses, aux Normands, aux Bretons… Tous ces peuples qui ont aussi des langues vernaculaires qui ne sont pas aujourd'hui reconnues comme langues officielles, mais comme langues régionales, nous voulons leur dire que nous voulons rassembler le plus largement possible tous ces peuples pour nous faire entendre d'une seule voix et dire que la France doit reconnaître la particularité de ces langues.”
 

“La France a une vision linguistique un peu dépassée”

Un autre point du programme du Tavini, c'est cette proposition de loi sur le nucléaire. Elle consiste à réformer le système de la Loi Morin. Comment et sur quels points ?

“Une des faiblesses de la loi Morin aujourd'hui, c'est qu'elle ne reconnaît pas les dégâts collatéraux vis à vis des familles ou les maladies transgénérationnelles induites par le nucléaire. Alors que sur d'autres sujets, comme les accidents de la route ou les maladies liées à l'amiante par exemple, là par contre ces dégâts collatéraux sont pris en considération. Nous disons qu'il faut prendre en compte bien évidemment les victimes premières des essais nucléaires, mais pas uniquement. Ce sont des familles qui sont touchées. Et c'est eux qu'il faut regarder pour tenir compte de la souffrance de notre peuple vis à vis des essais nucléaires.”
 
Il y a également une question environnementale qui est portée à travers cette proposition de loi sur le nucléaire ?

“Tout à fait. Tout va de paire. On aime mettre les partis politiques en opposition en disant que l'écologie appartient à tel ou tel parti politique, mais l'écologie appartient à tous les partis. Bien sûr qu'il y a des précurseurs dans l'écologie, il faut le reconnaître. Mais le Tavini Huiraatira, qui a combattu les essais nucléaires, se trouve aussi dans cette cohérence là. On s'est battu contre les essais nucléaires, mais le combat qui sous-tend celui contre les essais, c'est aussi celui pour la préservation de l'environnement et la réparation des dégâts environnementaux qui ont touché notre Pays.”
 
Un petit retour à la politique politicienne. Sur ces sujets de la modification constitutionnelle ou sur cette proposition de loi sur le nucléaire par exemple, vous aurez besoin du soutien de la Nupes pour les porter. Est-ce que vous avez déjà eu des échanges de fonds avec eux pour les sensibiliser ou avoir leur accord de principe sur ces questions ?

“Ça a plutôt été le travail de parlementaire du député Moetai Brotherson, qui a eu des échanges avec la présidente du groupe de la France Insoumise. Moetai Brotherson a soulevé ces questions dans le cadre de ces discussions. Et effectivement, la Nupes était ouverte sur le fait que l'on puisse aborder ces questions de manière sereine. On est tout à fait raccord sur la question.”
 
Une autre proposition dans votre programme, celle de la prise en charge par l'État de tous les frais de résolution des problèmes générés par l'application du Code civil. Expliquez-nous ?

“Il faut déjà poser le diagnostic. Tous les problèmes de terre, d'indivision, etc. que l'on connait. Toute la problématique du foncier dans notre Pays… Le diagnostic c'est qu'ils sont arrivés à partir du moment où on a imposé le Code civil dans notre Pays. Le Code civil a complètement bouleversé notre regard anthropologique sur notre lien à la terre. Ça veut dire que concrètement, le regard occidental sur la propriété est celui d'une propriété individuelle. Alors que le regard polynésien sur la propriété est celui d'une propriété collective. A partir de là, forcément ça a généré des problèmes centenaires. Nous disons simplement : qui déstabilise doit payer. Parce qu'aujourd'hui, ce qui est compliqué dans les affaires foncières pour nos familles, c'est le coût. Il faut payer des avocats, des généalogistes… Il faut de l'argent. Et les familles se réunissent en association pour lever des fonds. Or ça coûte tellement cher que ceux qui ont de l'argent peuvent parfaitement payer tout ce qu'il faut, alors que pour ceux qui ont moins d'argent, c'est beaucoup plus difficile. C'est pour nous tout à fait normal que l'État, qui est à l'origine de ces problèmes, puisse prendre en charge les frais d'avocats ou de généalogistes dans notre Pays.”
 
C'est à dire qu'il faudrait aller encore plus loin que l'instauration d'un tribunal foncier et des mesures prises en la matière ces dernières années ?

“Oui, il faut aller encore plus loin. Parce qu'après, comme pour le nucléaire, il y a un préjudice qui a été causé et il faut le réparer. Pour les affaires foncières, il y a un préjudice causé dans notre Pays par l'imposition du Code civil après la colonisation. Et dans notre vision, il est tout à fait normal que le préjudice qui a été causé soit rattrapé par celui qui l'a causé.”
 
Dernière question sur un autre point de votre programme qui évoque la défiscalisation. Vous proposez d'en étendre le mécanisme pour en faire bénéficier les TPE, les PME, mais aussi les associations culturelles et environnementales ?

“Tout à fait. Quand on parle de défiscalisation, elle est aujourd'hui tournée vers le tourisme et les gros investissements. On a déjà là un paradigme élitiste. Il n'y a que les gros investissements, les grosses boîtes qui peuvent bénéficier de cette défiscalisation. Et on a vu ce qu'on en a fait. On fait pousser des hôtels comme des champignons et puis une fois cinq ans passés, on ferme les hôtels. Et rebelote. Nous disons qu'il faut ouvrir les portes et permettre aux TPE et PME de pouvoir en bénéficier. Parce que ce sont eux qui forment 90% du tissu économique de notre Pays. C'est le premier point. Deuxième point, nous voulons l'ouvrir aux associations, parce nos deux secteurs prioritaires au Tavini, c'est évidemment le tourisme et la culture. Les deux vont de paire et doivent être conjugués. Or qui sont ceux qui accueillent les touristes, qui vont les couronner, qui vont leur faire des tours, qui leur proposent de l'artisanat local ? Ce sont bien les associations de mama, comme à Tubuai, à Raivavae, à Rimatara qui le font… Donc, nous disons que ces gens qui participent à la vie économique de notre Pays doivent bénéficier d'une certaine défiscalisation en mettant le barème plus bas. Aujourd'hui, le barème est tellement haut que seules les grosses entreprises peuvent en bénéficier et pas les petites. Nous disons que les plus petits doivent bénéficier de ces mécanismes là et pas uniquement ceux qui se situent dans une position d'ultra-libéralisme.”
 

Les résultats du premier tour dans la deuxième circonscription


Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Lundi 13 Juin 2022 à 18:57 | Lu 1511 fois