Sept policiers polynésiens reviennent exercer au fenua


Ces sept mūto'i étaient déjà en poste en métropole. Ils ont été présentés ce mardi matin, à la presse, en présence des différents chefs de services de la DSP.
PAPEETE, le 4 septembre 2018 - Après avoir travaillé durant de longues années en métropole, ces sept mūto'i reviennent enfin au fenua pour intégrer l'unité d'intervention et d'assistance gérée par le commandant Tamatea Tuheiava. Des recrues qui apporteront un nouveau souffle au sein des équipes.

Ils étaient entourés de leur nouveau patron, ce mardi matin. Les sept nouveaux policiers de la Direction de la sécurité publique (DSP) ont déjà des bagages bien remplis. "Ce sont des garçons qui ont de l'expérience dans la police, ils apporteront un nouveau souffle au commissariat et auprès de leurs collègues", explique d'entrée le directeur de la DSP, Mario Banner.

En effet, ces mūto'i ont exercé durant huit ans, en moyenne, en métropole, au sein de divers commissariats et services. Plusieurs d'entre eux, ont travaillé dans des compagnies républicaines de sécurité (CRS). Une expérience unique qui leur a permis de forger leur mental, parce qu'on sait que les interventions dans l'Hexagone n'ont rien à voir avec ce que l'on connait en Polynésie française. "Ce sont des garçons qui sont qualifiés et formés dès leurs prises de fonction", assure Mario Banner.

D'ailleurs, ces sept gardiens de la paix sont affectés à l'unité d'intervention et d'assistance qui est gérée par le commandant Tamatea Tuheiava.

Sur les dix dernières années, ce sont 21 fonctionnaires de police polynésiens qui sont revenus exercer au fenua. Selon le patron de la DSP, il en resterait encore une trentaine en France, et les ramener ne sera pas une tâche facile. Mario Banner estime que des négociations pourraient reprendre à ce sujet, l'an prochain. Mais encore faut-il avoir les moyens ou plutôt les postes disponibles. La balle est entre les mains du gouvernement central.

Aujourd'hui, la DSP compte 191 fonctionnaires, dont les ¾ exercent au sein de l'unité d'intervention menée par le commandant Tamatea Tuheiava. Pour l'heure, ces mūto'i interviennent sur Pirae et Papeete, reste à savoir si leur champ d'action va s'élargir. Mais là, c'est une autre histoire.


L'INTERVIEW

Mario Banner
Directeur de la DSP

"L'avantage de faire revenir des policiers polynésiens, c'est qu'ils sont déjà expérimentés"


Vous disiez tantôt qu'il en resterait encore une trentaine environ en métropole. Qu'en sera-t-il pour eux ?

"Le ministre Darmanin, lors de son dernier voyage en Polynésie, a déclaré qu'il était pour le retour des fonctionnaires ultramarins dans leur territoire d'origine. Mais, ce n'est pas simplement le fait de ramener des gens pour se faire plaisir. Il faut que les postes budgétaires existent, ce qui est le cas pour les sept fonctionnaires que nous avons ramené. C'est vrai que si on étendait la circonscription, ça fera des fonctionnaires en plus, mais ce n'est pas le seul moyen. C'est Paris qui décide sur le nombre de fonctionnaires, c'est un calcul de ratios qui est fait. Sinon, il faut attendre les prochains départs à la retraite."

Vous allez vous pencher dessus prochainement ?
"L'année prochaine, il faudra qu'on négocie encore avec Paris. C'est vrai que quelque fois, il y a des cas sociaux qui préoccupent l'administration parisienne et on essaye de trouver le juste milieu pour les ramener."

On vous sent ému ce matin ?
"Je suis très fier de voir que les enfants polynésiens reviennent exercer sur leur territoire d'origine, parce que ça apporte, d'une part, un souffle nouveau, de par leur expérience à partager avec les fonctionnaires issus du corps CEAPF. Et surtout c'est un problème humain, c'est-à-dire qu'ils sont tous originaires d'ici et ils ont eu l'audace de quitter leur pays pour quelques années, pour avoir une expérience nouvelle et d'en faire bénéficier leur fenua, à leur retour."

Vous aviez également été affecté ailleurs qu'en Polynésie. Et pour vous ce retour aux sources est nécessaire pour l'évolution des carrières ?
"C'est très compliqué quand on n'a pas l'habitude de vivre en métropole. C'est un choix, c'est un investissement, et aujourd'hui, on est récompensé sur les efforts qui ont été faits en les expatriant."

Oui mais le fait de ramener des fonctionnaires déjà en poste en France, ne pénalisera pas les jeunes qui voudront passer le concours du CEAPF (Corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française) ?

"Plus on fait revenir des fonctionnaires polynésiens au fenua, moins il y aura de recrutements des agents du CEAPF (Corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française). Les agents du CEAPF, après avoir fait l'école en Métropole, ne peuvent exercer qu'en Polynésie. Donc, il y a des avantages et des inconvénients. Et l'avantage de faire revenir des policiers polynésiens, c'est qu'ils sont déjà expérimentés, formés et donc opérationnels le jour même de leur prise de fonction, ce qui n'est pas le cas avec les CEAPF. Il leur faut déjà une année de formation, une année de stage, et ils ne seront opérationnels que deux ans après."



LA PAROLE A

Jérôme Tavaearii
41 ans

"Là-bas, c'est très dangereux"


"J'exerçais au CRS à Sartrouville, à côté de Metz, pendant trois ans. J'étais un ancien militaire et j'ai vécu 19 ans en métropole. Ça fait 4 ans que j'exerce au sein de la police. L'éloignement a été dur, mes parents sont décédés. Mais cette expérience m'a été bénéfique. En France, c'est très espacé, et la population n'est pas la même, il y a plusieurs ethnies. La délinquance est importante, la drogue. Il y a beaucoup de manifestations également en France, ça n'a rien à voir avec ce qu'il y a ici. Là-bas, c'est très dangereux, il faut être très vigilant et avoir confiance en ses collègues."


Raanui Roomataaroa
32 ans

"Ici, la tenue est encore respectée "


"Je suis resté quatre ans en France. J'ai fait l'école à Nîmes et j'ai été affecté dans le 18è arrondissement de Paris. Le plus dur a été le cadre de vie. Pour le métier, tout a été bénéfique, parce qu'on a appris beaucoup de choses. Par contre, le cadre de vie était plutôt difficile.
Plusieurs interventions m'ont marqués, comme un mari qui a poignardé sa femme et qui a sauté de son immeuble pour mettre fin à ses jours. Quand tu ouvres la porte et que tu vois ça, psychologiquement, c'est dur. Je n'en parle pas beaucoup, mais je fais en sorte d'évacuer ça par d'autres moyens. Sinon, ça va, c'était une bonne expérience à prendre. Aujourd'hui, je suis super content de revenir au fenua et de retrouver mes collègues de travail polynésien, surtout le cadre. Ici, la tenue est encore respectée, ce qui n'est pas forcément le cas en France.
"


Teharetua Tehei
37 ans

"Là-bas, c'est une autre vie"


"Je suis resté huit ans en métropole, je suis issu de la première promotion des cadets de la République en Polynésie. J'ai passé le concours national en 2008, et j'ai intégré l'école de Nîmes en 2010. En 2011, j'ai intégré les CRS de Massy, dans l'Essonne, en région parisienne.
Après huit ans d'attente, ça fait toujours plaisir de revenir, surtout pour mes trois enfants et ma femme. Ce n'était pas évident et en tant que CRS, il faut qu'il y ait une entente au sein du couple. Il faut que la femme accepte les déplacements. Là, on a su qu'on revenait, ça nous a réellement fait plaisir. Maintenant, on pourra s'organiser pour notre nouvelle vie.
Durant, le premier attentat en 2013, à Charlie Hebdo, j'étais en déplacement, et ma femme était à la maison avec ma fille. J'ai pris peur parce qu'on habitait à 20 minutes du lieu où s'est tenu l'attentat. J'ai appelé des amis à proximité pour voir si ma famille allait bien. Moi, j'étais en mission ailleurs en tant que CRS. J'étais numéro 5 et nous étions spécialisés dans les manifestations. Nous, on devait ramener l'ordre, et la métropole c'est une autre mentalité, surtout sur la région parisienne, où c'est vraiment virulent. Durant les manifestations où je suis intervenu, les personnes jetaient des cailloux et des fumigènes. Un collègue a même eu son pantalon brûlé avec ces fumigènes. Là-bas, c'est une autre vie.
"


Teriitahi Teuru
30 ans

"J'ai vécu une très belle expérience"


"J'entamais ma 9ème année, et j'ai été directement affecté au CRS, dans le département 91, dans l'Essonne, dans le Sud-Est de Paris. C'est la capitale avec beaucoup de monde et beaucoup de mouvements. Beaucoup de choses m'ont réellement marqués, comme des manifestations compliquées, difficiles à gérer, surtout avec la violence qu'il y a là-bas. Ça n'a rien à voir avec ce qui se passe ici. Il y a eu aussi les attentats, parce que nous n'avons pas l'habitude de vivre cela, on a été amené à voir des choses que je ne souhaite à personne d'ailleurs, ça marque à vie. Je n'ai pas vu le temps passé parce qu'en tant que CRS, on est tout le temps sur le terrain, on bouge beaucoup, on voyage beaucoup, on intervient sur le territoire national, de Paris à la Corse, en passant par la Bretagne, et partout ailleurs. Il y a des moments, où il y a des coups de blues, où on pense à la famille, aux amis. Malgré tout, je dis que j'ai vécu une très belle expérience. Grâce à cela, je vais faire profiter mes collègues d'ici, mais je suis là aussi pour apprendre d'eux. Ce n'est pas la même méthode de travail."


Tahiarii Tutavae
31 ans

"Le fait de travailler en France apporte beaucoup d'expériences"


"J'ai fait deux ans en France. J'ai été affecté en brigade de jour à Kremlin-Bicêtre, dans le département du 94, au Val-de-Marne. J'étais au service général, nous faisions beaucoup de missions de voies publiques, ça peut aller des contrôles routiers jusqu'aux différends familiaux, des accidents corporels… La police forge, et le fait de travailler en France apporte beaucoup d'expériences, comme des interventions à hauts risques et qu'on ne refera peut-être pas à Tahiti. Mais, je suis très content de revenir travailler chez moi."


Raiarii Yu Tsuen
29 ans

"Là-bas, une mission simple peut devenir très dangereuse"


"J'ai fait presque quatre ans en France, j'ai été affecté dans le 93 à Seine-Saint-Denis, dans la banlieue parisienne. J'étais dans la brigade de nuit, contrôles routiers, accidents, les différends familiaux…
Plusieurs interventions m'ont marqués, mais c'est quand même des sujets sensibles à évoquer. Chez nous, au niveau de la population ce n'est pas la même chose, il y a encore le respect avec l'uniforme. Alors que là-bas, une mission simple peut devenir très dangereuse. J'ai su en novembre 2017, que j'allais revenir, et je n'attendais que ça.
"


Thierry Teauroa
43 ans

"J'ai pleuré parce que je revenais enfin au fenua auprès de ma famille"


"Je suis parti par l'intermédiaire de l'armée. J'ai passé le concours d'adjoint de sécurité en 2001, où j'ai été affecté à la police aux frontières d'Orly, j'y suis resté presque six ans. Ensuite, j'ai passé le concours de gardien de la paix, et j'ai intégré l'école en 2006. À la sortie, j'ai été affecté à la compagnie de garde de l’Élysée, où je suis resté 11 ans, et jusqu'à l'année dernière, j'ai été affecté à la compagnie républicaine de sécurité, en CRS. Avec du recul, je suis impressionné par mon parcours. Je n'étais parti de rien, et l'armée m'a fait mûrir. Par la suite, je me suis dit que je voulais être policier, et c'est comme cela que j'ai passé les concours. Mon dernier voyage au fenua remonte à 1998. En juin, j'ai posé ma demande de mutation, et j'ai eu ma réponse mi-juillet. J'ai pleuré parce que je revenais enfin au fenua auprès de ma famille. Aujourd'hui, je suis mariée avec une marquisienne qui est née en métropole. J'ai laissé ma petite famille là-bas parce que ma femme est institutrice, mais, on espère qu'elle sera mutée au fenua, par la suite."



Rédigé par Corinne Tehetia le Mardi 4 Septembre 2018 à 16:09 | Lu 18267 fois