Rose Vermande Mapuhi, 30 ans parmi les artistes


Crédit - Grégory Boissy.
TAHITI, le 21 décembre 2022 - Rose Vermande Mapuhi a ouvert et tenu la galerie des Tropiques pendant 30 ans. Mais c'était sa vie d'avant. Depuis juin, la galeriste a fermé son établissement et démarré de nouvelles aventures. Elle revient sur son parcours avec émotions, mais sans aucun regret.

C’est en 1991 que Rose Vermande Mapuhi a ouvert la galerie des Tropiques. “Cela m’a paru tout à fait naturel, quelque chose en moi me disait de faire ça”, se rappelle-t-elle. En juin 2022, elle a fermé son établissement après une mûre et longue réflexion. Pendant 30 ans, elle a vécu au milieu des artistes polynésiens, mais pas seulement. Elle en garde de précieux souvenirs qu’elle raconte avec émotion.

Rose Vermande Mapuhi est née à Tahiti. Elle ne précise pas son âge, “lorsque l’on a passé un cap, c’est quelque chose que l’on ne dit plus”, s’amuse-t-elle. Elle a grandi ici, est allée à l’école jusqu’en 3e. “Je n’y suis pas restée longtemps finalement, j’avais 14 ans quand je suis entrée dans le monde du travail.” Elle a arrêté non pas faute d’envie mais parce que sa famille ne pouvait pas payer ses études. Elle a trouvé un premier emploi grâce au bouche-à-oreille au magasin La Pétillante de Pirae. Elle mettait les produits en rayon. “J’y suis restée un peu plus d’un an je crois.” Cette période est loin aujourd’hui. Elle ne se rappelle plus si cela lui plaisait. “En réalité, peu importait, il fallait ramener de l’argent à la maison, sans cela c’était café, pain, beurre.”

Elle a eu la possibilité de faire de la danse, ce qui lui a permis de s’évader. Et de voyager ! Au début des années 1970, elle regardait la télévision qui venait d’arriver. “C’était l’ORTF en noir et blanc.” Entre deux émissions passait une sorte de prélude qui pouvait être le passage d’une danseuse classique. “Je l’imitais et ma mère, voyant cela, a cherché une école.” Rose Vermande Mapuhi a suivi les cours de Mireille Figorito et, quand elle a quitté le territoire, d’André Tschan. Elle a aussi évolué dans la troupe Tahiti Nui de Paulette Viénot. “Pendant les shows, quand les grands se changeaient, je montais sur scène.” Elle interprétait des danses tahitiennes, maori, hawaiiennes. Un jour, l’un des bras droits du président américain Richard Nixon, l’a vue et a demandé à sa mère l’autorisation de l’inviter chez lui pour les vacances. Il avait des enfants. “Ma mère a accepté, et c’est comme ça que j’ai pris l’avion pour la première fois et… dansé devant Nixon !

“J’enfourchais aussi les camions, les bulldozers ou les cases”

Elle s’est mariée à l’âge de 16 ans “parce qu’il fallait bien avoir une situation”. Avec son mari, elle a monté une entreprise de construction. Rose Vermande Mapuhi, alors, a “tout fait”. La comptabilité, le secrétariat, mais aussi les chantiers. “Je posais des parpaings, du carrelage, je faisais la charpente.” Petit à petit l’entreprise s’est équipée, elle a acheté des engins et véhicules “que je conduisais de temps en temps. Car le lundi, ce petit dimanche, tous les chauffeurs ne venaient pas. Or nous n’avions qu’une petite équipe”. Rose Vermande Mapuhi se chargeait des livraisons, assurait les commandes, “j’enfourchais aussi les camions, les bulldozers ou les cases”.

La petite entreprise a répondu à des appels d’offres pour se lancer. Le premier concernait un chantier à Raiatea. Elle a construit le premier centre dentaire, le tribunal de Uturoa. De fil en aiguille, des clients se sont manifestés. “On a fait tellement de choses.” Le couple et sa petite équipe livraient des maisons clé en main, s’occupaient des plans, “à force d’en lire, j’ai réussi à en faire", dit Rose Vermande Mapuhi. Ils allaient jusqu’à poser les rayons et choisir la décoration. “J’ai adoré tout ça !” L’aventure a duré une douzaine d’années, “et puis j’ai tout quitté”.


“Il y a un côté très émouvant”

Ce qu’elle a particulièrement apprécié c’est le contact avec les artistes mais aussi, et surtout finalement, celui avec les clients. Elle a noué des liens d’amitié avec certains d’entre eux, “cela m’a toujours fait plaisir de leur faire plaisir, il y a un côté très émouvant”. Entre autres anecdotes, –“mais il y en a eu tant !”– elle revient sur le passage d’une femme d’origine indienne. Celle-ci, entrée avec des gardes du corps, a regardé les toiles un moment avant de jeter son dévolu sur le collier que portait Rose Vermande Mauphi, un collier de perles que la galeriste avait elle-même confectionné. “Il n’était pas à vendre ” Les négociations ont duré deux heures. “J’ai fini par comprendre qu’elle ne repartirait pas sans.” Une autre fois un homme est entré, a acheté une toile puis est revenu quelques minutes plus tard. Sa compagne, qui l’attendait dans la voiture, n’avait pas apprécié son choix. “L’homme en a pris un deuxième.

Tout au long de sa vie de galeriste, Rose Vermande Mapuhi a organisé entre 12 à 15 expositions par an. Elle faisait son choix en fonction de ce qu’elle ressentait, du professionnalisme des uns et des autres, de leur potentiel tout en considérant le goût de ses clients. Ceux qui ne montraient pas un travail suffisamment abouti pouvaient obtenir des conseils. “Être artiste c’est du travail, cela ne s’improvise pas.” Des peintres, sculpteurs et autres artistes ont pu voir leurs œuvres présentées au public. Ils venaient de Polynésie, mais aussi de France, de République tchèque, des États-Unis, de Hawaii, d’Israël, d’Iran. “Cela a été une période très intense, je n’avais peur de rien, j’avais beaucoup d’énergie.”

La crise Covid a été le début d’une réflexion. “Je me suis dit qu’il fallait que je mette de l’ordre dans mes affaires”, explique Rose Vermande Mapuhi. “S’il m’était arrivé quelque chose pendant cette période, mon entourage n’aurait pas pu tout gérer.” À la galerie se trouvaient par exemple des œuvres dont les créateurs étaient décédés et pour lesquelles un nouvel acquéreur s’imposait. “C’est vraiment un très gros travail.” Elle a donc fermé la galerie des Tropiques en juin.


La liberté retrouvée

Depuis, elle n’est pas restée sans rien faire. Elle reste l’agent de certains artistes. “Je continue à faire mon travail autrement, ce ne sont plus les clients qui viennent me voir, c’est moi qui vais à leur rencontre. Parfois même je vais accrocher les toiles chez eux. C’est très différent !” Elle n’a plus d’horaires. Elle bricole, “j’ai refait toute la peinture de la maison”, elle fait des bijoux, de la couture, elle savoure les instants passés dans son jardin. “J’ai retrouvé une certaine liberté, je respire à nouveau.” Elle l’affirme, elle ne s’ennuie jamais. Elle aime la nature. “Je parle à mes plantes vous savez !” Elle écoute les oiseaux, les centaines de vini qui viennent réclamer leur repas. “Tout cela m’apaise, j’ai l’impression de faire partie de cette nature.” Elle aime également “les mystères”, s’intéresse à l’ésotérisme et l’astrologie. Elle fait des recherches dans ces domaines.

Selon Rose Vermande Mapuhi, la vie “doit être vécue”. Quand elle regarde le soleil, reconnaissant l’énergie qu’il offre en permanence, elle se sent “redevable”. Elle est une femme “heureuse” et “comblée” mais pas encore totalement “accomplie” car “j’ai encore tant à apprendre”. De son parcours qui n’a pas été sans obstacle, elle retient sa volonté qu’elle aimerait donner en exemple. “Je m’en suis sortie, tout le monde peut y arriver, mais il ne faut jamais rien lâcher. Quand on tombe, ce qui ne manque jamais d’arriver, il faut toujours se relever.” Elle conclut : “sans combat, il n’y a rien, la vie, c’est un peu comme la pluie et le beau temps”.


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 21 Décembre 2022 à 19:15 | Lu 4223 fois