Shen Zhiliang : “Le virus est notre ennemi commun”


Tahiti, le 1er avril 2020 - Entretien avec le consul de Chine en Polynésie française, Shen Zhiliang, au sujet de la réponse locale dans la lutte contre le Covid-19, des soutiens de la Chine dans ce combat et des conséquences de cette crise sanitaire sur le projet aquacole de Hao.
 
 
Pour débuter, pouvez-vous nous préciser quels sont les chiffres du Covid-19 pour la Chine ?
“Comme vous le savez sans doute, la lutte de la Chine contre le coronavirus Covid-19 a déjà passé des phases cruciales et a emporté des succès. Selon les chiffres officiels, le nombre de personnes contaminées en Chine est de plus de 82 000. Il s’agit d’un cumul des cas confirmés depuis le début de l’épidémie. Aujourd’hui, il ne reste plus que 4 000 personnes infectées en Chine, dont 2 000 sont concentrées dans la région de Wuhan. Actuellement, dans la mesure où l’épidémie s’est déclarée dans de nombreux autres pays à travers le monde, la Chine fait face à un risque plus élevé de cas importés. Selon un bilan qui m’a été communiqué lundi, il y a déjà plus de 600 cas importés en Chine. On sait que la province de Hubei, où se trouve la ville de Wuhan, était la zone la plus touchée par l’épidémie. Depuis plusieurs jours, plus aucun cas nouveau n’est confirmé. Dans les autres provinces aussi, il n’y a plus de nouveau cas autochtones, mais des cas importés.”
 
Selon l’expérience de votre gouvernement, pensez-vous que la Polynésie a su prendre les bonnes mesures pour faire face à l’arrivée de ce virus, parti de Wuhan et aujourd’hui à l’origine d’une pandémie ?
“Tout d’abord, vous parlez d’un virus parti de Wuhan. Mais selon plusieurs scientifiques et chercheurs à travers le monde, même si ce virus a été détecté pour la première fois à Wuhan, son origine n’est pas forcément de là. On cherche toujours à savoir quelle est l’origine réelle. L’épidémie de Covid-19 touche aujourd’hui toute l’humanité. Je pense qu’avant de stigmatiser une éventuelle région d’origine, l’on doit considérer que c’est notre ennemi commun.
Quand on parle des mesures prises par le gouvernement chinois depuis le début de l’épidémie, il faut constater que notre gouvernement a fait une priorité de la santé et la vie de sa population. C’est pour cela que l’on a adopté les mesures les plus complètes, les plus strictes et les plus rigoureuses. Comme vous avez vu, nous avons décidé, dès le début de l’épidémie de mettre toute la ville de Wuhan en quarantaine. Puis toute la province de Hubei a été placée en isolement. Il faut savoir que Wuhan est une ville très peuplée avec 11 millions d’habitants et 58 millions dans la province de Hubei. Pour mettre en quarantaine une telle population, cela nécessite une politique avec une grande détermination. Nous avons fait face au risque d’expansion de l’épidémie vers d’autres provinces et freiné son expansion vers l’étranger. Selon les expériences accumulées pendant notre lutte contre le Covid-19, je veux dire que cette maladie se soigne. Il est possible d’en prévenir la propagation, en suivant les quatre principes importants : agir tôt, dépister tôt, isoler tôt et traiter tôt. C’est une des expériences les plus importantes que l’on a tiré. Après l’apparition de ce virus, le gouvernement chinois a adopté une attitude responsable en révélant et partageant les informations acquises sur ce virus avec l’OMS. C’est grâce à tous ces efforts et aux sacrifices que notre population a faits que nous avons pu franchir la première phase de contrôle de la maladie et gagner un peu plus d’un mois pour le reste du monde.”

 
Pensez-vous que les mesures adoptées ici sont les bonnes, au regard de l’expérience que vous avez acquise en Chine ?
“Depuis le début de l’épidémie, je suis en contact avec les autorités locales. En tant que consul de Chine, nous avons fourni au moment opportun au ministère de la Santé les procédures de diagnostic et de traitements fournies par notre Comité de santé. J’ai aussi observé les mesures adoptées par les autorités polynésiennes. Je constate que nombre d’entre elles sont identiques à celles mises en place en France métropolitaine. En Chine, on dit souvent qu’il faut respecter la réalité nationale de chaque pays. Selon notre expérience, et comme il s’agit maintenant d’une pandémie, le confinement et l’isolement sont tout à fait nécessaires. C’est le meilleur moyen d’enrayer l’expansion du virus en coupant les chaines d’infection. Il y a une ou deux semaines, sur invitation, j’ai rencontré des membres de la mairie de Faa’a, pour partager avec eux notre expérience sur les mesures à prendre. On sait tous que ce nouveau virus est extrêmement contagieux.”
 
Selon vous, sommes-nous sur la bonne voie ou avons-nous encore plusieurs semaines de confinement devant nous ?
“En tant que consul, je ne suis pas un expert. Il me semble que les autorités locales sont plus à même de répondre à ces questions, sur la base des observations faites ici. Il faut que les experts donnent leurs avis après avoir analysé l’origine des cas constatés et les chaines de contamination.”
 
Quel est le bilan que tire les autorités médicales de votre pays concernant la chloroquine ?
“Je ne suis pas non plus un expert en médicament. J’ai vu des reportages à propos de la chloroquine. Il n’y a pas de remède pour soigner cette maladie. Je sais que certains pays ont déjà, à travers des expériences cliniques, vérifié que la chloroquine peut être efficace dans certains cas. On sait aussi qu’il ne faut pas en abuser, en toutes circonstances. L’utilisation d’un médicament doit dépendre du statut sanitaire du patient qui le prend. Et dans le projet de traitement que l’on a fourni au gouvernement polynésien ainsi qu’aux autres pays, je n’ai pas vu que l’on a confirmé l’effet de la chloroquine dans le traitement. On laisse cela aux études des chercheurs et des experts.”
 
Les entreprises chinoises reprennent leur activité. Le projet aquacole reste-t-il d’actualité ?
“Tout d’abord, il me faut souligner que lorsque nous étions en crise sanitaire, nous avons reçu beaucoup d’aide de la communauté internationale, dont la France qui nous a envoyé des masques de protection, ce dont nous sommes profondément reconnaissants. Notre peuple sait exprimer sa gratitude. Aujourd’hui, presque toutes nos usines ont repris la production, dont certaines 24 heures sur 24. Et chaque jour, les principaux aéroports de Chine sont emplis de vols emportant du matériel vers d’autres pays, qu’il s’agisse de dons ou de commandes.
Plus concrètement, sur le projet de Hao, nous avons prévu le redémarrage des travaux cette année. Actuellement, l’épidémie se répand encore à travers le monde. Cela va certainement freiner l’avancement du projet. Les techniciens de Chine ne peuvent plus venir. Les permis de travail sont suspendus. Je sais bien que les équipes sur ce projet-là, les équipes en Chine et au plan local, restent en contact et collaborent de manière étroite.”

 
Vous avez rencontré le conseil municipal de Faa’a au sujet de cette épidémie de coronavirus. Sur quels points avez-vous particulièrement insisté ?
“Le point le plus important sont les quatre principes que je vous ai présentés tout à l’heure : agir tôt, dépister tôt, isoler tôt et traiter tôt. Un autre conseil est d’éviter tout déplacement non obligatoire. Moi-même, je suis originaire de la ville de Wuhan. De nombreux membres de ma famille habitent là-bas, dans différents districts. Habituellement, ils ont une réunion familiale tous les week-ends. Cela fait maintenant 60 jours qu’ils ne se sont plus réunis. Ils suivent les recommandations du gouvernement : il vaut mieux rester chez soi pour se protéger et protéger toute sa famille. (…)”
 
Un avion d’Air Tahiti Nui a décollé la nuit dernière en direction de Shanghai pour en ramener près de 100 mètres cubes de matériel médical divers commandés par le Pays. La municipalité de Faa’a a-t-elle également fait appel à vous pour de l’aide ?
“Entre les villes et les communes en France métropolitaine comme ici il y a des jumelages avec des villes chinoises. Aujourd’hui, les villes sœurs en Chine veulent apporter du soutien à leur jumelle. La ville jumelée à Faa’a en Chine est la ville de Jiangyin dans la commune de Jiangsu. Jiangyin nous a confirmé sa volonté d’offrir de l’assistance à Faa’a. La commune de Papeete aussi est jumelée avec le district de Changning à Shanghai. Ils vont aussi offrir des matériels médicaux à Papeete. Et comme nous avons parlé du projet de Hao, je peux vous dire que la société Tahiti Nui Ocean Foods de M. Wang Chen va aussi offrir des équipements médicaux pour vous aider, notamment 10 000 masques FFP2. (…).”
 
Que pensez-vous de la réaction de ceux qui analysent ces aides aux communautés du Pacifique comme une stratégie géopolitique ?
“Les gens qui disent ça pensent trop. Ces envois font partie des relations bilatérales entre la Chine et ces pays. Ils répondent aussi à une demande de l’OMS, d’apporter de l’assistance là où il y en le plus besoin. On apporte assistance aux pays du Pacifique, en Afrique, en Amérique latine, là où il y en a besoin. C’est comme cela qu’il faut voir ces aides. Je sais bien qu’il existe cette tendance, dans les médias occidentaux et surtout américains, de diaboliser tout ce que fait la Chine. (…) Je me demande aussi souvent comment dans ces temps difficiles, quand la Chine traverse des difficultés comme cela, pourquoi ces attaques ne cessent pas. Quel est leur objectif ? (…).”
 
Comment voyez-vous l’avenir sanitaire de la Polynésie ?
“Pour tous les pays du monde, le niveau de leur système de santé reflète leur développement économique. (…) J’ai de la confiance et j’ai noté que l’Etat français a exprimé son soutien aux collectivités de la zone Pacifique, dans la lutte contre le Covid-19. Mais comme je l’ai rappelé tout à l’heure, c’est une bonne chose de promulguer des mesures, mais elles doivent être respectées. C’est très important.”

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Mercredi 1 Avril 2020 à 01:53 | Lu 3221 fois