Santé : les orientations stratégiques passent, non sans mal


Les élus de l'assemblée de la Polynésie ont discuté en détail ce mardi à la fois des orientations stratégiques pour la santé et du schéma d'organisation sanitaire. Patrick Howell a dû défendre ses textes tout seul à la tribune de Taraho’i.
PAPEETE, le 16 février 2016. La majorité RMA (Rassemblement pour une majorité autonomiste) a adopté – avec la voix de Jacqui Drollet de l'UPLD – la délibération portant sur les orientations stratégiques de santé pour les années 2016-2025. Mais les autres élus de l'opposition ont préféré s'abstenir, dénonçant l'absence des modalités de financement de la protection sociale généralisée ou de la prise en compte des surcoûts liés aux cancers radio-induits.

"J'ai rarement été aussi persécuté au sein de cette assemblée. Et ceux-là sont ceux qui n'ont pas fait leur boulot précédemment." Ces mots sont ceux du ministre de la Santé, Patrick Howell, ce mardi depuis la tribune gouvernementale au sein de l'hémicycle de Taraho’i, à la suite des déclarations des groupes de l'assemblée sur les orientations stratégiques pour la santé pour les dix prochaines années. Il faut dire qu'au sein du Tahoera'a et de l'UPLD, les critiques n'ont pas manqué.

Pour le parti orange, c'est le président de l'assemblée polynésienne en personne qui, depuis le cœur de son groupe d'élus, a passé ces orientations à la moulinette. Et Marcel Tuihani n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. S'il reconnaît que cette planification est une nécessité pour ajuster les dépenses de santé, il remarque aussi que les quatre axes proposés vont au-delà du secteur de la santé stricto sensu mais intègrent également la famille et le social. Or, premier point, "aucune étude des besoins sociaux n'a été effectuée". Second handicap : il faudra, selon le texte de la délibération, une loi de finances annuelle prenant en compte l'ensemble du secteur médico-social. Aussi Marcel Tuihani interroge : "i[Que devient, dans ce cadre, le régime de solidarité territorial [RST, NDLR]]i" et la participation de l'État dans son financement ? Plus grave encore pour le Tahoera'a : "Vous proposez un régime unique par branches de risque avec une nouvelle répartition entre cotisations, fiscalité et la contribution de tous les ménages, même ceux du RST, à titre symbolique. Mais quelle sera l'incidence de ces contributions ? Quel poids supplémentaire pour les familles ?", questionne encore Marcel Tuihani qui ajoute : "Le Tahoera'a ne peut pas être le fossoyeur du RST." Enfin, il regrette l'absence aux côtés de Patrick Howell des ministres de la Solidarité et des Finances qui auraient eu toute leur place dans ce débat pour l'avenir parce qu'il engage bien au-delà des compétences du ministère de la Santé.

Dans le groupe UPLD, les critiques sont vives également. L'analyse proposée par Éliane Tevahitua est chiffrée et ce qu'elle expose a de quoi faire peur. Il y avait en 2014 un total de 36 799 patients en longue maladie en Polynésie française alors qu'ils n'étaient encore que 5 300 en 1994. Un bond de 530 % en 20 ans, voilà un constat qui éclaire sur la situation de la santé des Polynésiens et de l'état des finances du système de couverture sociale. "Comment en est-on arrivés là ?" questionne l'élue, qui propose elle-même la réponse. Il s'agit des "maladies de civilisation, maladies non transmissibles issues de l'économie de transfert imposée par la France". Éliane Tevahitua rappelle aussi les 193 essais nucléaires (dont 41 atmosphériques) effectués en Polynésie française ont placé "la population ma’ohi au rang de cobayes". C'est le cas notamment pour les 7 789 patients atteints de cancers radio-induits, pour lesquels déjà plus de 54 milliards de francs ont été dépensés. Une ardoise qui ne s'arrêtera pas là et va continuer à grossir, année après année. "Cette augmentation des dépenses des cancers radio-induits est insoutenable. C'est à la France de les assumer", poursuit la représentante UPLD. "La France doit prendre les frais inhérents aux cas de cancers : 7 à 8 milliards par an, ce sont les dommages collatéraux de ces 193 essais nucléaires. C'est cette prise en charge par l'État qui manque cruellement dans ce schéma stratégique."


EN CHIFFRES

Pourquoi ce besoin d'un nouveau schéma d'organisation sanitaire ? Le dernier datait de 2003 : il faut donc adapter l'offre de soins aux besoins réels du territoire. Quelques chiffres suffisent à comprendre l'ampleur du problème. Durant la seule période 2005-2010, les maladies cardiovasculaires et les tumeurs ont représenté à elles seules plus de la moitié des causes de décès (52 %). L’obésité et le surpoids touchent une frange importante de la population. 70 % des Polynésiens sont en surpoids, dont 40 % sont au stade de l'obésité. Par ailleurs, une très forte mortalité prématurée est à déplorer.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 16 Février 2016 à 20:13 | Lu 2334 fois