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Santé: le Tahoeraa tire la sirène d'alarme


Edouard Fritch recevait la presse ce lundi matin pour intervenir sur la situation de la santé en Polynésie et dénoncer les conséquences que certaines décisions gouvernementales en matière de budget pourraient avoir sur le système et l'activité de soins:

Conférence de presse du groupe Tahoeraa

Lors de l’étude du budget, nous avons demandé au ministre en charge de la santé et de la solidarité quelles seraient les conséquences du gel des postes budgétaires sur l’activité des services, en mettant en lumière les risques qui pesaient sur l’activité de soins.
Le ministre a éludé sa réponse en expliquant qu’il n’y avait pas de problème majeur et qu’il verrait avec le vice-président s’il était possible de dégeler certains postes.
Jeudi matin, lors d’une table ronde, le ministre a présenté son plan stratégique sanitaire et médico-social. Nous n’avons pas pu participer à cette réunion puisqu’il y avait séance à l’Assemblée et vous savez que le président nous interdit de participer à des réunions extérieures les jours de séance.
Sur ce point, nous aimerions qu’il y ait un peu plus de coordination entre l’activité du gouvernement et l’activité de notre assemblée, surtout quand il s’agit d’ouvrir un débat sur un sujet qui intéresse au premier chef les élus de l’Assemblée.
Ceci étant, lors de cette réunion, le ministre a confirmé le gel de 55 postes pour la santé et de 24 postes pour les affaires sociales.
Alors c’est vrai, cela peut paraitre comme une goutte d’eau pour des services qui regroupent plusieurs centaines de personnes.
Mais aussi minimes que soient le gel des postes, il ne sera pas sans conséquences dans des secteurs déjà sinistrés. Cela risque directement de remettre en cause le système de santé publique, et notamment dans les îles.

Quelles sont donc les conséquences du gel des postes dans la santé ?

Le recensement de la catastrophe annoncée a déjà été fait par la Direction de la Santé et, sur le terrain, les professionnels ont déjà tiré la sonnette d’alarme, d’autant que pour la plupart ils travaillent déjà dans des conditions invraisemblables et inacceptables.
D’abord, il faut rappeler que le budget de la Direction de la Santé a déjà baissé de 30% entre 2009 et 2012 et que 130 postes, soit 10% des effectifs, ont déjà disparu, alors que cette direction a en charge toute la prévention, quatre hôpitaux périphériques et une centaine d’infirmeries et postes de secours répartis sur l’ensemble de la Polynésie.
La suppression de 55 nouveaux postes va nécessairement entraîner la fin de certaines missions et la fermeture de certaines structures puisque la Direction de la Santé qui travaille désormais à flux tendu ne peut plus redéployer ses effectifs en interne.

Voyons donc un peu plus précisément les conséquences de cette politique (nous vous remettrons bien sûr la liste des postes concernés) :
- A Taiohae : le poste de 3ème sage-femme est gelé, ce qui veut dire que l’on ne pourra plus assurer les astreintes H24 alors que cet hôpital prend en charge les accouchements dans l’ensemble de l’archipel des Marquises. Non seulement l’hôpital ne pourra plus assumer cette mission à l’année, ce qui entrainera des évasans coûteuses, mais il n’y aura plus non-plus de missions obstétricales dans les îles ;
- Toujours à Taihoae, le gel de 3 postes (technicien sanitaire, infirmier et auxiliaire de soins) entraînera de fait la fermeture du centre d’hygiène et de salubrité publique de l’île et la fermeture du poste de secours de Nahoe ;
- A Uturoa : ce sont 7 postes qui sont gelés et qui vont désorganiser tout le fonctionnement de la structure. On gèle un poste de pédiatre, un infirmier de bloc, les agents de service, le cuisinier et le chef de la maintenance. Sans cuisinier et agents de service, les patients hospitalisés vont pouvoir venir avec leur sandwich. Quant au gel du 2ème poste de pédiatre, alors que le 1er est toujours vacant, il ne permettra pas d’assurer le service H24.
- Plus largement aux îles-sous-le vent, le gel d’un poste de médecin de la structure déconcentrée aura pour conséquence de dépouiller Maupiti de son seul médecin ;
- Aux Australes le gel de 4 postes (infirmier, femme de service de l’infirmerie de Raivavae, hygiéniste dentaire et gestionnaire de la subdivision de l’archipel entraine de fait la fermeture de cette subdivision qui n’a plus les moyens de fonctionner.
- Aux Tuamotu-Gambier, le gel d’un nouveau poste d’infirmier vient aggraver le déficit de soins actuel puisqu’il manque 8 infirmiers : 1 à Makemo, 2 à Fakarava, 4 pour les infirmeries de Faaite, Kaukura, Apataki et Tatakoto, et un poste pour la télémédecine. Pour mémoire, en 2011, on a déjà noté 555 jours de déficit d’offres de soins dans l’archipel.
- A Moorea : le gel d’un poste de médecin et de deux infirmiers ne permettra plus d’assurer toutes les missions en H24 et les missions sur Maiao, ce qui entraînera des évasans ;
- A Taravao : gel d’un poste de sage-femme ce qui remet en cause l’organisation H24.
- Pour le centre de consultation et d’hygiène dentaire, deux postes d’assistantes sont gelés, ce qui va entraîner la fermeture des centres de Taravao et Faa’a ;
Au-delà des hôpitaux et des centres de soins, c’est également toute l’architecture sanitaire qui est remise en cause :
- Gel de 4 postes de catégorie A au département de prévention et de veille sanitaire. Cela veut dire que, sans encadrement, les missions de prévention et de veille sanitaire vont disparaître ;
- Au centre d’hygiène et de salubrité publique, 5 postes sont gelés alors que ce service a déjà perdu la moitié de ses effectifs depuis 2011. Conséquence, le service va devoir abandonner une de ses missions (sécurité alimentaire, lutte anti-vectorielle et hygiène des constructions). Il semble que, pour des raisons évidentes de santé publique, le choix ait été fait pour le département hygiène des constructions, ce qui va bloquer la délivrance des permis de construire ;
- A niveau de la Direction, on gèle le poste de directeur-adjoint pour ce qui est un des plus gros services du Pays, les 2 seuls postes de juristes, ce qui veut dire qu’on ne peut plus rédiger la réglementation, 2 postes de rédacteurs sur 5 postes au niveau de la direction financière, ce qui remet en cause la mise en place de la comptabilité analytique des hôpitaux périphériques et réduit à une seule personne la préparation du second volet du contrat de projet pour 2013 ;
- Enfin le gel d’un poste d’infirmier cadre enseignant au niveau de l’institut de formation des personnels va remettre en cause la délivrance des diplômes d’infirmier d’Etat puisque nous allons passer en dessous du ratio obligatoire entre le nombre d’enseignants et d’élèves.

Voilà donc les conséquences directes d’un gel aveugle des postes au niveau de la Santé publique, qui aura non seulement des conséquences sur le bon fonctionnement de l’offre de soins dans les îles, mais qui engendrera également des dépenses supplémentaires au niveau du CHPF qui devra accueillir encore plus de patients, et au niveau des évasans (pour mémoire : dépenses d’évacuation sanitaire internationale - 3 milliards de F.CFP par an pour 700 évacuations- et domestique - 8 000 bénéficiaires en 1 996 contre 28 000 en 2 008, soit une dépense passant de 500 millions de F.CFP à plus d’un milliard de F.CFP- . En 2011, 28.000 évasans domestiques, soit 77 par jour.

Cela s’inscrit dans un contexte où le financement du RSPF, qui sert justement à payer l’offre de soins, n’est pas assuré pour l’année 2013 comme cela a bien été spécifié dans le rapport de présentation du budget 2013.
Pire, alors que ce budget du RSPF n’est pas bouclé, on prévoit d’instaurer des dépenses supplémentaires avec l’allocation parent au foyer dont le coût est estimé en année pleine à environ 4 milliards de francs.

Cette aide nouvelle, faut-il le rappeler est gérée par la direction des affaires sociales qui, elle, voit disparaître 24 postes dans un service déjà sinistré, alors que la précarité sociale est en constante augmentation et que l’aide en question va générer une activité supplémentaire.
Tout cela n’est pas réaliste et se fera sans aucun doute au détriment des plus démunis.
Sur ce point de l’aide aux parents au foyer, il faut également noter que, contrairement aux engagements du gouvernement, aucun texte de loi n’a été proposé aux élus de l’Assemblée pour définir le cadre légale de cette aide et les modalités d’application. Si bien que nous n’avons aucun contrôle sur les conditions de distribution de cette aide qui relève du seul arbitraire du chef de service, sous le contrôle du seul ministre.

Par ailleurs, sur un autre plan, vous avez constaté comme nous que le gouvernement a retiré une nouvelle fois de l’ordre du jour de l’Assemblée le texte de loi prévu pour régler les relations entre la CPS et les professionnels de santé qui prévoyait un règlement arbitral par le ministère en cas de conflit, comme nous l’avons vécu il y a quelques mois.
Au 1er janvier, les discussions sur le conventionnement des médecins vont reprendre. Et il y a fort à parier que ça ne se passera pas mieux qu’il y a quelque mois. Il faut donc s’attendre à ce que les patients paient encore le prix fort ce qui entraînera encore une dégradation des soins.

Avec l’instauration de la PSG en 1995, nous avions réussi à faire de la santé en Polynésie un système performant, y compris pour les plus démunis.
Ce système nécessite une profonde réforme que nous attendons depuis plusieurs années et qui a déjà fait l’objet de discussions approfondies. Mais depuis bientôt deux ans que le gouvernement Temaru a été mis en place, la réforme de la PSG est complètement bloquée, ce qui pèse bien sûr sur les comptes sociaux et sur la qualité des soins. Avec le gel des postes, on va vraiment vers la ruine de notre protection sanitaire.

Rédigé par Tahoeraa le Lundi 17 Décembre 2012 à 15:52 | Lu 644 fois