Sémantique et politique à l'APF


Les élus de Tarahoi étaient à nouveau réunis ce jeudi matin en séance plénière à l'assemblée avec un ordre du jour assez maigre puisque seulement cinq rapports étaient au programme, dont l'un a été retiré. Ce sont surtout les questions orales de l'opposition qui ont occupé les débats. Crédit photo SD
Tahiti, le 12 octobre 2023 – Bataille sémantique, linguistique et politique ce jeudi à l'assemblée entre le représentant Tapura des Marquises, Benoît Kautai, et le président du Pays, Moetai Brotherson sur la question de la citoyenneté polynésienne.
 
Les élus de Tarahoi étaient à nouveau réunis ce jeudi matin en séance plénière à l'assemblée avec un ordre du jour assez maigre puisque seulement cinq rapports étaient au programme, dont l'un a été retiré : celui concernant l'approbation du compte financier 2022 de l'Institut du cancer... qui faisait d'ailleurs l'objet d'une question orale de l'élue Tapura, Cathy Puchon (voir encadré). Restaient donc les trois rapports de la chambre territoriale des comptes, dont Tahiti Infos s'est largement fait l’écho, et la proposition portée par Nicole Sanquer de A Here Ia Porinetia sur l'abrogation de la loi vaccinale. Autrement dit, rien n'émanant du gouvernement ou de la majorité Tavini.

L'attention s'est donc naturellement portée sur les réponses apportées par le gouvernement aux trois questions orales posées par l'opposition relatives à la citoyenneté polynésienne, la situation d'ATN et le devenir de l'Institut du cancer.

Le représentant marquisien Benoît Kautai s'interrogeait en effet sur les “contours extrêmement flous” de cette citoyenneté promue par le jeune député Le Gayic pour qu'elle soit inscrite dans le marbre de la Constitution, et confirmée au travers d'un “vœu” formulé par un arrêté pris en conseil des ministres le 20 septembre dernier. “Les contours n'ont pas été fixés volontairement afin que le débat démocratique s'opère”, lui a simplement répondu le président du Pays qui lui a rappelé que cette fameuse citoyenneté faisait partie du programme du Tavini.

La citoyenneté : un outil juridique
 
Sans vraiment répondre au représentant des Marquises sur la volonté cachée de finalement aboutir à une “restriction du corps électoral”, Moetai Brotherson a martelé que cette citoyenneté était un “moyen juridique d'adopter une vraie protection de l'emploi local et d'éviter les spéculations immobilières”. Interrogé après la séance, il a précisé : “Dans le vœu qu'on a émi, on n'associe absolument pas cette citoyenneté à un corps électoral spécial. La citoyenneté mā'ohi est un dispositif juridique qui ne vient pas se substituer aux démarches qui s'inscrivent dans un processus de décolonisation et d'autodétermination”. Au Tavini, chacun appréciera...

Mais c'est davantage sur la sémantique que le président du Pays s'est exprimé pour répondre à Benoît Kautai qui estime que le terme “mā'ohi” est un “non-sens” et n'est pas approprié pour les Marquisiens. Réponse du berger à la bergère, Moetai Brotherson s'est alors lancé dans une explication linguistique sur l'origine du mot “polynésien”. Et pour tenter d'arrondir les angles, il a proposé qu'un “groupe d'experts” émanant des cinq archipels puissent éventuellement réfléchir à un “terme plus consensuel” pour que “la linguistique, la politique et la sémantique puissent naviguer de concert”. Pourquoi pas, répond Benoît Kautai qui n'était pas vraiment satisfait de cette réponse. “Il n'y a aucune concertation au niveau de l'assemblée alors que c'est nous qui votons les lois”, a-t-il regretté, précisant qu'il allait “insister” en envoyant à nouveau une question écrite cette fois, au président du Pays, car il ne se sent pas mā'ohi, mais bel et bien “polynésien” et “Enata”.

Ciel couvert pour Air Tahiti Nui
 
La représentante de A here ia Porinetia a pour sa part interpellé le président du Pays également en charge du tourisme, sur l'avenir d'Air Tahiti Nui qui doit faire face à une “suroffre de sièges” avec une concurrence plus féroce et une “dégradation” de ses comptes. Après avoir refait un peu l'historique de la compagnie au tiare qui a “traversé de nombreuses crises”, le président Brotherson a concédé que “les points de vigilance sont nombreux”. Il a notamment rappelé que le “manque de chambres” dans les hôtels – notamment depuis la crise Covid – avait heureusement été compensé par “les petites structures d'hébergement telles que les pensions de famille”.
En ce sens, il a annoncé que deux projets de loi seraient bientôt présentés aux élus de l'assemblée “pour accompagner d'une part la mise en conformité de ces établissements, et d'autre part projeter les aides dans les archipels”. Sur la concurrence, le président a indiqué qu'il fallait “se réinventer” et “trouver de nouveaux leviers” pour “se démarquer” en diversifiant les activités. “C'est la raison pour laquelle nous retournons au Japon de manière phasée car il y a un intérêt des Polynésiens pour cette destination. Les ventes de billets, à ce jour, sont bonnes”, s'est-il réjoui. Rappelons toutefois que si ATN a arrêté de desservir le Japon, ce n'était pas seulement à cause de la crise sanitaire mais aussi parce que cette ligne était déficitaire pour la compagnie. “
Sur l'axe nord-ouest, oui la concurrence est là et vient surenchérir l'offre mais nous avons nos cartes à jouer car la demande reste présente”
, a-t-il ajouté. Une réponse trop vague pour Nicole Sanquer qui est restée sur sa faim et qui s'interroge toujours sur “le cap” que s'est fixé le président pour ATN. La nomination, mardi, de Nuihau Laurey au sein du conseil d'administration d'ATN changera peut-être la donne.

L'Institut du cancer relocalisé au centre 15
 
Tandis que la majorité des élus de Tarahoi étaient de rose vêtue en ce mois d'octobre dédié à la prévention du cancer du sein, la représentante du Tapura Huiraatira Cathy Puchon s'est quant à elle inquiétée du devenir de l'Institut du cancer dont le bâtiment devait être construit à Princesse Heiata, les études et les budgets ayant été bouclés.
Le ministre de la Santé Cédric Mercadal lui a répondu que le choix avait été fait de finalement "relocaliser" cet institut qui va intégrer la recherche et le suivi des maladies radio-induites, à côté du CHPF, au centre 15 (la rotonde). "Un choix motivé par des considérations budgétaires et logistiques", a-t-il expliqué, précisant que la réhabilitation de ce bâtiment “prendrait moins de temps” que d'en construire un nouveau, et que cela coûterait moins cher : 1,5 milliard de francs contre 5 milliards pour le projet à Princesse Heiata. Une décision “plus responsable”, a-t-il ajouté, précisant que cet institut verrait le jour en 2025.
Pour Cathy Puchon, le doute subsiste. “Nous sommes dans l'attente de voir si ce coût d'1,5 milliard annoncé par le ministre de la Santé est vraiment réalisable.” Quant au choix de transposer cet institut au centre 15 qui jouxte l'hôpital de Taaone, là encore, elle ne semble pas convaincue : “C'est un bâtiment qui a nécessité des travaux et c'est une affaire qui est toujours au tribunal, donc nous sommes inquiets, à moins que le Pays puisse effectuer des travaux de consolidation de ce centre 15” qui doit accueillir le fameux cyclotron “qui pèse 50 tonnes”.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Jeudi 12 Octobre 2023 à 17:56 | Lu 3773 fois