Sensibiliser sur la biosécurité marine pour préserver la biodiversité


Tahiti, le 22 septembre 2022 – Éviter l'importation d'espèces non souhaitées ou non locales, par voies maritimes, est un enjeu important de biosécurité, car cela peut avoir des répercussions importantes sur la faune et la flore polynésiennes, mais aussi économiques. Dans cette optique, un séminaire à destination des décideurs locaux était organisé jeudi et vendredi, en collaboration avec des scientifiques venus de Nouvelle-Zélande.
 
L'Institut des récifs coralliens du Pacifique (IRCP) et le Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (Criobe) de Moorea ont organisé, jeudi et vendredi, un séminaire sur la biosécurité marine en collaboration avec la fondation Blue Cradle et le Cawthron Institute de Nouvelle-Zélande. L'objectif est de voir comment la Polynésie française peut travailler avec les pays voisins du Pacifique Sud sur les questions de biosécurité marine. Il s'agit de la sécurité biologique liée à l'importation d'espèces non souhaitées ou non locales, par voies maritimes. Cela concerne donc l'ensemble des embarcations, que ce soient des cargos, des voiliers ou des paquebots de croisière, qui sont susceptibles, “par l'intermédiaire des coques ou des eaux de ballast, de transporter, sans qu'eux-mêmes le sachent, des espèces qui ne sont pas locales et qui ont été capturées, par exemple, sur les coques en Nouvelle-Zélande ou au Panama ou dans des endroits très différents du monde”, explique le directeur de l'IRCP et directeur de recherche au CNRS, Serge Planes.
 
Et les enjeux de la biosécurité sont importants. “Certaines espèces, lorsqu'elles vont être introduites, vont être des pestes, c'est-à-dire qu'elles vont prendre le dessus sur les autres espèces. Elles vont finalement se retrouver dominantes, parce qu'elles ont des capacités, par exemple, de dispersion ou à se développer. Donc automatiquement on va se retrouver avec des espèces qui vont envahir le milieu. L'enjeu, c'est finalement de contrôler et d'éviter l'entrée d'espèces qui vont devenir envahissantes”, explique Serge Planes. Il y a également des enjeux économiques. Selon le directeur de l'IRCP, “au moins une petite dizaine d'espèces de mollusques” ont été introduites en Polynésie française. Or, ces mollusques pourraient “peut-être, un jour, être des compétiteurs de l'huître perlière. On ne sait pas exactement aujourd'hui, mais les conséquences pourraient être importantes.”

Encore aucune espèce marine “invasive” au fenua

Si dans le monde, les espèces devenues envahissantes sont nombreuses, à l'image de la rascasse volante dans les Caraïbes “qui a complètement dégradé les espèces locales de petits poissons”, le crabe bleu “qui dévaste complètement tous les étangs du Nord de la Méditerranée” ou encore la moule zébrée, sur les côtes américaines, qui “recouvre les autres espèces, les asphyxie et crée des mortalités, notamment dans les élevages de moules ou d'huîtres traditionnelles”, en Polynésie française, aucune espèce marine n'est pour le moment devenue invasive. Cependant, la surveillance est primordiale pour éviter de se retrouver dans des situations similaires à celle que connaît le milieu terrestre avec le miconia, qui, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature, menace de disparition 40 à 70 plantes endémiques de l'île de Tahiti. Car s'il n'y a pas encore d'espèces devenues invasives dans le milieu marin polynésien, certaines ont néanmoins été introduites. “Dans le port de Papeete, il y a près de 20% des espèces qui ne sont pas des espèces natives du port de Papeete, qui ne sont même pas natives de Polynésie. Elles ont donc été introduites, mais pour le moment, aucune n'est devenue dominante sur les autres espèces locales”, précise Serge Planes.
 
Le séminaire, organisé jeudi et vendredi et réservé aux professionnels et décisionnaires locaux, vise donc à les sensibiliser sur les questions de biosécurité afin “d'intégrer dans le futur certaines mesures pour éviter la dispersion d'espèces nouvelles exotiques introduites, qui peuvent ensuite se développer et devenir invasives”. Le grand public a aussi été sensibilisé mardi et mercredi, à l'occasion de deux conférences. Un documentaire devrait également bientôt voir le jour.

Serge Planes, directeur de l'IRCP et directeur de recherche au CNRS : “On ne sait pas trop comment faire”

En Polynésie française, actuellement, comment se situe-t-on ? Est-on en avance ou en retard par rapport aux questions de biosécurité ?
“On est plutôt en retard, mais beaucoup de monde est en retard, parce qu'on ne sait pas trop comment faire. Il y a en premier lieu un vide sur comment il faut faire pour contrôler les eaux de ballast. Il y a dans ces eaux de ballast des gros cargos, qui sont faites pour stabiliser les bateaux, des centaines de mètres cubes d'eau, et dedans, il y a toute une faune au stade planctonique qui se développe.
Il y a des nouvelles normes qui viennent de se mettre en place sur les certificats de coque propre, les certificats d'eaux de ballast propres, l'obligation de vider au large pour éviter justement la contamination locale… Il y a quelques éléments qui se mettent en place mais ça reste assez compliqué quand même. C'est plus souvent par manque de connaissances et de savoir-faire. Donc ça se développe un petit peu mais c'est quelque chose qui reste encore compliqué.”
 
C'est justement ça qui est évoqué lors du séminaire qui se déroule jeudi et vendredi ?
“Oui, c'est ça, mais dans un contexte où la Nouvelle-Zélande est un pays qui, aujourd'hui, est quand même assez en avance. Donc on s'intéresse à ce qui a été fait en Nouvelle-Zélande. Qu'est ce qui est potentiellement intéressant pour la partie transfert vers la Polynésie ? Qu'est-ce qui est applicable ? Qu'est-ce qui serait pour le moment encore compliqué d'appliquer ? Et puis il y a les échanges pour savoir comment appréhender le côté connaissances, à la fois avec les équipes scientifiques locales et celles en Nouvelle-Zélande. Et il y a le côté prévention et intervention sur le risque. C'est plutôt un échange international pour savoir comment, avec les collègues, à l'échelle du Pacifique Sud, il y a des possibilités d'avancer plus vite sur la méthodologie ou les processus à mettre en place en Polynésie.”
 
Quels types de collaborations sont envisagées ou envisageables ?
“On a vraiment pour objectif d'essayer d'avoir des collaborations avec à la fois le côté scientifique mais également le côté service public. C'est-à-dire, ici, le Port autonome, les services de la biosécurité, comment ils peuvent avoir des interlocuteurs qu'ils ne connaissaient pas jusqu'à présent, en Nouvelle-Zélande, sur des problèmes qui pourraient être intéressants pour eux.”

De la surveillance de routine à la science citoyenne

Parmi les deux conférences destinées au grand public, celle qui s'est déroulée mercredi soir avait pour thème “L'ADN environnemental : De la surveillance de routine à la science citoyenne”.L'ADN environnemental, c'est tout ce qui est les cellules que perdent les organismes marins lorsqu'ils sont dans l'eau. Les organismes ont un mucus qui recouvre les téguments, défèquent dans l'eau, et ils vont, au travers de ces structures-là, relarguer leurs cellules”, explique le directeur de l'IRCP, Serge Planes. En filtrant l'eau, les scientifiques récupèrent les cellules des organismes présents dans l'eau, puis en analysant les échantillons, ils sont alors capables de déterminer de façon précoce l'existence d'espèces invasives et de mettre en place certains moyens de traitement. Une méthode particulièrement intéressante puisqu'elle permet de repérer “des espèces qui ne se voient pas bien, qui ne sont pas en grand nombre ou qui sont difficiles à observer ou plutôt nocturnes”.
Et afin de faciliter le travail des scientifiques, le grand public est invité à apporter sa contribution. “Ce sont des opérations qui sont relativement faciles à faire. L'idée est donc de se servir d'associations relais pour faire des échantillons pour ensuite envoyer le résidu de ces échantillons, qui sera analysé dans un laboratoire central en génétique”, explique Serge Planes. “En faisant des échantillons, on a accès à des gens qui sont un peu partout en Polynésie, sur un territoire très étendu, donc ça augmente la capacité de surveillance. Et ça fait participer aussi la population qui se sent citoyenne et investie, dans l'échantillonnage mais aussi, derrière, dans la sensibilité par rapport à ça.”

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Jeudi 22 Septembre 2022 à 15:21 | Lu 1042 fois