Tahiti, le 6 août 2021 - Carnet de voyage un peu spécial cette semaine, puisque nous ouvrons nos pages aux récits qu’a recueillis Yves Gentilhomme, installé à Rurutu depuis 1993, co-fondateur avec sa femme Hélène de la pension Manotel ; Yves est devenu aujourd’hui une mémoire vivante de cette île des Australes qu’il aime par-dessus tout. Les anciens se confient peu et très rares sont ceux qui écrivent. Yves a donc essayé du mieux possible de fixer sur le papier récits anciens et légendes plus anciennes encore, des textes qu’il a bien voulu offrir aux lecteurs de Tahiti Infos
L’île de Rurutu est une terre riche de particularités géologiques, mais également riche de légendes. Nous vous proposons d’en découvrir quelques-unes aujourd’hui...
L’odyssée des condamnés à mort...
Un jour, à Rurutu, un enfant de huit ans est trouvé mort au pied d'un cocotier : y a-t-il eu crime ou accident ? Les opinions sont partagées à ce sujet : le coupe-coupe de l'enfant est resté fiché dans le pédoncule d'une feuille du palmier, ce qui semble corroborer l'hypothèse d'une simple chute du haut de l’arbre ; mais la plupart des observateurs ne voient là qu'une ruse de l'assassin destinée à détourner les soupçons et imputent la mort de l'enfant aux ennemis de sa famille.
Une mort lente assurée
Deux individus sont arrêtés, jugés et malgré leurs protestations d'innocence, condamnés à mort. A la fin du XIXe siècle, à Rurutu, la peine capitale consistait à abandonner sans vivres les coupables sur un des quatre minuscules îlots nommés Maria situés au nord-ouest de Rimatara : là ne poussent que quelques cocotiers et des buissons de miki miki ; en plus clair, c'est la mort lente pour tout individu par suite de toutes sortes de privations.
L'arrêt prononcé, on arma la goélette du pays, la Manureva, on embarqua les condamnés et l'équipage, puis la population, sous la conduite du pasteur, se rendit selon l'usage sur la grève, où elle se mit à prier et à chanter des cantiques pour demander au Créateur d'accorder aux voyageurs une mer calme et de les guider dans leur route. Lorsque ces invocations furent terminées, on lâcha les amarres et la goélette s'élança sur la mer.
Il faut ordinairement par vent debout quatre ou cinq jours pour aller de Rurutu aux îles Maria. Après dix jours de mer, les capitaines (au nombre de quatre pour être plus sûrs d'arriver à bon port) n'avaient pas encore la terre en vue. Les provisions devenaient rares et les jours succédaient aux jours. Ils comprirent alors qu'ils s'étaient perdus !
25 jours à tourner en rond !
Grâce à la pluie et au produit de leur pêche, ils parvinrent à prolonger leur existence. La traversée prenait des proportions effrayantes, car plus de vingt jours s'étaient maintenant écoulés depuis le départ. Des jours encore se passèrent. Le vingt-cinquième, ils aperçurent dans le lointain un point bleu au-dessus des flots : c'était une montagne et déjà ils croyaient reconnaître Tahiti, lorsqu'en s'approchant, ils constatèrent avec stupéfaction qu'ils se trouvaient devant l’île de Tubuai ! Ils avaient continuellement tourné autour de leur île ; ainsi s'expliquait la longueur extraordinaire de la “traversée”. Ils finirent par aborder à Pairatu, le lieu d'où ils étaient partis ! Pour conclure, les Rurutu ne virent pas dans leur échec le résultat de leur incompétence et la nécessité de mieux apprendre à naviguer ; ils en tirèrent la conclusion suivante : “Si nous n'avons pu trouver notre route, c'est que Dieu ne l'a pas voulu parce que les condamnés étaient innocents”.
De retour à Rurutu, les deux hommes furent à nouveau jugés, et cette fois, ils furent acquittés !
Une mort lente assurée
Deux individus sont arrêtés, jugés et malgré leurs protestations d'innocence, condamnés à mort. A la fin du XIXe siècle, à Rurutu, la peine capitale consistait à abandonner sans vivres les coupables sur un des quatre minuscules îlots nommés Maria situés au nord-ouest de Rimatara : là ne poussent que quelques cocotiers et des buissons de miki miki ; en plus clair, c'est la mort lente pour tout individu par suite de toutes sortes de privations.
L'arrêt prononcé, on arma la goélette du pays, la Manureva, on embarqua les condamnés et l'équipage, puis la population, sous la conduite du pasteur, se rendit selon l'usage sur la grève, où elle se mit à prier et à chanter des cantiques pour demander au Créateur d'accorder aux voyageurs une mer calme et de les guider dans leur route. Lorsque ces invocations furent terminées, on lâcha les amarres et la goélette s'élança sur la mer.
Il faut ordinairement par vent debout quatre ou cinq jours pour aller de Rurutu aux îles Maria. Après dix jours de mer, les capitaines (au nombre de quatre pour être plus sûrs d'arriver à bon port) n'avaient pas encore la terre en vue. Les provisions devenaient rares et les jours succédaient aux jours. Ils comprirent alors qu'ils s'étaient perdus !
25 jours à tourner en rond !
Grâce à la pluie et au produit de leur pêche, ils parvinrent à prolonger leur existence. La traversée prenait des proportions effrayantes, car plus de vingt jours s'étaient maintenant écoulés depuis le départ. Des jours encore se passèrent. Le vingt-cinquième, ils aperçurent dans le lointain un point bleu au-dessus des flots : c'était une montagne et déjà ils croyaient reconnaître Tahiti, lorsqu'en s'approchant, ils constatèrent avec stupéfaction qu'ils se trouvaient devant l’île de Tubuai ! Ils avaient continuellement tourné autour de leur île ; ainsi s'expliquait la longueur extraordinaire de la “traversée”. Ils finirent par aborder à Pairatu, le lieu d'où ils étaient partis ! Pour conclure, les Rurutu ne virent pas dans leur échec le résultat de leur incompétence et la nécessité de mieux apprendre à naviguer ; ils en tirèrent la conclusion suivante : “Si nous n'avons pu trouver notre route, c'est que Dieu ne l'a pas voulu parce que les condamnés étaient innocents”.
De retour à Rurutu, les deux hommes furent à nouveau jugés, et cette fois, ils furent acquittés !
La légende de la pieuvre Oaa
La pieuvre ne sortait de sa cachette que pour attraper ses proies. Mais les deux frères furent plus malins qu’elle...
Au nord du village de Moerai, vers la montagne, au fond de la tarodière “Te ava rua” se trouve un coin magnifique, une petite cascade et un trou d’eau où vivait une pieuvre géante. Le trou était assez profond et les gens du village venaient s’y baigner. La pieuvre géante appartenait au clan des Ati Ari’i. Les hommes la voyaient parfois. On dit que beaucoup d’animaux disparaissaient et même les gens qui osaient s’en approcher.
La pieuvre restait dans son trou...
Deux frères, Taneuapoto et Taneanea, décidèrent de la tuer. Mais ce n’était pas facile ; il leur fallait établir un plan. La bête restait au fond du trou d’eau quand elle se sentait en danger et ne sortait que pour attraper sa proie puis l’entraînait dans l’eau.
Un jour vint où les deux frères mirent leur plan à exécution. Ils se rendirent au trou d’eau avec leur lance, mais la pieuvre ne sortait pas. Ils l’appelèrent : “Pourquoi tu ne sors pas de ton trou, nous sommes là, viens, nous nous offrons à toi !” Hélas, la pieuvre ne fut pas au rendez-vous.
Les deux frères rentrèrent et firent le point. Pourquoi la pieuvre n’était-elle pas sortie de sa cachette ? Taneanea fit part de son point de vue à son frère : “Je pense que la pieuvre a dû nous voir et a décidé de ne pas réagir. A-t-elle peur parce qu’on était deux ? Peut-être que si l’un de nous deux se présentait seul, la pieuvre sortirait de son trou ?” Taneuapoto lui répondit : “Je crois que tu as raison, nous allons adopter la stratégie suivante. L’un de nous se présentera seul devant la pieuvre pendant que l’autre se préparera sans se faire voir. Je me présenterai seul puisque je suis l’aîné”.
Une lance entre les deux yeux
Taneanea aurait voulu prendre la place de Taneuapoto mais n’insista pas, parce que son grand-frère en avait décidé autrement. Ils retournèrent donc à Teoaa et Taneuapoto se rendit directement devant le trou d’eau. Surprise, les tentacules de la pieuvre firent surface ; le grand-frère recula de quelques pas afin de les éviter et également pour faire en sorte que le monstre sorte de son trou. Pendant ce temps, Taneanea se préparait à brandir sa lance. Il l’enfonça entre les deux yeux de la bête. Taneuapoto, lui, en profita pour couper les tentacules.
La lance du frère cadet aurait blessé mortellement la bête. Cette dernière n’eut pas le temps de terrasser ses ennemis qui venaient de la découper en morceaux...
La pieuvre restait dans son trou...
Deux frères, Taneuapoto et Taneanea, décidèrent de la tuer. Mais ce n’était pas facile ; il leur fallait établir un plan. La bête restait au fond du trou d’eau quand elle se sentait en danger et ne sortait que pour attraper sa proie puis l’entraînait dans l’eau.
Un jour vint où les deux frères mirent leur plan à exécution. Ils se rendirent au trou d’eau avec leur lance, mais la pieuvre ne sortait pas. Ils l’appelèrent : “Pourquoi tu ne sors pas de ton trou, nous sommes là, viens, nous nous offrons à toi !” Hélas, la pieuvre ne fut pas au rendez-vous.
Les deux frères rentrèrent et firent le point. Pourquoi la pieuvre n’était-elle pas sortie de sa cachette ? Taneanea fit part de son point de vue à son frère : “Je pense que la pieuvre a dû nous voir et a décidé de ne pas réagir. A-t-elle peur parce qu’on était deux ? Peut-être que si l’un de nous deux se présentait seul, la pieuvre sortirait de son trou ?” Taneuapoto lui répondit : “Je crois que tu as raison, nous allons adopter la stratégie suivante. L’un de nous se présentera seul devant la pieuvre pendant que l’autre se préparera sans se faire voir. Je me présenterai seul puisque je suis l’aîné”.
Une lance entre les deux yeux
Taneanea aurait voulu prendre la place de Taneuapoto mais n’insista pas, parce que son grand-frère en avait décidé autrement. Ils retournèrent donc à Teoaa et Taneuapoto se rendit directement devant le trou d’eau. Surprise, les tentacules de la pieuvre firent surface ; le grand-frère recula de quelques pas afin de les éviter et également pour faire en sorte que le monstre sorte de son trou. Pendant ce temps, Taneanea se préparait à brandir sa lance. Il l’enfonça entre les deux yeux de la bête. Taneuapoto, lui, en profita pour couper les tentacules.
La lance du frère cadet aurait blessé mortellement la bête. Cette dernière n’eut pas le temps de terrasser ses ennemis qui venaient de la découper en morceaux...
La pierre Paorooro et le Tere
Le “Tere”, à Rurutu, ce singulier tour de l’île, consiste à passer en revue les maisons, les villages mais aussi les plantations. Lors du “Tere”, les Rurutu dressent un état des lieux des traditions ; évidemment, celle du tressage se porte toujours aussi bien aujourd’hui.
Autrefois, le tour de l’île de Rurutu était différent. Les chevaux étaient les seuls moyens de transport. Il pouvait y avoir jusqu’à une centaine de chevaux, avec un, deux ou trois cavaliers, selon la force du cheval. A part la prière et le lever de pierre, le “Tere” n’était pas une promenade mais une observation sérieuse de l’île. Étaient passés en revue l’abondance des plantations, la beauté, la splendeur de la nature dans chaque district, mais aussi le nombre d’animaux en liberté et surtout la qualité de la vie et le maintien des traditions, chantées en “pata’uta’u”. C’était le moment le plus important de l’année, car à la fin du “Tere Aati”, chaque district décidait alors de ce qu’il convenait de faire afin que les plantations soient améliorées, afin que l’île soit plus belle.
Enterrés vivant par ses frères !
A notre époque, deux associations s’occupent de l’organisation du tour de l’île selon un ordre chronologique précis : la prière, les discours, le lever de pierre et enfin une grande fête pour clôturer le tout.
L’ouverture du “Tere Aati” est marquée par le lever de la première pierre nommée Paorooro, appartenant au pasteur Tevaiautea dit Pirina Urautia. Lorsqu’elle est levée, le tour de l’île sera réussi. Tevaiautea a nommé sa pierre du nom de Paorooro, un puissant “aito” d’autrefois. Le matin, il levait sa pierre plusieurs fois de suite afin de s’échauffer avant d’aller dans ses plantations lors des périodes froides.
Paorooro était le fils de Taatini, chef des Are Ari’i, qui vivaient en ce temps-là à Vitaria. Il a grandi près de sa mère et avait quatre frères : Teauroa, Aanuuoro, Taviri et Paoai. A cause de sa force impressionnante, ses frères avaient peur de lui et décidèrent de le tuer en lui lançant plusieurs défis. Arriva un jour où ils lui proposèrent de creuser le trou le plus profond possible. Paorooro creusa évidemment le plus profond des trous si bien qu’il ne put plus remonter. Il fut alors enterré vivant.
Aujourd’hui, cette pierre ouvre le tour de l’île de Rurutu. Lorsqu’elle est levée, le cortège peut continuer, sinon tout s’arrête là.
Enterrés vivant par ses frères !
A notre époque, deux associations s’occupent de l’organisation du tour de l’île selon un ordre chronologique précis : la prière, les discours, le lever de pierre et enfin une grande fête pour clôturer le tout.
L’ouverture du “Tere Aati” est marquée par le lever de la première pierre nommée Paorooro, appartenant au pasteur Tevaiautea dit Pirina Urautia. Lorsqu’elle est levée, le tour de l’île sera réussi. Tevaiautea a nommé sa pierre du nom de Paorooro, un puissant “aito” d’autrefois. Le matin, il levait sa pierre plusieurs fois de suite afin de s’échauffer avant d’aller dans ses plantations lors des périodes froides.
Paorooro était le fils de Taatini, chef des Are Ari’i, qui vivaient en ce temps-là à Vitaria. Il a grandi près de sa mère et avait quatre frères : Teauroa, Aanuuoro, Taviri et Paoai. A cause de sa force impressionnante, ses frères avaient peur de lui et décidèrent de le tuer en lui lançant plusieurs défis. Arriva un jour où ils lui proposèrent de creuser le trou le plus profond possible. Paorooro creusa évidemment le plus profond des trous si bien qu’il ne put plus remonter. Il fut alors enterré vivant.
Aujourd’hui, cette pierre ouvre le tour de l’île de Rurutu. Lorsqu’elle est levée, le cortège peut continuer, sinon tout s’arrête là.
Source : Heiva 2007 - Tamarii Are Ari’
La légende du roi cannibale
Les jeunes filles suivirent le sentier secret pour se procurer l’eau de mer dont leur mère avait besoin. Mais le roi Teauroa veillait, car il désirait l’une d’elles pour femme...
Au temps jadis, il y avait à Rurutu un certain nombre de grottes secrètes ; le propriétaire de ces grottes était Amaiterai, “embrasé dans le ciel”, grâce à sa force personnelle et à la puissance de son “Varuaino”.
C'était bien lui le maître de ces grottes secrètes, dont certaines sont connues des hommes d'aujourd'hui ; mais il y en a une qui n'a jamais été découverte. Il s'agit de la grotte qui se trouve dans le Matonaa, les “roches silencieuses”, au district de Moerai, à Rurutu.
Elevées dans une grotte secrète
Taiti était le père et Taai était sa femme. Ils demeuraient dans cette grotte secrète où naquirent leurs trois enfants, tous trois des garçons. Ils eurent aussi quatre filles adoptives qu'ils avaient prises comme prisonnières de guerre. Elles s'appelaient Aae, “feu étrange”, Uirai, “demande au ciel”, Fauenua, “subitement élevée”, Aanunuiata, “feu qui grandit dans les nuages”.
Ils élevèrent tous leurs enfants jusqu'à ce qu'ils deviennent adultes et leurs transmirent l'histoire de la grotte secrète, que Taai seule connaissait pour l'avoir apprise dans l'histoire de Araia, “lieu de naissance”, de Miiura, “graisse brûlée”, à Tuituiaroa, “sommet incendié”.
Ce qu'elle avait appris et retenu, elle l'enseigna à ses enfants. Il y avait dans cette grotte secrète de nombreux objets de grande beauté : des pilons pour le “poe”, des pilons pour en haut, des pilons pour en bas, des lances de guerre et une idole en bois que l'on appelait Teriirereiti, “roi audacieux”. Il était le mauvais esprit gardien de la grotte secrète pour qu'elle ne soit jamais découverte. Il gardait également les enfants de Taai pour qu'ils ne tombent pas entre les mains de leurs ennemis et qu'ils ne soient pas vaincus au cas où une bataille s'engagerait sur la limite de leur propriété.
“Une d'entre vous sera ma femme !”
Mais voilà que la nouvelle se répandit dans toute l'île de Rurutu, et elle arriva jusqu'aux oreilles du fameux roi Teauroa, de Miiura. Il forma le projet d'essayer sa force contre la science de ses rivaux. Il partit donc en guerre en suivant le rivage de la mer, du côté où il soupçonnait qu'était la grotte secrète. Cependant Taai, la mère des jeunes filles, était avertie de l'arrivée du roi par son esprit gardien.
Dès qu'elle l'aperçut de loin, elle envoya ses filles chercher de l'eau de mer dans les cocos bien polis dont on se sert pour le “miti”. Elles se rendirent à la mer par le sentier secret, jusqu'à une grande pierre plate. Là, elles s'arrêtèrent pour scruter les alentours de peur que quelqu'un ne vienne les surprendre.
C'est alors que le roi Teauroa les vit. Il fut surpris et tressaillit de joie. Sautant en l'air, il se dit à lui-même : “Une d'entre vous sera ma femme !” Aussitôt, il commença à courir vers elles en poussant des cris, et il était déjà assez près d'elles quand elles s'aperçurent de sa présence.
Vite, elles s'enfuirent jusqu'à une grosse pierre plate que l'on appelle “sentier perdu”, mais le roi n'était plus alors qu'à quelques mètres derrière elles ; soudain, elles disparurent ! Le roi tâta le roc, mais il n'y avait plus personne, ce n'était que de la pierre ; il voulut alors emporter le roc à Miiura, mais il ne put le soulever, car le mauvais esprit était là pour l'en empêcher. Six fois il essaya, mais sans succès.
Il résolut alors de s'adresser directement aux parents, qui, peut-être, lui accorderaient ce qu'il leur demanderait. Le lendemain matin, le roi alla à cette pierre plate appelée “sentier perdu” à la recherche des parents de ces filles. Taai le vit venir et chercher la pierre.
Quand le roi l’eut enfin trouvé, il entendit une voix, sans qu'il puisse voir qui parlait, qui lui dit : “Que veux-tu, oh mon roi ?” Il répondit : “Je viens chercher une de tes filles pour être mon épouse”. La voix mystérieuse répondit : “Vous avez mangé les vôtres et vous venez demander une des nôtres pour votre femme ?” Le roi ne sut que répondre car il avait peur que Taai se fâche et lui refuse l'une de ses filles. Finalement, ce fut la jeune femme Teaanunuiata que Taai donna au roi Teauroa, et ils eurent des enfants qui devinrent les ancêtres de la famille royale actuelle de Rurutu.
C'était bien lui le maître de ces grottes secrètes, dont certaines sont connues des hommes d'aujourd'hui ; mais il y en a une qui n'a jamais été découverte. Il s'agit de la grotte qui se trouve dans le Matonaa, les “roches silencieuses”, au district de Moerai, à Rurutu.
Elevées dans une grotte secrète
Taiti était le père et Taai était sa femme. Ils demeuraient dans cette grotte secrète où naquirent leurs trois enfants, tous trois des garçons. Ils eurent aussi quatre filles adoptives qu'ils avaient prises comme prisonnières de guerre. Elles s'appelaient Aae, “feu étrange”, Uirai, “demande au ciel”, Fauenua, “subitement élevée”, Aanunuiata, “feu qui grandit dans les nuages”.
Ils élevèrent tous leurs enfants jusqu'à ce qu'ils deviennent adultes et leurs transmirent l'histoire de la grotte secrète, que Taai seule connaissait pour l'avoir apprise dans l'histoire de Araia, “lieu de naissance”, de Miiura, “graisse brûlée”, à Tuituiaroa, “sommet incendié”.
Ce qu'elle avait appris et retenu, elle l'enseigna à ses enfants. Il y avait dans cette grotte secrète de nombreux objets de grande beauté : des pilons pour le “poe”, des pilons pour en haut, des pilons pour en bas, des lances de guerre et une idole en bois que l'on appelait Teriirereiti, “roi audacieux”. Il était le mauvais esprit gardien de la grotte secrète pour qu'elle ne soit jamais découverte. Il gardait également les enfants de Taai pour qu'ils ne tombent pas entre les mains de leurs ennemis et qu'ils ne soient pas vaincus au cas où une bataille s'engagerait sur la limite de leur propriété.
“Une d'entre vous sera ma femme !”
Mais voilà que la nouvelle se répandit dans toute l'île de Rurutu, et elle arriva jusqu'aux oreilles du fameux roi Teauroa, de Miiura. Il forma le projet d'essayer sa force contre la science de ses rivaux. Il partit donc en guerre en suivant le rivage de la mer, du côté où il soupçonnait qu'était la grotte secrète. Cependant Taai, la mère des jeunes filles, était avertie de l'arrivée du roi par son esprit gardien.
Dès qu'elle l'aperçut de loin, elle envoya ses filles chercher de l'eau de mer dans les cocos bien polis dont on se sert pour le “miti”. Elles se rendirent à la mer par le sentier secret, jusqu'à une grande pierre plate. Là, elles s'arrêtèrent pour scruter les alentours de peur que quelqu'un ne vienne les surprendre.
C'est alors que le roi Teauroa les vit. Il fut surpris et tressaillit de joie. Sautant en l'air, il se dit à lui-même : “Une d'entre vous sera ma femme !” Aussitôt, il commença à courir vers elles en poussant des cris, et il était déjà assez près d'elles quand elles s'aperçurent de sa présence.
Vite, elles s'enfuirent jusqu'à une grosse pierre plate que l'on appelle “sentier perdu”, mais le roi n'était plus alors qu'à quelques mètres derrière elles ; soudain, elles disparurent ! Le roi tâta le roc, mais il n'y avait plus personne, ce n'était que de la pierre ; il voulut alors emporter le roc à Miiura, mais il ne put le soulever, car le mauvais esprit était là pour l'en empêcher. Six fois il essaya, mais sans succès.
Il résolut alors de s'adresser directement aux parents, qui, peut-être, lui accorderaient ce qu'il leur demanderait. Le lendemain matin, le roi alla à cette pierre plate appelée “sentier perdu” à la recherche des parents de ces filles. Taai le vit venir et chercher la pierre.
Quand le roi l’eut enfin trouvé, il entendit une voix, sans qu'il puisse voir qui parlait, qui lui dit : “Que veux-tu, oh mon roi ?” Il répondit : “Je viens chercher une de tes filles pour être mon épouse”. La voix mystérieuse répondit : “Vous avez mangé les vôtres et vous venez demander une des nôtres pour votre femme ?” Le roi ne sut que répondre car il avait peur que Taai se fâche et lui refuse l'une de ses filles. Finalement, ce fut la jeune femme Teaanunuiata que Taai donna au roi Teauroa, et ils eurent des enfants qui devinrent les ancêtres de la famille royale actuelle de Rurutu.
La fontaine de Vaituu
Il a fallu que les deux prétendants harcelant la belle Teirinai se mirent dans un miroir d’eau pour qu’ils comprennent enfin qu’ils étaient bien trop laids pour conquérir la jeune fille qu’ils convoitaient.
Teirinai est née à Avera, son père se nomme Ainuura. Elle a été adoptée par la sœur de celui-ci qui réside à Unaaitemaramaana (Unaa) où elle a grandi. C’est une jolie jeune fille aux yeux doux avec un beau corps et de très longs cheveux. Ses parents adoptifs lui portent un amour tel qu’ils la chérissent du plus profond de leur cœur. Teirinai n’a jamais connu d’hommes (elle est encore vierge).
Dans le village vivent également deux jeunes hommes connus sous le nom de “Temataoteaoopu”. Ils ont pour habitude d’épier Teirinai et de lui faire des avances. Cependant, ils n’ont pas pris la peine de bien se regarder tant sur le plan physique que sur le plan comportemental : ils ne se sont pas demandé s’ils convenaient à Teirinai avec leurs grosses oreilles, leurs énormes nez et leurs regards sombres et noirs. Leurs avances furent si insistantes et récurrentes que la jeune fille en eut assez. Aussi elle leur dit : “Ano atu, na’u e anoa tu. Ano atu na tatai’ atu, na Vaituu atu, mata’ita’i atu, ariirii atu”. Ce qui veut dire : “Allez-y, j’arrive. Allez vers la plage, allez vers Vaituu (c’est le nom d’une rivière), observez, préparez”.
Une attente interminable...
Ces propos réjouirent énormément les deux jeunes hommes si bien qu’ils s’en allèrent, comme la jeune fille le leur avait dit, vers la plage, vers la rivière Vaituu, tout en cueillant des feuilles de fougères pour préparer le lit de Teirinai. Une fois que tout fut prêt, ils attendirent et attendirent encore..., mais toujours pas de Teirinai. L’attente leur parut si longue qu’ils retournèrent la voir pour lui demander la raison de ce retard et pour lui dire de se hâter car tout était prêt. Elle leur répéta ce qu’elle leur avait dit plutôt : “Ano atu, na’u e anoa tu. Ano atu na tatai’ atu, na Vaituu atu, mata’ita’i atu, ariirii atu”.
Ils retournèrent vers Vaituu, comme précédemment et longèrent la rivière. C’est à ce moment-là qu’ils virent le reflet de leur visage dans une flaque d’eau. Ils se rendirent compte de leur laideur : ils avaient de grosse oreilles, un énorme nez accentué par un regard sombre et noir. C’est ainsi qu’ils comprirent le sens des propos tenus par Teirinai lorsqu’elle leur avait dit : “Ano atu, na’u e anoa tu. Ano atu na tatai’ atu, na Vaituu atu, mata’ita’i atu, ariirii atu”. En fait, elle voulait qu’ils aillent se regarder dans l’eau pour qu’ils prennent conscience de leur laideur...
Dans le village vivent également deux jeunes hommes connus sous le nom de “Temataoteaoopu”. Ils ont pour habitude d’épier Teirinai et de lui faire des avances. Cependant, ils n’ont pas pris la peine de bien se regarder tant sur le plan physique que sur le plan comportemental : ils ne se sont pas demandé s’ils convenaient à Teirinai avec leurs grosses oreilles, leurs énormes nez et leurs regards sombres et noirs. Leurs avances furent si insistantes et récurrentes que la jeune fille en eut assez. Aussi elle leur dit : “Ano atu, na’u e anoa tu. Ano atu na tatai’ atu, na Vaituu atu, mata’ita’i atu, ariirii atu”. Ce qui veut dire : “Allez-y, j’arrive. Allez vers la plage, allez vers Vaituu (c’est le nom d’une rivière), observez, préparez”.
Une attente interminable...
Ces propos réjouirent énormément les deux jeunes hommes si bien qu’ils s’en allèrent, comme la jeune fille le leur avait dit, vers la plage, vers la rivière Vaituu, tout en cueillant des feuilles de fougères pour préparer le lit de Teirinai. Une fois que tout fut prêt, ils attendirent et attendirent encore..., mais toujours pas de Teirinai. L’attente leur parut si longue qu’ils retournèrent la voir pour lui demander la raison de ce retard et pour lui dire de se hâter car tout était prêt. Elle leur répéta ce qu’elle leur avait dit plutôt : “Ano atu, na’u e anoa tu. Ano atu na tatai’ atu, na Vaituu atu, mata’ita’i atu, ariirii atu”.
Ils retournèrent vers Vaituu, comme précédemment et longèrent la rivière. C’est à ce moment-là qu’ils virent le reflet de leur visage dans une flaque d’eau. Ils se rendirent compte de leur laideur : ils avaient de grosse oreilles, un énorme nez accentué par un regard sombre et noir. C’est ainsi qu’ils comprirent le sens des propos tenus par Teirinai lorsqu’elle leur avait dit : “Ano atu, na’u e anoa tu. Ano atu na tatai’ atu, na Vaituu atu, mata’ita’i atu, ariirii atu”. En fait, elle voulait qu’ils aillent se regarder dans l’eau pour qu’ils prennent conscience de leur laideur...
La légende de Tuiva’o
En ces temps reculés, sept frères Hiro régnaient sur le grand Pacifique. Un jour, ils décidèrent de rendre visite au plus jeune de leurs frères, qui vivait à Raivavae. Tuiva’o vivait à Rurutu. C’était un pêcheur réputé. Il décida de les accompagner. A Raivavae, les sept sages le chargèrent de les ravitailler en poissons.
Un des rochers était une baleine
Muni de son harpon et d’une corde de “nape” pour enfiler ses prises, il s’élança vers la plage. Dans le bleu du lagon, il aperçut une grosse carangue. Pour s’en approcher, il bondit de rocher en rocher quand soudain l’un des rochers se mit à bouger puis s’éloigna rapidement vers le large. C’était une baleine !
Le courageux pêcheur enroula sa corde de “nape” autour de la queue de l’animal afin de se tenir sur son dos. La baleine arriva sur un petit îlot où vivait une femme qui passait son temps à nourrir les cétacés. Rapidement, elle s’aperçut que Tuiva’o s’ennuyait sur son île : il ne savait que pêcher et ne lui était d’aucune utilité. Elle lui proposa de le renvoyer chez lui, sur le dos d’une baleine qu’il devra relâcher sitôt rencontré la limite du bleu turquoise du lagon et du bleu profond du large.
Tuiva’o ne l’entendait pas de cette oreille, il ne voulait pas rentrer au village sans poisson. La baleine se débattit arrivée à Rurutu, mais l’entêté pêcheur ne lâcha pas sa prise. D’un premier bond, elle se retrouva près du récif, au second elle était dans le lagon, et son dernier saut lui fut fatal : elle gisait au sec à “Nuunuu Auete”, dans le district de Vaiuru.
Dernière baleine tuée en 1959
Sur le marae où ils l’attendaient, les sages furent surpris de voir apparaître Tuiva’o sans un poisson accroché à sa ceinture. Mais le pêcheur leur montra sa prise avec fierté. Et tout le monde put se réjouir et se régaler !
La renommée de Tuiva’o se perpétue encore aujourd’hui et aucune pêche à la baleine n’aurait été tolérée sans la présence d’un descendant de Tuiva’o. La dernière baleine pêchée à Rurutu le fut en 1959. Ce sont les baleiniers de passage qui auraient appris cette pêche aux habitants.
Les prises étaient rares et près de deux années de travail étaient nécessaires à toute la population, car cette pêche coûtait très cher. Pendant que les mamas préparaient de nombreux objets artisanaux, les hommes allaient au fa'a’apu. Produits agricoles et artisanat ainsi préparés étaient ensuite expédiés vers Tahiti par la goélette afin d'acheter le matériel introuvable sur l'île : cordes, tonneaux pour l’huile, chaudrons pour la cuisson, divers harpons…
Un des rochers était une baleine
Muni de son harpon et d’une corde de “nape” pour enfiler ses prises, il s’élança vers la plage. Dans le bleu du lagon, il aperçut une grosse carangue. Pour s’en approcher, il bondit de rocher en rocher quand soudain l’un des rochers se mit à bouger puis s’éloigna rapidement vers le large. C’était une baleine !
Le courageux pêcheur enroula sa corde de “nape” autour de la queue de l’animal afin de se tenir sur son dos. La baleine arriva sur un petit îlot où vivait une femme qui passait son temps à nourrir les cétacés. Rapidement, elle s’aperçut que Tuiva’o s’ennuyait sur son île : il ne savait que pêcher et ne lui était d’aucune utilité. Elle lui proposa de le renvoyer chez lui, sur le dos d’une baleine qu’il devra relâcher sitôt rencontré la limite du bleu turquoise du lagon et du bleu profond du large.
Tuiva’o ne l’entendait pas de cette oreille, il ne voulait pas rentrer au village sans poisson. La baleine se débattit arrivée à Rurutu, mais l’entêté pêcheur ne lâcha pas sa prise. D’un premier bond, elle se retrouva près du récif, au second elle était dans le lagon, et son dernier saut lui fut fatal : elle gisait au sec à “Nuunuu Auete”, dans le district de Vaiuru.
Dernière baleine tuée en 1959
Sur le marae où ils l’attendaient, les sages furent surpris de voir apparaître Tuiva’o sans un poisson accroché à sa ceinture. Mais le pêcheur leur montra sa prise avec fierté. Et tout le monde put se réjouir et se régaler !
La renommée de Tuiva’o se perpétue encore aujourd’hui et aucune pêche à la baleine n’aurait été tolérée sans la présence d’un descendant de Tuiva’o. La dernière baleine pêchée à Rurutu le fut en 1959. Ce sont les baleiniers de passage qui auraient appris cette pêche aux habitants.
Les prises étaient rares et près de deux années de travail étaient nécessaires à toute la population, car cette pêche coûtait très cher. Pendant que les mamas préparaient de nombreux objets artisanaux, les hommes allaient au fa'a’apu. Produits agricoles et artisanat ainsi préparés étaient ensuite expédiés vers Tahiti par la goélette afin d'acheter le matériel introuvable sur l'île : cordes, tonneaux pour l’huile, chaudrons pour la cuisson, divers harpons…
Tuiva’o enroula courageusement sa corde de “nape” autour de la baleine qui le ramenait chez lui ; il avait pour consigne de la relâcher, mais il ne voulut pas se séparer d’une telle prise qui lui assurerait la gloire dans son village (photo Dr. Louis M. Herman).
Natapu, pêcheur de baleines
Ce sont les Européens qui, dit-on, enseignèrent aux Rurutu l’art de chasser la baleine, mais ce n’était pas une mince affaire pour la petite communauté qui devait d’abord acheter tout le matériel nécessaire...
“On m’appelle Natapu, mais mon vrai nom est Ariera Hurahutia. Je suis né le 10 juillet 1888 à Moerai sur l’île de Rurutu où j’ai été nommé mutoi (policier municipal) en 1920. Plus tard, j’ai été désigné comme juge et tavana (maire).
La chasse à la baleine se pratiquait déjà avant les années 1920 à Rurutu. A cette époque-là, il y avait beaucoup de baleines : 30, 40, 50 peut-être. Il était impossible de les compter. Elles venaient chaque année, entre juin et octobre, et restaient pendant trois mois environ, surtout en face de Moerai et Avera. Il fallait construire des embarcations spéciales, des “baleinières”. Personnellement j’en ai fabriqué quatre.
Un seul harponneur par bateau
Quatre ou cinq bateaux à la fois partaient à la chasse. Des équipages des trois villages y participaient. Il y avait huit ou dix rameurs, quatre ou cinq de chaque côté, et un seul harponneur. On se servait des avirons à la façon des piroguiers avec leurs pagaies. Cela fait moins de bruit et il ne fallait pas effrayer les baleines. L’ensemble de la lance mesurait un peu plus de trois mètres, dont 80 centimètres environ pour la pointe de fer. Le cordage avait au moins 100 brasses de long (180 m).
Pendant leur séjour dans les eaux d’ici, les mères allaitaient leurs petits jusqu’à ce qu’ils soient aptes à partir avec elles vers le large. Nous attaquions les jeunes, ce qui paraîtra sans doute cruel à certains et pourrait leur faire croire à un manque de courage de notre part. Mais il faut songer qu’une baleine adulte, dont le poids peut dépasser 40 tonnes, aurait pu, d’un simple coup de queue, fracasser une de nos embarcations. Les mères, pleines de soins pour leurs petits, ne s’en écartent jamais, mais l’opération était quand même dangereuse, il fallait des hommes bien entraînés. Chaque année, des jeunes faisaient leur apprentissage.
Une capture qui dura deux jours
Il pouvait s’écouler beaucoup de temps entre le moment où une bête était harponnée et celui où on la ramenait à la passe. Selon l’endroit où la lance avait pénétré et la taille de l’animal, cela pouvait prendre de deux heures jusqu’à une journée entière. Quelquefois il fallait passer la nuit en mer.
Je me souviens d’une des plus longues captures ; elle a duré deux jours. La baleine avait été harponnée par Manava, de Avera. Heureusement, il y avait les pirogues des gens des villages qui venaient nous ravitailler. Le plus ancien harponneur dont je me souvienne était un Tenauri, puis il y a eu Tuhiti de Moerai, Rata de la famille Mamae. Ensuite, Vavitu de Hauti, Manava de Avera et un autre Tenauri (Teaniva). La dernière baleine, avant l’interdiction définitive, a été harponnée par Teia Moeau de Avera, en 1959.
Le plus souvent, la bête harponnée tournait autour de l’Ile. Une fois, cependant, un animal est parti vers le large, entraînant une baleinière à bord de laquelle un de mes fils était rameur. Alors l’équipage dût se résigner à couper le cordage. On raconte que, le lendemain, la baleine a été capturée aux Iles Cook. Cela s’est su beaucoup plus tard. Et c’était bien sûrement la même puisque le harpon était toujours planté dans sa chair.
Aussi bon que du bœuf
Lorsque la capture était réussie, toutes les cloches se mettaient à sonner. Quand l’animal était très gros, il fallait le coincer à l’entrée d’une passe. Alors les gens des trois villages venaient le dépecer et se servir sur place.
On faisait cuire la chair dans le “umu ai” (nom Rurutu du “hima’a”, le four polynésien). C’est aussi bon que du bœuf et très nourrissant. Et à l’époque on ne mangeait pas souvent de la viande autre que celle du cochon, de temps en temps. Certains disent que la chair avait un arrière-goût faisant penser à de la peinture, sans doute à cause de la graisse très huileuse.
On savait la préparer pour la conserver et en manger pendant un mois. On utilisait une partie seulement de la graisse pour faire de l’huile. Cette huile servait, entre autres, à préparer des peintures en la mélangeant avec des produits locaux.
Vers 1925, le “mutoi farani” (policier métropolitain) de l’époque avait interdit la chasse à la baleine. Après son départ on a recommencé. Mais, moi-même, pour éviter le gaspillage, j’ai défendu la pêche pendant les années 1930.
Ah ! C’était une belle pêche, passionnante ! Et quand la baleine trainait le bateau, on sentait toute sa puissance fantastique. En ce temps-là, il fallait aller assez loin au large. Maintenant les baleines viennent tout près du récif. Quel dommage que les jeunes ne puissent pas en profiter !”
La chasse à la baleine se pratiquait déjà avant les années 1920 à Rurutu. A cette époque-là, il y avait beaucoup de baleines : 30, 40, 50 peut-être. Il était impossible de les compter. Elles venaient chaque année, entre juin et octobre, et restaient pendant trois mois environ, surtout en face de Moerai et Avera. Il fallait construire des embarcations spéciales, des “baleinières”. Personnellement j’en ai fabriqué quatre.
Un seul harponneur par bateau
Quatre ou cinq bateaux à la fois partaient à la chasse. Des équipages des trois villages y participaient. Il y avait huit ou dix rameurs, quatre ou cinq de chaque côté, et un seul harponneur. On se servait des avirons à la façon des piroguiers avec leurs pagaies. Cela fait moins de bruit et il ne fallait pas effrayer les baleines. L’ensemble de la lance mesurait un peu plus de trois mètres, dont 80 centimètres environ pour la pointe de fer. Le cordage avait au moins 100 brasses de long (180 m).
Pendant leur séjour dans les eaux d’ici, les mères allaitaient leurs petits jusqu’à ce qu’ils soient aptes à partir avec elles vers le large. Nous attaquions les jeunes, ce qui paraîtra sans doute cruel à certains et pourrait leur faire croire à un manque de courage de notre part. Mais il faut songer qu’une baleine adulte, dont le poids peut dépasser 40 tonnes, aurait pu, d’un simple coup de queue, fracasser une de nos embarcations. Les mères, pleines de soins pour leurs petits, ne s’en écartent jamais, mais l’opération était quand même dangereuse, il fallait des hommes bien entraînés. Chaque année, des jeunes faisaient leur apprentissage.
Une capture qui dura deux jours
Il pouvait s’écouler beaucoup de temps entre le moment où une bête était harponnée et celui où on la ramenait à la passe. Selon l’endroit où la lance avait pénétré et la taille de l’animal, cela pouvait prendre de deux heures jusqu’à une journée entière. Quelquefois il fallait passer la nuit en mer.
Je me souviens d’une des plus longues captures ; elle a duré deux jours. La baleine avait été harponnée par Manava, de Avera. Heureusement, il y avait les pirogues des gens des villages qui venaient nous ravitailler. Le plus ancien harponneur dont je me souvienne était un Tenauri, puis il y a eu Tuhiti de Moerai, Rata de la famille Mamae. Ensuite, Vavitu de Hauti, Manava de Avera et un autre Tenauri (Teaniva). La dernière baleine, avant l’interdiction définitive, a été harponnée par Teia Moeau de Avera, en 1959.
Le plus souvent, la bête harponnée tournait autour de l’Ile. Une fois, cependant, un animal est parti vers le large, entraînant une baleinière à bord de laquelle un de mes fils était rameur. Alors l’équipage dût se résigner à couper le cordage. On raconte que, le lendemain, la baleine a été capturée aux Iles Cook. Cela s’est su beaucoup plus tard. Et c’était bien sûrement la même puisque le harpon était toujours planté dans sa chair.
Aussi bon que du bœuf
Lorsque la capture était réussie, toutes les cloches se mettaient à sonner. Quand l’animal était très gros, il fallait le coincer à l’entrée d’une passe. Alors les gens des trois villages venaient le dépecer et se servir sur place.
On faisait cuire la chair dans le “umu ai” (nom Rurutu du “hima’a”, le four polynésien). C’est aussi bon que du bœuf et très nourrissant. Et à l’époque on ne mangeait pas souvent de la viande autre que celle du cochon, de temps en temps. Certains disent que la chair avait un arrière-goût faisant penser à de la peinture, sans doute à cause de la graisse très huileuse.
On savait la préparer pour la conserver et en manger pendant un mois. On utilisait une partie seulement de la graisse pour faire de l’huile. Cette huile servait, entre autres, à préparer des peintures en la mélangeant avec des produits locaux.
Vers 1925, le “mutoi farani” (policier métropolitain) de l’époque avait interdit la chasse à la baleine. Après son départ on a recommencé. Mais, moi-même, pour éviter le gaspillage, j’ai défendu la pêche pendant les années 1930.
Ah ! C’était une belle pêche, passionnante ! Et quand la baleine trainait le bateau, on sentait toute sa puissance fantastique. En ce temps-là, il fallait aller assez loin au large. Maintenant les baleines viennent tout près du récif. Quel dommage que les jeunes ne puissent pas en profiter !”
La proie première des Rurutu était le jeune baleineau. “Nous attaquions les jeunes, ce qui paraîtra sans doute cruel à certains et pourrait leur faire croire à un manque de courage de notre part”. Mais face à des monstres de quarante tonnes...
“Il faut songer qu’une baleine adulte, dont le poids peut dépasser quarante tonnes, aurait pu, d’un simple coup de queue, fracasser une de nos embarcations. Les mères, pleines de soins pour leurs petits, ne s’en écartent jamais, mais l’opération était quand même dangereuse, il fallait des hommes bien entraînés”.
En Europe, c’est l’huile de baleine qui était la plus recherchée, la chair de ces grands mammifères n’intéressant pas les navires baleiniers. A Rurutu, c’était tout le contraire : rien n’était gaspillé, l’huile était revendue mais la chair nourrissait très longtemps tous les habitants.
La prophétie de Taatini
De la passe “Opupu”, la tradition orale se souvient :
Vers la fin du XVIII° siècle, c’était la famine à Vitaria. Taatini, chef du Are Ari’i, décida d’aller voler le taro à Vaiavai avec trois de ses aito. Ils incendièrent le village, mais quand l’ennemi se rendit compte qu’ils n’étaient que quatre, ils furent faits prisonniers. Ils ont ensuite été décapités. Le crâne de Taatini a été transformé en bougeoir. Et les quatre corps sans tête ont été jetés aux requins dans la passe “Opupu” de Avera. Mais au coucher du soleil, les corps sont revenus sur le récif avec “leurs phallus dansant miraculeusement dans le ressac”.
Le dieu de la tribu des Pevatunoa, Taioaia, dit aux prêtres de Peva que l’érection a été provoquée par Taura-mama, le dieu des Ate Ari’i, il fallait leur rendre les corps ! Ils furent pourtant jetés à nouveau dans la passe, et malgré un second avertissement de Taioaia, les Peva refusèrent les conseils de leurs prêtres. Ils nommèrent les corps “tutae pua'a” (excrément de porc) et les rejetèrent donc à la mer. Et une fois de plus, la houle les ramena sur le récif. Mais cette fois, le dieu Taioaia, sans donner d’autre avertissement, se retira des marae de Peva.
Des guerriers sans âme
Taura-mama, le dieu de Vitaria, s’adressa à son peuple par Tuaanae'u, déclarant “No ‘outou te ao, no’u te po”, “À vous le jour, à moi la nuit”, phrase ainsi interprétée par les Vitaria : “Nous les vaincrons le jour, tandis que notre dieu, Taura-mama les vaincra la nuit, pendant leur sommeil”. Et Taura-mama consomma le “varua” (l’âme) des guerriers de Peva tandis qu'ils dormaient.
Ainsi les guerriers victimes de la perte de leur âme, telles des somnambules, revinrent à Vitaria, sans même qu’il fut nécessaire de les combattre. Par groupes de vingt, trente, quarante ou cinquante, après avoir grimpé sur la grotte Anaio de Vitaria, ils se sont jetés dans des fours brûlants. Tous les guerriers de Peva ont été ainsi consumés. Mais cette histoire est la version des vaincus, celle des vainqueurs est différente !
Et, quand plusieurs décennies plus tard, les baleiniers mouilleront dans les baies de Avera et de Moerai, les populations des deux villages seront décimées par les épidémies. Teauroa invoquera alors la prophétie de Taatini, son père, “à vous le jour, à moi la nuit”. Protégé par ses dieux, il s’appropria les deux villages.
Vers la fin du XVIII° siècle, c’était la famine à Vitaria. Taatini, chef du Are Ari’i, décida d’aller voler le taro à Vaiavai avec trois de ses aito. Ils incendièrent le village, mais quand l’ennemi se rendit compte qu’ils n’étaient que quatre, ils furent faits prisonniers. Ils ont ensuite été décapités. Le crâne de Taatini a été transformé en bougeoir. Et les quatre corps sans tête ont été jetés aux requins dans la passe “Opupu” de Avera. Mais au coucher du soleil, les corps sont revenus sur le récif avec “leurs phallus dansant miraculeusement dans le ressac”.
Le dieu de la tribu des Pevatunoa, Taioaia, dit aux prêtres de Peva que l’érection a été provoquée par Taura-mama, le dieu des Ate Ari’i, il fallait leur rendre les corps ! Ils furent pourtant jetés à nouveau dans la passe, et malgré un second avertissement de Taioaia, les Peva refusèrent les conseils de leurs prêtres. Ils nommèrent les corps “tutae pua'a” (excrément de porc) et les rejetèrent donc à la mer. Et une fois de plus, la houle les ramena sur le récif. Mais cette fois, le dieu Taioaia, sans donner d’autre avertissement, se retira des marae de Peva.
Des guerriers sans âme
Taura-mama, le dieu de Vitaria, s’adressa à son peuple par Tuaanae'u, déclarant “No ‘outou te ao, no’u te po”, “À vous le jour, à moi la nuit”, phrase ainsi interprétée par les Vitaria : “Nous les vaincrons le jour, tandis que notre dieu, Taura-mama les vaincra la nuit, pendant leur sommeil”. Et Taura-mama consomma le “varua” (l’âme) des guerriers de Peva tandis qu'ils dormaient.
Ainsi les guerriers victimes de la perte de leur âme, telles des somnambules, revinrent à Vitaria, sans même qu’il fut nécessaire de les combattre. Par groupes de vingt, trente, quarante ou cinquante, après avoir grimpé sur la grotte Anaio de Vitaria, ils se sont jetés dans des fours brûlants. Tous les guerriers de Peva ont été ainsi consumés. Mais cette histoire est la version des vaincus, celle des vainqueurs est différente !
Et, quand plusieurs décennies plus tard, les baleiniers mouilleront dans les baies de Avera et de Moerai, les populations des deux villages seront décimées par les épidémies. Teauroa invoquera alors la prophétie de Taatini, son père, “à vous le jour, à moi la nuit”. Protégé par ses dieux, il s’appropria les deux villages.
Le poisson de Toamiriura
C’est avec une ligne très résistante, faite en “ro’a” (Pipturus argenteus), une fibre difficile à préparer, réservée à une personne de haut rang, que Mariri partit à la pêche.
Au tout début du XVIe siècle, Toamiriura, fils de Roopupuina, décida de s’installer à Rurutu. Il épousa Toaitiaaraa, la fille de Mariri, un chef Aairi* de Moerai. Un jour, son beau-père partit à la pêche, dans la passe Tauraa de Moerai. Il venait d’acquérir une ligne de “ro’a” (Pipturus argenteus), une fibre difficile à préparer, réservée à une personne de haut rang.
Le poisson n’était pas au rendez-vous, pourtant la première pêche était de la plus haute importance. La première prise revenait au chef du village, Mariri y gagnant en prestige. Donc il n’était pas question de rentrer bredouille, au risque d’être la risée du village.
Un vol et un chant moqueur
Mariri alluma un petit feu pour se réchauffer, confectionna une fourche en bois, y posa sa ligne, et après une longue attente, finit par s’assoupir. Toamiriura passa par là et vit son beau-père endormi. Il prit la ligne sans bruit, s’éloigna, réamorça et jeta la ligne dans la passe. Il attrapa aussitôt une énorme carangue (“uru’a”). Tout fier, il ne put se retenir et chanta : “Ra’i i te i’a na Mariri”, “le poisson de Mariri est grand”, “ma’a i te a’o na Mariri”, “à manger sur la ligne de Mariri”.
Le chant moqueur réveilla Mariri, mais Toamiriura n’attendit pas. Il prit la fuite avec sa prise pour la remettre à Teaitaurua, le chef des Aairi. Il lui dit : “I’a na Mariri”, “le poisson de Mariri”, et lui raconta sa pêche miraculeuse.
Mais quand le jeune Toamiriura rentra à la maison, Mariri, son beau-père, l’attendait. D’un violent coup de poing, il le jeta au sol. Un peu plus tard, Teaitaurua s’inquiéta de ne plus voir son jeune protégé. Il apprit qu’il était retenu prisonnier par son beau-père qui voulait le tuer. Toamiriura demanda alors à Teaitaurua d’envoyer une pirogue à Tubuai avec ce message pour sa famille : “‘Ua ‘i o Tauraa te tatara’a tai”, “Rendez-vous à Tauraa pour me libérer”.
“Éliminez ces mauvaises herbes !”
Quelque temps plus tard, des cris retentirent devant la passe Tauraa. Une grande pirogue venue de Tubuai venait d’accoster. Menée par Taneuapoto, et Uruari’i, son fils, une troupe de guerriers débarqua sur le rivage. Roopupuina, la mère de Toamiriura, les accompagnait. La population de Moerai accourut, le chef Teaitaurua en tête. Il comprit de suite le but du débarquement et envoya chercher Mariri et Toamiriura. A leur vue, Roopupuina lui demanda : “E a’a te vai unu’ia io ‘oe ?” “Quelle eau tu bois ?” D’un signe de tête, Toamiriura montra Mariri. Roopupuina le transperça immédiatement de sa lance. Ce fut le signal du début du massacre. Une pluie de coups dispersa les Aairi. “Marae te ‘enua”, éliminez ces mauvaises herbes de cette terre ! À ce cri, les envahisseurs balayèrent les vallées de Moerai et de Peva occupées par les Aairi.
Ce fut le début d’une guerre qui s’acheva trois siècles plus tard !
* Nous avons trouvé deux orthographes pour ce clan : Aairi et Air
Le poisson n’était pas au rendez-vous, pourtant la première pêche était de la plus haute importance. La première prise revenait au chef du village, Mariri y gagnant en prestige. Donc il n’était pas question de rentrer bredouille, au risque d’être la risée du village.
Un vol et un chant moqueur
Mariri alluma un petit feu pour se réchauffer, confectionna une fourche en bois, y posa sa ligne, et après une longue attente, finit par s’assoupir. Toamiriura passa par là et vit son beau-père endormi. Il prit la ligne sans bruit, s’éloigna, réamorça et jeta la ligne dans la passe. Il attrapa aussitôt une énorme carangue (“uru’a”). Tout fier, il ne put se retenir et chanta : “Ra’i i te i’a na Mariri”, “le poisson de Mariri est grand”, “ma’a i te a’o na Mariri”, “à manger sur la ligne de Mariri”.
Le chant moqueur réveilla Mariri, mais Toamiriura n’attendit pas. Il prit la fuite avec sa prise pour la remettre à Teaitaurua, le chef des Aairi. Il lui dit : “I’a na Mariri”, “le poisson de Mariri”, et lui raconta sa pêche miraculeuse.
Mais quand le jeune Toamiriura rentra à la maison, Mariri, son beau-père, l’attendait. D’un violent coup de poing, il le jeta au sol. Un peu plus tard, Teaitaurua s’inquiéta de ne plus voir son jeune protégé. Il apprit qu’il était retenu prisonnier par son beau-père qui voulait le tuer. Toamiriura demanda alors à Teaitaurua d’envoyer une pirogue à Tubuai avec ce message pour sa famille : “‘Ua ‘i o Tauraa te tatara’a tai”, “Rendez-vous à Tauraa pour me libérer”.
“Éliminez ces mauvaises herbes !”
Quelque temps plus tard, des cris retentirent devant la passe Tauraa. Une grande pirogue venue de Tubuai venait d’accoster. Menée par Taneuapoto, et Uruari’i, son fils, une troupe de guerriers débarqua sur le rivage. Roopupuina, la mère de Toamiriura, les accompagnait. La population de Moerai accourut, le chef Teaitaurua en tête. Il comprit de suite le but du débarquement et envoya chercher Mariri et Toamiriura. A leur vue, Roopupuina lui demanda : “E a’a te vai unu’ia io ‘oe ?” “Quelle eau tu bois ?” D’un signe de tête, Toamiriura montra Mariri. Roopupuina le transperça immédiatement de sa lance. Ce fut le signal du début du massacre. Une pluie de coups dispersa les Aairi. “Marae te ‘enua”, éliminez ces mauvaises herbes de cette terre ! À ce cri, les envahisseurs balayèrent les vallées de Moerai et de Peva occupées par les Aairi.
Ce fut le début d’une guerre qui s’acheva trois siècles plus tard !
* Nous avons trouvé deux orthographes pour ce clan : Aairi et Air