"Séisme" pour le crime organisé après le démantèlement d'un réseau mondial de communications cryptées


La Haye, Pays-Bas | AFP | jeudi 02/07/2020 - Un "séisme" pour le crime organisé: les autorités judiciaires et policières françaises et néerlandaises ont annoncé jeudi, après l'avoir infiltré, le démantèlement d'un réseau mondial de communications cryptées, appelé EncroChat, utilisé quasi exclusivement par des groupes criminels.

Trafic de drogue, assassinats, blanchiment d'argent, extorsion de fonds, enlèvements... Cette opération conjointe a conduit à de "multiples arrestations" dans plusieurs pays européens et empêché que ne soient perpétrés de nombreux actes criminels, ont-elles expliqué lors d'une conférence de presse à La Haye (Pays-Bas), au siège d'Eurojust, l'organisme de coopération judiciaire entre pays européens.

"C'est comme si nous étions à la table de discussions des criminels, en direct", a résumé Janine van den Berg, cheffe de la police néerlandaise, et "c'est ce qui rend l'enquête unique". "On a utilisé le fait que les criminels font confiance aveuglément à la crypto-communication et parlent librement", a renchéri son collègue Andy Kraag, comparant ces informations à "une mine d'or nous fournissant des preuves qui nous auraient coûté des années en temps normal". 

La procureure de Lille Carole Etienne, le sous-directeur de la police judiciaire de la Gendarmerie nationale française Jean-Philippe Lecouffe et le procureur général néerlandais John Lucas participaient notamment à cette conférence.

L'enquête conjointe franco-néerlandaise, sous l'égide d'Eurojust, saisi en 2019 par la France et avec le soutien d'Europol, l'agence européenne de police criminelle, a permis ces derniers mois d'intercepter et de déchiffrer en temps réel, à leur insu, "plus de 100 millions de messages" échangés via EncroChat entre criminels à travers le monde.

Cette intrusion d'envergure a pris fin le 13 juin lorsque le réseau s'est rendu compte, selon un message "d'alerte" adressé à tous ses clients, qu'il avait été "infiltré illégalement" par des "entités gouvernementales" et leur a alors conseillé de se débarrasser "immédiatement" de leurs téléphones. Mais c'était "trop tard pour eux", car "nous avions déjà eu accès à des millions de messages", s'est félicité M. Kraag.

"Fuites" au sein des forces de l'ordre ?

Selon les autorités, la quasi-totalité des clients d'EncroChat ("de 90% à 100%") sont liés au crime organisé. Quelque 50.000 de ces téléphones étaient en circulation en 2020.

Dès 2017, l'utilisation de ces téléphones cryptés par des criminels a été détectée en France lors d'opérations conduites contre le crime organisé par l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale, qui a travaillé depuis sur le fonctionnement de ces communications chiffrées.

L'enquête a été menée à partir de 2018 par le parquet de la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lille en raison de la localisation de serveurs assurant le fonctionnement d'EncroChat sur le territoire de son ressort. 

Une information judiciaire a été ouverte le 28 mai dernier.

Si la France ne souhaite pas pour l'heure communiquer sur le détail des opérations en cours, les autorités néerlandaises assurent que l'infiltration d'EncroChat a permis d'empêcher la commission de "dizaines d'actes criminels violents", parmi lesquels enlèvements, meurtres et fusillades.

"Il est choquant de voir avec quelle facilité et sans le moindre scrupule ce type de graves actes criminels sont débattus et planifiés" sur EncroChat, insistent-elles. Avant d'applaudir: "cette opération avancée et coordonnée au plan international a le même effet qu'un séisme pour le crime organisé". 

Pour les seuls Pays-Bas, l'enquête a permis l'arrestation de "plus de 100 suspects", la saisie de "plus de 8.000 kg de cocaïne et d'1,2 tonne de méthamphétamine en cristaux", le démantèlement de "19 laboratoires de drogues synthétiques", la saisie de "dizaines d'armes à feu automatiques", de "montres de luxe", de "25 voitures, certaines comprenant des compartiments secrets" ainsi que de "près de 25 millions d'euros en liquide".

Mais les enquêtes, dont les résultats seront encore exploités "pendant des années", ont aussi révélé "des indices de fuite au niveau des services de police", qui sont pris "extrêmement au sérieux", a souligné Mme van den Berg. Elles ont démontré "clairement le rôle de la corruption tout au long de la chaîne de trafic illicite", a corroboré Wil van Gemert, directeur-adjoint des opérations à Europol.

le Jeudi 2 Juillet 2020 à 06:14 | Lu 375 fois