Soirée camping pour les exposants de Made in Fenua


Près de 70 artisans ont fait la queue dès mercredi soir pour s'assurer d'être dans les élus qui auront droit à un stand pour le salon Made in Fenua.
Tahiti, le 27 février 2020 - Les artisans voulant participer au salon Made in Fenua ont été obligés de camper toute la nuit de mercredi à jeudi devant la CCISM. La raison : seule une centaine de stands étaient disponibles à l'ouverture des inscriptions hier matin, bien insuffisant pour héberger les 150 créateurs qui souhaitent participer.

Le salon Made in Fenua, qui met en avant les créateurs de produits locaux, aura lieu fin avril prochain. Pour le grand public, ça n'est qu'un salon parmi tant d'autres, même si c'est un de plus originaux. Mais pour les artisans locaux, c'est une date primordiale à ne pas rater. Ils pourront y réaliser jusqu'à 50% de leur chiffre d'affaires annuel et c'est l'occasion rêvée de se faire connaitre. Les retombées positives d'une présence au salon s'étalent sur les mois qui suivent selon des artisans rencontrés mercredi soir devant la CCISM.

Et ils étaient nombreux à faire la queue devant le Pôle Entreprises de la chambre de commerce dès 17 heures mercredi après-midi. Leur but : obtenir à tout prix un stand pour le salon, quitte à camper devant les bureaux jusqu'à l'ouverture des inscriptions à 7h30 hier matin.

Cette affluence était prévisible, puisque depuis trois ans l'événement rencontre le même problème et qu’il va en s'aggravant. En 2018, les aspirants exposants faisaient la queue dès 4 heures du matin, mais tous n'ont pas eu leur place. En 2019, il fallait y être à 2 heures du matin et ceux qui arrivaient à l'ouverture officielle étaient déjà hors course. Et cette année, c'est la veille que la queue a commencée... “Une dizaine d'artisans de Moorea, qui ne peuvent plus avoir de places s'ils prennent le premier bateau, sont venus la veille pour être sûr d'avoir leur stand” nous explique un artisan dans la file d'attente. “Quand ils ont appris ça, tous ceux qui veulent participer sont venus également.”

Une réaction logique : "L'année dernière je suis arrivé à 5h du matin, j'étais en 54ème place mais il ne restait que 4 stands !" nous raconte un exposant habitué à l'événement. "Il y a eu 36 personnes sur la liste d'attente, dont 5 ont finalement eu une place parce qu'ils ont rajouté 5 chapiteaux, mais les autres n'ont rien eu. Ils limitent à deux stands lors de l'inscription, mais pour que tout le monde ait sa place il faudrait limiter à un seul stand par personne."

PRÈS DE 70 PERSONNES EN CAMPING URBAIN ET UNE SITUATION TRÈS TENDUE AU MATIN

Cette expérience était très commune parmi les artisans. Si bien que dès que la queue a commencé, tout le monde voulait en être. À 20 heures, 67 personnes étaient présentes et se préparaient à camper devant la CCISM pour une nuit blanche et pluvieuse. Pour tenir, ils ont rapporté des couvertures, des coussins, du ma'a, des bières, du vin... Au matin, à l'ouverture des inscriptions, les esprits se sont vite échauffés. Ceux qui avaient passé une nuit blanche se sont énervés contre l'organisation. Ceux qui sont arrivés parmi les derniers ont commencé à crier contre ceux qui avaient créé leur liste d'attente dès la veille... La situation a failli en venir aux mains.

Kim, une exposante venue en catastrophe dès qu'un ami lui a signalé le début de la queue, résume bien cette ambiance : “La difficulté d'obtention d'un stand pour cet événement commence à vraiment irriter les participants. Il y a aussi différentes incohérences. Beaucoup d'exposants ne sont pas des artisans, ils ne devraient pas y être. Il manque aussi beaucoup d'emplacements alors qu'ils savent que l'événement est populaire, il faut qu'ils arrivent à augmenter le nombre de stands. Ou au moins qu'ils mettent en place un tirage au sort pour éviter qu'on soit obligés de venir camper dans la rue sous la pluie ! Et au matin, après les inscriptions, on devra quand même aller travailler. Dans ces conditions, on en discute entre artisans, l'année prochaine on ne viendra pas, le jeu n'en vaut pas la chandelle.”

Un bijoutier assis près d'elle en rajoute : "Ce qui est dommage, c'est que c'est le salon du Made in Fenua, mais il y a beaucoup d'importateurs ou des gens qui font de vagues collages. Tu vois que les vrais bons créateurs sont souvent écœurés et ne viennent pas. Prokop ne vient pas cette année par exemple, tout comme Kaiaka des Marquises qui avait pourtant gagné le concours il y a deux ans avec une magnifique pirogue sculptée. Je me demande bien ce qu'ils vont avoir comme pièces pour leur concours de la plus belle création cette année..."

Il nous précise que changer de lieu ne serait pas une bonne solution : "L'année dernière ils avaient proposé de faire le salon à Mamao, mais ça ne serait plus le salon Made in Fenua, à To'ata c'est spécial. Les touristes viennent, il y a beaucoup de passage et ce sont des gens qui ne regardent pas sur le prix, ils apprécient la qualité et l'originalité."

Mike Ah Tchoy, directeur du Pôle Entreprises de la CCISM

“Ils veulent tous participer !”

Comment avez-vous vécu les ventes des stands de ce matin ?
“C'était compliqué, la tension était palpable à l'ouverture. Mais en deux heures on a traité 150 demandes avec une équipe de neuf personnes. C'est notable, on ne peut pas dire que l'organisation était si mauvaise. On a vendu tous les stands et on a réussi à satisfaire presque tout le monde. On a moins d'une vingtaine de personnes en liste d'attente, donc moins que l'année dernière. Au final, les gens ont réussi à s'entendre pour partager leurs stands.
Pour vous donner un peu de contexte, le salon Made in Fenua est un événement porté par une institution publique, la CCISM. C'est notre mission de service public de soutenir les artisans locaux. Ça coute plus de 15 millions d'organiser cette opération, contre 10 millions de ventes réalisées avec le prix des stands. Donc on subventionne la différence, ça coute 5 millions à la Chambre... L'opération est loin d'être rentable mais on continue de la soutenir pour mettre en valeur les artisans locaux.
Ce matin on a assuré le principe du premier arrivé, premier servi. Jusqu'à il y a quatre ans, à l'ouverture des inscriptions, une grande partie des stands était déjà réservée... Depuis qu'on a mis en place le système du premier arrivé, premier servi, on assure plus d'équité. Aujourd'hui nous avons 30% de nouveaux exposants à chaque salon, ce qui augmente l'attractivité... Mais on arrive aux limites de cette pratique.”

Vous disiez être victime de votre succès ?
Oui, aujourd'hui le salon Made in Fenua est devenu incontournable parmi les salons locaux. Depuis trois ans, on est passé de 12 000 visiteurs à près de 18 000 visiteurs. Le chiffre d'affaires généré par l'ensemble des exposants sur les quatre jours de salon a été déclaré à plus de 100 millions de Fcfp l'année dernière. Plus les retombées tout au cours de l'année qui sont conséquentes. Donc l'intérêt des artisans pour le salon est normal, ils veulent tous participer ! Mais on n'a que 100 stands pour environ 150 demandes, donc c'est compliqué de satisfaire tout le monde, on a beau retourner l'équation dans tous les sens, c'est insoluble.
On a demandé l'augmentation de l'emprise de Toata, on voulait notamment toute la place haute, ce qui ajouterait 40 stands supplémentaires et satisferait tout le monde. Il faut réserver un an à l'avance, donc on a fait cette demande en 2019, mais elle a été refusée à cause de l'organisation d'un concert à la même date. On nous a même retiré une travée de stands au dernier moment, donc on n'a que 101 stands au lieu de 108 ! On essaye de faire avancer les choses, mais ce n'est pas si simple. Il y a beaucoup de contraintes, c'est une organisation complexe alors que ce n'est pas le cœur de notre mission. Et vu le déséquilibre budgétaire, on ne peut pas mobiliser toutes les ressources matérielles et humaines nécessaires.
On a aussi étudié d'autres sites, notamment Mamao, mais les expériences passées et les retours des exposants ont démontré l'attractivité de To'ata, c'est son placement stratégique qui apporte autant de visiteurs et de chiffre d'affaires aux exposants. Je préférerais le faire à Mamao, c'est bien plus souple réglementairement et il y a plus de place, mais les exposants nous disent qu'on doit rester à Toata pour maintenir la réussite du salon. Mais ça laisse ouverte la question d'implanter une structure d'exposition qui aurait une plus grande capacité d'accueil avec un lieu d'implantation stratégique. À voir avec le gouvernement.”

Quelles seraient les solutions pour éviter que cette situation se reproduise ?
“Donc dans les pistes qu'on a étudiées, il y a la commercialisation en ligne, mais les artisans sans carte de crédit ou accès internet seraient handicapés. Le tirage au sort, ça amène aussi son lot de frustrations. Pour vérifier que les exposants font bien du made in Fenua, il y a un comité de sélection qui a été mis en place. Depuis 2 ans, il y a eu de l'écrémage. Cette année encore on va passer en revue tous les dossiers, on va rappeler les gens sur qui on a des doutes pour voir leurs produits, et certains seront écartés.
Une autre piste c'est de faire un deuxième salon, mais ça double les budgets, les ressources humaines, et ça diminuerait la rareté de l'événement et donc peut-être son attractivité, alors qu'il faudrait sans doute augmenter les prix des stands... C'est une piste à étudier quand même.
En tous cas l'année prochaine, on fera tout pour avoir plus de places et éviter cette peur de ne pas avoir de stand. On connait la demande, il faut arriver à la satisfaire. Et si ça n'est pas possible, on mettra en place une procédure pour éviter de revivre cette queue de 12 heures.”

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 27 Février 2020 à 18:14 | Lu 3025 fois