Jusqu’en 2010, un vieil habitant de l’île de Robinson Crusoé accueillait, ainsi vêtu, les passagers des rares paquebots à ancrer dans la baie de Cumberland, devant le petit village de San Juan Bautista.
Tout le monde connaît l’histoire de Robinson Crusoé, écrite en 1719 par Daniel Defoe (1660-1731). Ce naufragé, perdu sur une île déserte au large de l’Orénoque, dans la mer des Caraïbes, est né non pas de l’imagination de l’écrivain anglais, mais de l’adaptation qu’il fit de l’aventure authentique d’un marin écossais, Alexander Selkirk, abandonné 4 ans et 4 mois sur une île déserte du Pacifique Sud. Tahiti Infos a remonté le temps jusqu’au début du XVIIIe siècle pour vous présenter le véritable et authentique Robinson.
Le titre complet du “Robinson Crusoé” de Defoe est d’une infinie longueur : “La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut 28 ans sur une île déserte sur la côte de l'Amérique, près de l'embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d'un naufrage où tous périrent à l'exception de lui-même, et comment il fut délivré d'une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même.”
Les corsaires de la reine Anne
Ce roman, le premier de Defoe (qui laissa à sa mort plus de 500 oeuvres !) eut, de suite, un succès mondial ; il était très largement inspiré de deux textes, publiés en 1712, l’un par le capitaine Woodes Rogers et l’autre par Edward Cooke, qui retrouvèrent tous deux un marin du nom d’Alexander Selkirk sur l’île déserte de Masatierra. Mais que faisait donc, en plein Pacifique Sud, au large des côtes chiliennes (à environ 650 km de Valparaiso), un marin aussi expérimenté que ce Selkirk ?
Pour le savoir, il faut remonter quelques années en arrière.
La guerre sévit entre l’Angleterre d’une part, la France et l’Espagne d’autre part. En 1703, William Dampier, célèbre capitaine anglais, est envoyé par la reine Anne (1665 -1714) dans le Pacifique Sud, pour écumer les côtes chiliennes et péruviennes afin d’ y piller navires, ports et villes. En prime, on lui demande de mettre la main sur le fameux galion d’Acapulco, bateau qui, une fois par an, très lourdement et richement chargé, relie Manille au Mexique, une cargaison fabuleuse dans ses cales.
Un homme frustre, violent, bagarreur
Dampier quitte le sud de l’Irlande le 11 septembre 1703 avec deux navires : le “Saint-Georges” et le “Cinq Ports”. A bord de ce dernier, un Ecossais de 24 ans, Alexander Selkirk, né à Lower Largo (comté de Fife), jeune homme certes alphabétisé, mais emporté, bagarreur, grande gueule... Il est très expérimenté car il navigue depuis neuf ans et a survécu au scorbut, à des batailles, des naufrages, des famines... Le capitaine du “Cinq Ports” décède au large du Brésil et c’est le second, le jeune Thomas Stradling, 21 ans, qui prend le commandement. Son navigateur -et bras droit- est Selkirk lui-même.
Stradling, au terme d’une morne campagne de piratage dans les eaux du Pacifique, se brouille avec Dampier et les deux capitaines se séparent. Stradling longe les côtes péruviennes, mais le “Cinq Ports” est à bout : il fait eau de toutes parts et ses hommes ont faim ; il faut bien se rendre à l’évidence, tous les ports sud-américains étant hostiles, le retour à Masatierra, dans l’archipel de Juan Fernandez, où l’expédition de Dampier avait fait escale en février 1704, est une nécessité absolue.
Selkirk, voyant le bateau rongé par les tarets, tente d’expliquer à Stradling, après quelques semaines de réparation au mois de septembre 1704, que le “Cinq Ports” ne peut pas reprendre la mer. Il y a encore 40 hommes à bord sur les 90 embarqués en Irlande, et lever l’ancre, c’est avoir l’assurance de couler et de perdre tout l’équipage.
Abandonné seul sur Masatierra
Stradling ne supporte pas ce subalterne arrogant et contestataire, qui menace même de rester sur l’île. Furieux, le capitaine le prend au mot et le débarque avec presque rien : une hachette, un couteau, une bouilloire, un fusil à pierre, un peu de poudre et de tabac, et les vêtements qu’il a sur lui. Il a aussi sa bible, quelques cartes et instruments de navigation.
Selkirk tente de convaincre d’autres marins de débarquer avec lui, aucun n’ose. Il supplie alors Stradling de le réembarquer, mais celui-ci ne répond même pas et lève l’ancre. Son bateau passoire coulera peu après, emportant équipage et capitaine.
De la grande expédition de Dampier, deux navires et 210 hommes au départ de l’Irlande, seuls 18 d’entre eux revirent les côtes anglaises en 1707, les deux navires ayant coulé (et Dampier ayant croupi un an dans les geôles hollandaises, à Batavia, en Indonésie).
Il pêche, chasse, coud, cuisine, lit …
Alexander Selkirk, lui, est certes seul au monde sur Masatierra, mais il est vivant : sur l’île, il trouve de l’eau douce en abondance, des plantes comestibles, du bois, des phoques (pour leur graisse et leur viande), des langoustes, des chèvres à foison, et même des chats pour lutter contre les rats. Après quelques jours de désespoir au moment du départ du “Cinq Ports”, Selkirk fait vite montre de sa trempe et de sa combativité. La vie est rude ; le solide marin tient bon et s’organise. Il couvre sa cabane de peaux de chèvres, puis s’habille lui-même avec ces peaux, ses vêtements se désagrégeant petit à petit. Il pêche, chasse, coud, cueille, cuisine, lit (sa bible), et s’entraîne même à lire à haute voix pour ne pas perdre sa langue natale.
En juin et juillet, il peut arriver qu’une gelée blanche fige de bon matin le paysage, mais le reste de l’année, le climat humide est doux. Selkirk peut supporter ces conditions de vie et fait face, tout en surveillant en permanence la mer, où il espère voir, un jour, un pavillon anglais se profiler.
4 ans et 4 mois de solitude
Pendant ce temps-là, en Angleterre, Dampier, de retour au pays, se démène pour monter une nouvelle expédition destinée à capturer le fameux galion d’Acapulco. La reine Anne y est favorable, des financiers l’aident, et il peut repartir, mais cette fois-ci, c’est Woodes Rogers qui est le capitaine d’une flotte de deux bateaux (le “Duc” et la “Duchesse”) à la tête de 333 hommes, dont Dampier.
Le 1er septembre 1708, l’expédition quitte les côtes irlandaises et fin janvier 1709, les deux navires, après avoir doublé la pointe sud du continent américain, approchent de Masatierra. Le 1er février 1710, le contact est établi entre Selkirk et les chaloupes des deux bâtiments. Le 2 février, ses sauveteurs peuvent aborder et recueillir son incroyable histoire, 4 ans et 4 mois après son débarquement forcé. L’Ecossais, rompu à la vie sauvage, a bien du mal à parler, mais il aide les équipages à se rétablir du scorbut : il fournit végétaux, viande de chèvre et remèdes locaux.
Deux ans pirate !
Bien entendu, les Anglais veulent ramener le naufragé à leur bord, ce que Selkirk accepte quand il a l’assurance que Stradling ne fait pas partie de l’expédition. Sur le “Duc”, il retrouve avec joie Dampier. Et le voilà reparti à pirater le long des côtes sud-américaines, ce qu’il fera pendant deux ans avec succès, avant de rentrer, le 14 octobre 1711 en Angleterre, un joli magot en poche.
Son odyssée, publiée par Rogers dès 1712, puis par un autre officier, Cooke, le rend célèbre, d’autant plus qu’un écrivain en vogue, Richard Steele, narre, lui aussi, son aventure dans le journal “The Englishman” (édition du 3 décembre 1713). Une célébrité dont l’Ecossais ne profitera guère : il tombe amoureux, à 41 ans, d’une jeunette de 16 ans, Sophia Bruce, il l’enlève, s’installe quelque temps sur les terres de son père dans une cabane, puis repart sur les mers. Il décède à 44 ans, à bord d’un bateau négrier, le 13 décembre 1721, au large des côtes du Ghana, victime probablement de la fièvre jaune (certains assurent qu’il s’est noyé).
Ainsi finit le vrai Robinson, dont l’épopée donna vie au personnage de fiction de Defoe, Robinson Crusoé…
Textes et photos : Daniel Pardon
Le titre complet du “Robinson Crusoé” de Defoe est d’une infinie longueur : “La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut 28 ans sur une île déserte sur la côte de l'Amérique, près de l'embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d'un naufrage où tous périrent à l'exception de lui-même, et comment il fut délivré d'une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même.”
Les corsaires de la reine Anne
Ce roman, le premier de Defoe (qui laissa à sa mort plus de 500 oeuvres !) eut, de suite, un succès mondial ; il était très largement inspiré de deux textes, publiés en 1712, l’un par le capitaine Woodes Rogers et l’autre par Edward Cooke, qui retrouvèrent tous deux un marin du nom d’Alexander Selkirk sur l’île déserte de Masatierra. Mais que faisait donc, en plein Pacifique Sud, au large des côtes chiliennes (à environ 650 km de Valparaiso), un marin aussi expérimenté que ce Selkirk ?
Pour le savoir, il faut remonter quelques années en arrière.
La guerre sévit entre l’Angleterre d’une part, la France et l’Espagne d’autre part. En 1703, William Dampier, célèbre capitaine anglais, est envoyé par la reine Anne (1665 -1714) dans le Pacifique Sud, pour écumer les côtes chiliennes et péruviennes afin d’ y piller navires, ports et villes. En prime, on lui demande de mettre la main sur le fameux galion d’Acapulco, bateau qui, une fois par an, très lourdement et richement chargé, relie Manille au Mexique, une cargaison fabuleuse dans ses cales.
Un homme frustre, violent, bagarreur
Dampier quitte le sud de l’Irlande le 11 septembre 1703 avec deux navires : le “Saint-Georges” et le “Cinq Ports”. A bord de ce dernier, un Ecossais de 24 ans, Alexander Selkirk, né à Lower Largo (comté de Fife), jeune homme certes alphabétisé, mais emporté, bagarreur, grande gueule... Il est très expérimenté car il navigue depuis neuf ans et a survécu au scorbut, à des batailles, des naufrages, des famines... Le capitaine du “Cinq Ports” décède au large du Brésil et c’est le second, le jeune Thomas Stradling, 21 ans, qui prend le commandement. Son navigateur -et bras droit- est Selkirk lui-même.
Stradling, au terme d’une morne campagne de piratage dans les eaux du Pacifique, se brouille avec Dampier et les deux capitaines se séparent. Stradling longe les côtes péruviennes, mais le “Cinq Ports” est à bout : il fait eau de toutes parts et ses hommes ont faim ; il faut bien se rendre à l’évidence, tous les ports sud-américains étant hostiles, le retour à Masatierra, dans l’archipel de Juan Fernandez, où l’expédition de Dampier avait fait escale en février 1704, est une nécessité absolue.
Selkirk, voyant le bateau rongé par les tarets, tente d’expliquer à Stradling, après quelques semaines de réparation au mois de septembre 1704, que le “Cinq Ports” ne peut pas reprendre la mer. Il y a encore 40 hommes à bord sur les 90 embarqués en Irlande, et lever l’ancre, c’est avoir l’assurance de couler et de perdre tout l’équipage.
Abandonné seul sur Masatierra
Stradling ne supporte pas ce subalterne arrogant et contestataire, qui menace même de rester sur l’île. Furieux, le capitaine le prend au mot et le débarque avec presque rien : une hachette, un couteau, une bouilloire, un fusil à pierre, un peu de poudre et de tabac, et les vêtements qu’il a sur lui. Il a aussi sa bible, quelques cartes et instruments de navigation.
Selkirk tente de convaincre d’autres marins de débarquer avec lui, aucun n’ose. Il supplie alors Stradling de le réembarquer, mais celui-ci ne répond même pas et lève l’ancre. Son bateau passoire coulera peu après, emportant équipage et capitaine.
De la grande expédition de Dampier, deux navires et 210 hommes au départ de l’Irlande, seuls 18 d’entre eux revirent les côtes anglaises en 1707, les deux navires ayant coulé (et Dampier ayant croupi un an dans les geôles hollandaises, à Batavia, en Indonésie).
Il pêche, chasse, coud, cuisine, lit …
Alexander Selkirk, lui, est certes seul au monde sur Masatierra, mais il est vivant : sur l’île, il trouve de l’eau douce en abondance, des plantes comestibles, du bois, des phoques (pour leur graisse et leur viande), des langoustes, des chèvres à foison, et même des chats pour lutter contre les rats. Après quelques jours de désespoir au moment du départ du “Cinq Ports”, Selkirk fait vite montre de sa trempe et de sa combativité. La vie est rude ; le solide marin tient bon et s’organise. Il couvre sa cabane de peaux de chèvres, puis s’habille lui-même avec ces peaux, ses vêtements se désagrégeant petit à petit. Il pêche, chasse, coud, cueille, cuisine, lit (sa bible), et s’entraîne même à lire à haute voix pour ne pas perdre sa langue natale.
En juin et juillet, il peut arriver qu’une gelée blanche fige de bon matin le paysage, mais le reste de l’année, le climat humide est doux. Selkirk peut supporter ces conditions de vie et fait face, tout en surveillant en permanence la mer, où il espère voir, un jour, un pavillon anglais se profiler.
4 ans et 4 mois de solitude
Pendant ce temps-là, en Angleterre, Dampier, de retour au pays, se démène pour monter une nouvelle expédition destinée à capturer le fameux galion d’Acapulco. La reine Anne y est favorable, des financiers l’aident, et il peut repartir, mais cette fois-ci, c’est Woodes Rogers qui est le capitaine d’une flotte de deux bateaux (le “Duc” et la “Duchesse”) à la tête de 333 hommes, dont Dampier.
Le 1er septembre 1708, l’expédition quitte les côtes irlandaises et fin janvier 1709, les deux navires, après avoir doublé la pointe sud du continent américain, approchent de Masatierra. Le 1er février 1710, le contact est établi entre Selkirk et les chaloupes des deux bâtiments. Le 2 février, ses sauveteurs peuvent aborder et recueillir son incroyable histoire, 4 ans et 4 mois après son débarquement forcé. L’Ecossais, rompu à la vie sauvage, a bien du mal à parler, mais il aide les équipages à se rétablir du scorbut : il fournit végétaux, viande de chèvre et remèdes locaux.
Deux ans pirate !
Bien entendu, les Anglais veulent ramener le naufragé à leur bord, ce que Selkirk accepte quand il a l’assurance que Stradling ne fait pas partie de l’expédition. Sur le “Duc”, il retrouve avec joie Dampier. Et le voilà reparti à pirater le long des côtes sud-américaines, ce qu’il fera pendant deux ans avec succès, avant de rentrer, le 14 octobre 1711 en Angleterre, un joli magot en poche.
Son odyssée, publiée par Rogers dès 1712, puis par un autre officier, Cooke, le rend célèbre, d’autant plus qu’un écrivain en vogue, Richard Steele, narre, lui aussi, son aventure dans le journal “The Englishman” (édition du 3 décembre 1713). Une célébrité dont l’Ecossais ne profitera guère : il tombe amoureux, à 41 ans, d’une jeunette de 16 ans, Sophia Bruce, il l’enlève, s’installe quelque temps sur les terres de son père dans une cabane, puis repart sur les mers. Il décède à 44 ans, à bord d’un bateau négrier, le 13 décembre 1721, au large des côtes du Ghana, victime probablement de la fièvre jaune (certains assurent qu’il s’est noyé).
Ainsi finit le vrai Robinson, dont l’épopée donna vie au personnage de fiction de Defoe, Robinson Crusoé…
Textes et photos : Daniel Pardon
4 ans et 4 mois ; c’est le temps que passa, seul, le marin écossais sur l’île alors appelée Masatierra, scrutant tous les jours l’océan.
Vendredi avant Robinson ?
Si tous les historiens s’accordent à dire que c’est l’Ecossais Selkirk qui inspira son “Robinson Crusoé” à Daniel Defoe, la lecture d’un document plus ancien nous apprend que sur cette même île de Masatierra, un autre marin fut abandonné plus de trois années, et cela avant Alexander Selkirk.
William Dampier, lors d’un précédent voyage dans le Pacifique, toujours en tant que corsaire, avait en effet enrôlé, de gré ou de force, nous ne le savons pas, des Indiens Mosquitos, vivant sur la côte ouest du Honduras et du Nicaragua. Le 22 mars 1684, explique Dampier dans son manuscrit “Nouveau voyage autour du monde”, il parvient en vue de Masatierra et il y jette l’ancre le lendemain. Son premier canot à la mer est accueilli par un visage familier : “nous fûmes à terre pour voir le Moskite que nous y avions laissé lorsque nous avions été chassés par les Espagnols en 1681. (…) Cet Indien y avait demeuré tout seul plus de trois ans et quoique les Espagnols, qui savaient que nous l’y avions laissé, l’eussent cherché diverses fois, ils n’avaient jamais pu le trouver.”
Le Mosquito, surnommé Will (ou Wil), n’avait pas été abandonné pour les mêmes raisons que Selkirk. Il était parti chasser la chèvre dans les bois quand, précipitamment (à cause de l’arrivée de navires espagnols), “le capitaine Watlin fit rembarquer ses gens et les vaisseaux étaient à la voile quand il arriva sur le rivage”.
Will, habitué à la vie sauvage, vivait de la pêche, de la cueillette et de la chasse : “il avait une petite maison ou hutte revêtue de peaux de chèvre(…) Il ne lui était resté point d’habit ayant usé ceux qu’ils avait eus du capitaine Watlin et n’avait qu’une simple peau autour des reins”.
En mars 1684, un autre Indien Mosquito était à bord du navire de Dampier et ce fut une grande joie pour les deux hommes que de se retrouver, l’un travaillant à bord, l’autre ayant survécu, en vrai “Robinson”, trois ans seul sur cette île. Il repartit en tant que matelot avec Dampier, mais malheureusement, personne ne tint jamais un journal précisant quel sort fut le sien après ses plus de trois années d’isolement à Masatierra.
Si tous les historiens s’accordent à dire que c’est l’Ecossais Selkirk qui inspira son “Robinson Crusoé” à Daniel Defoe, la lecture d’un document plus ancien nous apprend que sur cette même île de Masatierra, un autre marin fut abandonné plus de trois années, et cela avant Alexander Selkirk.
William Dampier, lors d’un précédent voyage dans le Pacifique, toujours en tant que corsaire, avait en effet enrôlé, de gré ou de force, nous ne le savons pas, des Indiens Mosquitos, vivant sur la côte ouest du Honduras et du Nicaragua. Le 22 mars 1684, explique Dampier dans son manuscrit “Nouveau voyage autour du monde”, il parvient en vue de Masatierra et il y jette l’ancre le lendemain. Son premier canot à la mer est accueilli par un visage familier : “nous fûmes à terre pour voir le Moskite que nous y avions laissé lorsque nous avions été chassés par les Espagnols en 1681. (…) Cet Indien y avait demeuré tout seul plus de trois ans et quoique les Espagnols, qui savaient que nous l’y avions laissé, l’eussent cherché diverses fois, ils n’avaient jamais pu le trouver.”
Le Mosquito, surnommé Will (ou Wil), n’avait pas été abandonné pour les mêmes raisons que Selkirk. Il était parti chasser la chèvre dans les bois quand, précipitamment (à cause de l’arrivée de navires espagnols), “le capitaine Watlin fit rembarquer ses gens et les vaisseaux étaient à la voile quand il arriva sur le rivage”.
Will, habitué à la vie sauvage, vivait de la pêche, de la cueillette et de la chasse : “il avait une petite maison ou hutte revêtue de peaux de chèvre(…) Il ne lui était resté point d’habit ayant usé ceux qu’ils avait eus du capitaine Watlin et n’avait qu’une simple peau autour des reins”.
En mars 1684, un autre Indien Mosquito était à bord du navire de Dampier et ce fut une grande joie pour les deux hommes que de se retrouver, l’un travaillant à bord, l’autre ayant survécu, en vrai “Robinson”, trois ans seul sur cette île. Il repartit en tant que matelot avec Dampier, mais malheureusement, personne ne tint jamais un journal précisant quel sort fut le sien après ses plus de trois années d’isolement à Masatierra.
Les légendes locales assurent que c’est dans cette grotte que vécut, pendant plus de quatre ans, Alexander Selkirk.
A lire
- Les îles de Robinson
Trésor vivant des mers du Sud. Entre légende et réalité.
Philippe Danton, Emmanuel Breteau, Michel Baffray
Editions Nathan/Yves Rocher (1999)
-Archipiélago Juan Fernandez
Historia y biodiversidad en latitud 33° sur
Gabriel Pérez Mardones-Pedro Niada Marin
Ocholibros Editores (2015) www.ocholibros.cl
- Les îles de Robinson
Trésor vivant des mers du Sud. Entre légende et réalité.
Philippe Danton, Emmanuel Breteau, Michel Baffray
Editions Nathan/Yves Rocher (1999)
-Archipiélago Juan Fernandez
Historia y biodiversidad en latitud 33° sur
Gabriel Pérez Mardones-Pedro Niada Marin
Ocholibros Editores (2015) www.ocholibros.cl
Juan Fernandez, clé du Pacifique
Le petit archipel de Juan Fernandez est situé à un peu plus de 650 km des côtes du Chili, au large de Valparaiso. C’est le navigateur espagnol du même nom qui le découvrit par hasard le 22 novembre 1574, en venant du Pérou. Il avait dérivé très au large de sa route (Callao-Valparaiso), et nomma les trois îles qui s’offrirent en quelques jours à son regard Masafuera (ou Mas a Fuera), Masatierra (ou Mas a Tierra) et Islote de Santa Clara.
En 1966, le gouvernement chilien rebaptisa Masafuera “île Alexandre Selkirk” et Masatierra “île Robinson Crusoé”. A l’époque, le Venezuela voulait baptiser une des îles au large de sa côte du nom de Robinson Crusoé, mais le Chili ne voulait pas se faire voler ce qu’il considérait comme un bien historique.
- L’île Robinson Crusoé, ex. Masatierra, la seule habitée en permanence (la plus proche de la côte), mesure 49,7km2 de surface. Elle culmine à 915m avec El Yunque. Elle abrite, dans la baie de Cumberland, le petit village de San Juan Bautista (fondé en 1877, par le baron suisse Alfred von Rodt). Une très petite piste pour atterrir a été aménagée sur cette île, à l’opposé du village.
- L’île Alexandre Selkirk, ex. Masafuera, est située à 180 km à l’ouest de Robinson Crusoé. Elle s’étale sur 49,5 km2, et culmine, avec Los Innocentes, à 1650m d’altitude. Elle est inhabitée, sauf quelques semaines, lorsque des pêcheurs de langoustes de San Juan Bautista viennent pour leur campagne annuelle.
- Enfin l’île Santa Clara est un minuscule désert de 2,2 km2, situé à moins d’un mille de la côte sud-ouest de Robinson Crusoé (on la voit quand on attend l’avion). Elle culmine à 375m de hauteur et n’a pas d’eau ni pratiquement de végétation.
Un repaire de pirates
L’archipel, face aux côtes sud-américaines, fut le repaire idéal de tous les pirates écumant cette région en quête de pillages ; pour mettre fin à cette insécurité permanente, les Espagnols édifièrent le fort Santa Barbara en 1749 et ils y placèrent une garnison à demeure, privant les pirates de leur principal lieu de ravitaillement et de repos.
Ces îles bénéficient d’un climat subtropical humide et doux. Compte tenu de leur isolement, la faune et la flore surtout sont marquées par un très fort endémisme. On y trouve notamment un rarissime palmier endémique, le chonta (Juania australis), dont le cœur est comestible.
Classé réserve de biosphère par l'Unesco en 1977, l’archipel de Juan Fernandez est très menacé ; sa flore disparaît, année après année, à cause des plantes importées et des chèvres. Un botaniste français, Philippe Danton, est le grand spécialiste de ce biotope et il estime que sans arrachage manuel systématique, la flore locale est condamnée à brève échéance, à disparaître.
Le petit archipel de Juan Fernandez est situé à un peu plus de 650 km des côtes du Chili, au large de Valparaiso. C’est le navigateur espagnol du même nom qui le découvrit par hasard le 22 novembre 1574, en venant du Pérou. Il avait dérivé très au large de sa route (Callao-Valparaiso), et nomma les trois îles qui s’offrirent en quelques jours à son regard Masafuera (ou Mas a Fuera), Masatierra (ou Mas a Tierra) et Islote de Santa Clara.
En 1966, le gouvernement chilien rebaptisa Masafuera “île Alexandre Selkirk” et Masatierra “île Robinson Crusoé”. A l’époque, le Venezuela voulait baptiser une des îles au large de sa côte du nom de Robinson Crusoé, mais le Chili ne voulait pas se faire voler ce qu’il considérait comme un bien historique.
- L’île Robinson Crusoé, ex. Masatierra, la seule habitée en permanence (la plus proche de la côte), mesure 49,7km2 de surface. Elle culmine à 915m avec El Yunque. Elle abrite, dans la baie de Cumberland, le petit village de San Juan Bautista (fondé en 1877, par le baron suisse Alfred von Rodt). Une très petite piste pour atterrir a été aménagée sur cette île, à l’opposé du village.
- L’île Alexandre Selkirk, ex. Masafuera, est située à 180 km à l’ouest de Robinson Crusoé. Elle s’étale sur 49,5 km2, et culmine, avec Los Innocentes, à 1650m d’altitude. Elle est inhabitée, sauf quelques semaines, lorsque des pêcheurs de langoustes de San Juan Bautista viennent pour leur campagne annuelle.
- Enfin l’île Santa Clara est un minuscule désert de 2,2 km2, situé à moins d’un mille de la côte sud-ouest de Robinson Crusoé (on la voit quand on attend l’avion). Elle culmine à 375m de hauteur et n’a pas d’eau ni pratiquement de végétation.
Un repaire de pirates
L’archipel, face aux côtes sud-américaines, fut le repaire idéal de tous les pirates écumant cette région en quête de pillages ; pour mettre fin à cette insécurité permanente, les Espagnols édifièrent le fort Santa Barbara en 1749 et ils y placèrent une garnison à demeure, privant les pirates de leur principal lieu de ravitaillement et de repos.
Ces îles bénéficient d’un climat subtropical humide et doux. Compte tenu de leur isolement, la faune et la flore surtout sont marquées par un très fort endémisme. On y trouve notamment un rarissime palmier endémique, le chonta (Juania australis), dont le cœur est comestible.
Classé réserve de biosphère par l'Unesco en 1977, l’archipel de Juan Fernandez est très menacé ; sa flore disparaît, année après année, à cause des plantes importées et des chèvres. Un botaniste français, Philippe Danton, est le grand spécialiste de ce biotope et il estime que sans arrachage manuel systématique, la flore locale est condamnée à brève échéance, à disparaître.
Par 33° de latitude sud, sur cette carte, la localisation de l’île de Robinson Crusoé, dans l’archipel chilien de Juan Fernandez, à 650 km environ de Valparaiso.
27 février 2010 : une vague de 15 mètres !
Le 27 février 2010, à 3h34 du matin, un tremblement de terre de magnitude 8,8 sur l’échelle de Richter secoua le centre du Chili. Il ne fut pas ressenti à Juan Fernandez. Mais le séisme généra un énorme tsunami qui déferla avant l’aube sur le village de San Juan Bautista encore endormi. La vague mesurait quinze mètres de hauteur et ravagea tout.
Une petite fille avait, malgré tout, donné l’alerte, ce qui épargna bien des vies. Sa grand-mère, depuis le Chili, avait eu le réflexe de téléphoner à son père pour prévenir du séisme et du risque de tsunami. Le père évacua sa famille et demanda à sa fille, Emol Martina Maturana Gálvez, d’aller taper sur le gong installé en bord de mer pour prévenir la population. Grâce à ce geste, les habitants de San Juan Bautista furent avertis à temps.
Malgré cela, dix personnes furent retrouvées noyées dans les décombres et six autres sont toujours portées disparues. A Valparaiso comme à Santiago, aucun officiel n’avait songé à prévenir la population…
La tragédie aurait pu se limiter à cela ; dans le cadre de la reconstruction du village, le 2 septembre 2011, un avion militaire Casa C-212 Aviocar des forces aériennes du Chili, surchargé, s’écrasa en mer, non loin du petit aéroport de Robinson Crusoé, avec 18 passagers et 3 membres d’équipage. Il n’y eut aucun survivant.
Le 27 février 2010, à 3h34 du matin, un tremblement de terre de magnitude 8,8 sur l’échelle de Richter secoua le centre du Chili. Il ne fut pas ressenti à Juan Fernandez. Mais le séisme généra un énorme tsunami qui déferla avant l’aube sur le village de San Juan Bautista encore endormi. La vague mesurait quinze mètres de hauteur et ravagea tout.
Une petite fille avait, malgré tout, donné l’alerte, ce qui épargna bien des vies. Sa grand-mère, depuis le Chili, avait eu le réflexe de téléphoner à son père pour prévenir du séisme et du risque de tsunami. Le père évacua sa famille et demanda à sa fille, Emol Martina Maturana Gálvez, d’aller taper sur le gong installé en bord de mer pour prévenir la population. Grâce à ce geste, les habitants de San Juan Bautista furent avertis à temps.
Malgré cela, dix personnes furent retrouvées noyées dans les décombres et six autres sont toujours portées disparues. A Valparaiso comme à Santiago, aucun officiel n’avait songé à prévenir la population…
La tragédie aurait pu se limiter à cela ; dans le cadre de la reconstruction du village, le 2 septembre 2011, un avion militaire Casa C-212 Aviocar des forces aériennes du Chili, surchargé, s’écrasa en mer, non loin du petit aéroport de Robinson Crusoé, avec 18 passagers et 3 membres d’équipage. Il n’y eut aucun survivant.
La baie de Cumberland et, à l’arrière-plan, le petit village de San Juan Bautista, dévasté le 27 février 2010 par un tsunami.
Pour y aller
Depuis le tsunami de 2010, le petit village de San Juan Bautista se relève tout doucement.
Pour vous y rendre, vols Papeete-Santiago via la compagnie Latam.
A Santiago (aéroport Tobalaba), liaison aérienne avec deux petites compagnies (1h 50 de vol), mais 1h à 2h de navigation entre la piste et le village (selon l’état de la mer). Aerolinas ATA (Site: www.aerolineasata.cl) et Aerocaldal Chile (Site: www.aerocardal.com)
2 hôtels : Refugio Nautico, sur la plage de la baie de Cumberland (à 1 km du village), ou le Crusoe Island Lodge, à l’entrée de la baie de Cumberland (à 3,9 km du village), très sélect et divinement raffiné (mais cher).
Période idéale : de novembre à mars.
Depuis le tsunami de 2010, le petit village de San Juan Bautista se relève tout doucement.
Pour vous y rendre, vols Papeete-Santiago via la compagnie Latam.
A Santiago (aéroport Tobalaba), liaison aérienne avec deux petites compagnies (1h 50 de vol), mais 1h à 2h de navigation entre la piste et le village (selon l’état de la mer). Aerolinas ATA (Site: www.aerolineasata.cl) et Aerocaldal Chile (Site: www.aerocardal.com)
2 hôtels : Refugio Nautico, sur la plage de la baie de Cumberland (à 1 km du village), ou le Crusoe Island Lodge, à l’entrée de la baie de Cumberland (à 3,9 km du village), très sélect et divinement raffiné (mais cher).
Période idéale : de novembre à mars.