Ronny Teriipaia - “Fournir à l’élève le patrimoine nécessaire à la construction de son identité”


Éducation - Le ministre de l’Éducation, Ronny Teriipaia, était dans les locaux de Tahiti Infos, jeudi matin, entre une vidéoconférence et un conseil des ministres extraordinaire. Avec nous, il s’arrête sur les projets que son ministère souhaite piloter les prochaines années.

 
Le bilinguisme est un thème fort de votre mandature. Comment cela va-t-il s’articuler ?
“Il y a déjà des choses qui sont faites. Nous avons mis en place un cahier des charges pour outiller les enseignants qui sont en insécurité linguistique afin de les aider pour pouvoir enseigner à leur rythme et selon leurs compétences. Nous savons qu’il y a dans certaines matières des notions compliquées, notamment en mathématique, où les mots n’existent pas en reo tahiti. Il y a un travail en amont, notamment en termes de lexique, pour leur permettre de transmettre des savoirs dans la langue de leur pays. À ce titre, il y a des habilitations qui sont passées par les professeurs. Pour l’instant, nous n’avons pas beaucoup de candidats, mais cela se prépare…”
 
Au collège, vous parlez bien de la mise en place de classe d’enseignement en reo tahiti, pas de mettre tout le programme…
“C’est bien cela. C’est d’ouvrir des classes inclusives. Il ne s’agit pas d’une généralisation qui peut faire peur au gens. Au collège, monter une classe bilingue est facile. On peut orienter, flécher les postes et les professeurs qui maîtrisent la langue dans toutes les disciplines. Dans le premier degré, c’est différent. 98% du personnel est local.”
 
En parallèle, il y a la réforme de l’éducation, conduite par votre prédécesseure, que vous reprenez aujourd’hui. Où en sont les travaux ?
“C’est une réforme qui a déjà été conduite dans l’Hexagone. Madame Lehartel a voulu la mettre en place, mais cela a été fait dans la précipitation. Je veux consulter l’ensemble de la communauté éducative. Les parents, les enseignants, les communes et les sociétés de transport. Il faut créer un écosystème favorable à ce nouveau dispositif. Consulter juste les représentants des parents d’élèves, ce n’est pas suffisant. Ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble des parents. L’application se fera à la rentrée 2024. Les emplois du temps sont différents selon les communes aussi et il va falloir adapter. Uniformiser ne sera pas possible. Il faut adapter en fonction des communes, mais aussi des niveaux. Primaires, collèges, lycées. Les horaires du second degré ne changent pas, et souvent, pour les transports dans les communes, c’est le même bus qui fait le ramassage scolaire, donc il faudra aussi que le transporteur donne son avis. Il y aura une communication à partir de janvier, pour un vote de l’ensemble des parents et des enseignants mi-mars 2024. Nous proposerons différents modèles d’emplois du temps. À eux de choisir. Sur certains modèles sur les cinq proposés, cela impliquera de grands changements. À partir de ces avis, nous prendrons nos décisions.”
 
Un point sur la violence dans les établissements. De nombreux actes sont recensés, notamment à Paea ces derniers temps. Comment appréhendez-vous les choses ?
“C’est un ensemble de choses. Il y a l’influence catastrophique des réseaux sociaux. Il faut rappeler le rôle des parents dans leurs consultations d’internet. Il faut une utilisation raisonnée des médias dont on dispose. Ça, c’est au programme de l’école. Après, il faut que les parents prennent le relais. Nous avons un projet de séminaire sur les violences avec tous les partenaires qui ont un rôle à jouer. Mais c’est aussi un problème de fond. Pendant plusieurs années, ce pays, notamment au travers de ses personnalités politiques, n’a pas donné l’exemple. Il y a eu le clientélisme, la corruption. Forcément, les jeunes ont besoin d’un modèle. Si le modèle fait n’importe quoi, le jeune n’a pas envie de suivre, n’a pas envie de respecter. Le rôle des confessions religieuses s’est aussi amoindri au fil du temps. Les valeurs véhiculées ne sont plus aussi prégnantes dans la vie quotidienne. Les parents ne diffusent plus ces valeurs. Il y a une démission des parents. Beaucoup sont très jeunes, et ce sont les grands-parents qui s’en occupent.”
 
Vous nous dites que les enfants ont besoin d’exemplarité de la part des élus et des confessions religieuses, dans une école qui doit prôner les valeurs… Oscar Temaru et le pasteur Tapati sont-ils exemplaires quand ils parent d’“invasion” des Métropolitains et de “blanchissement” de la société ? Des propos ouvertement racistes.
“Ce n’est pas du racisme… C’est la réalité. On parle d’invasion quand la population autochtone n’est plus visible sur son territoire. Le problème, c’est de ne plus pouvoir maîtriser son destin, notamment en matière de foncier. Si on laisse tout ce monde venir ici, où les Polynésiens vont aller s’installer ? Ce n’est pas du racisme, c’est légitime. En France, on dit bien qu’il y a l’invasion de toutes ces communautés arabes. C’est exactement pareil.”
 
Ce sont les propos des partis d’extrême droite qui hurlent au grand remplacement...
“Il ne faut pas stigmatiser. À chaque fois que l’on parle d’invasion, on dit que c’est du racisme. Non, on se protège.” Son conseiller intervient : “Le discours a le mérite d’être transparent. On dit que certains partis politiques utilisent ces termes-là dans l’Hexagone. Oui, au grand jour. Mais d’autres membres d’autres partis politiques qui se disent républicains tiennent des propos similaires. Manuel Valls et ses ‘blancos’, par exemple. Il y a un ressenti qui est fort et beaucoup voient la bascule avec l’arrivée de French bee.”
 
Vous confondez ‘ressenti’ et mesures scientifiquement fiables. Les derniers relevés de l’ISPF démontrent un flux migratoire négatif avec plus de départs de Polynésie que d’arrivées…
Le conseiller du ministre : “Si on compare cela avec le CEP, effectivement. Mais là, c’est le ressenti. Il y a les faits, mais aussi le ressenti.” Le ministre reprend la parole : “C’est légitime comme ressenti. Qu’on soit en France ou dans n’importe quel autre pays, on a ce ressenti.” Une conseillère technique prend la parole : “Il y a des stagiaires et des étudiants de métropole qui savent qu’il y a des bourses majorées en Polynésie et qui s’inscrivent pour venir ici.”
 
Revenons-en aux projets. À l’approche du vote du budget, quels sont ceux que vous aimeriez développer ?
“Nous voulons mettre en place un projet qui réponde aux besoins prioritaires, notamment sur la sécurité. Nous avons mis en place un plan Marshall pour la rénovation de plusieurs établissements. Ils ont des problèmes de vétusté. Il y a des fuites de partout, des poutres qui peuvent céder. Il faut que les élèves soient en sécurité. Il y a des établissements qui ont du mal à avoir de l’eau. C’est un plan quadriennal de 2,9 milliards de francs pour la rénovation des établissements et des internats. Il faut aussi améliorer les conditions d’apprentissage car le système éducatif polynésien n’est pas adapté aux besoins des élèves. On veut réfléchir à complétement réformer le système pour leur offrir des formations professionnalisantes, en fonction des besoins du pays. Il y a aura une revalorisation des CJA. Il faut aussi que les élèves se sentent bien dans leur culture. La culture, ce n’est pas que le Heiva Taure’a et deux autres petites manifestations. C’est bien plus que cela. Il faut fournir à l’élève le patrimoine nécessaire à la construction de son identité.”
 
Le lycée de Moorea est-il abandonné ?
“Il n’est pas abandonné, il est toujours en cours d’examen. Rien n’est décidé, il faut que l’on en rediscute. Ce que je peux dire, c’est que la question de la sécurité n’est pas au rendez-vous. C’est un projet sur plusieurs hectares, sur plusieurs plateaux. Quand on voit que les lycéens peuvent en sortir comme ils veulent, ce n’est pas sérieux.”
 
Mais le projet n’est quand même pas en stand-by à cause d’une clôture manquante sur le papier ?
“La sécurité est importante. C’est le b.a.-ba. Je n’ai pas envie de m’engager dans un projet qui n’assure pas la sécurité des élèves. Il y a le PPMS (plan particulier de mise en sûreté, NDLR) à respecter. Il y a un volet ‘intrusion’ et là, on n’y est pas.”
 
Les lycéens de Moorea ont l’espoir de ne plus avoir à prendre le bus, puis le bateau, pour aller à Papeete...
“On a une solution alternative, à moindre coût, dans des bâtiments existants. Le projet sera soumis au conseil des ministres. Là, on tranchera. Est-ce qu’on continue sur le projet actuel ou pas ? En la matière, nous avons des réserves en termes de sécurité et de coûts, presque 8 milliards de francs. On va frôler les 10 milliards à la remise des clés. Et nous ne parlons là que du coût de construction. Le budget de fonctionnement n’a pas été chiffré. Pas plus que celui de l’entretien des bâtiments. Si nous faisons ça sur le budget du ministère, cela nous prive de fonds pour faire les rénovations des autres établissements. Nous proposons d’utiliser l’existant pour le début du lycée. Après, pour la première et la terminale, où ce sont des options spécifiques, ils seront obligés de venir sur Tahiti. Enfin, sur Moorea, comme un peu partout, il y a de moins en moins d’élèves. Nous sommes obligés de fermer des classes dans le primaire puisqu’il y a un déclin démographique. On a 400 élèves en moins chaque année. Les lycées pourraient être surdimensionnés prochainement. Donc il faut bien réfléchir à l’investissement.”
 
Vous avez enfin un projet concernant l’école inclusive…
“Oui. Nous aimerions développer les AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap, NDLR). C’est important qu’on puisse créer des postes pour les besoins de ces enfants. Il y aura la création de dix postes cette année, dix l’année prochaine et dix autres l’année d’après. On encouragera aussi les communes à développer les AVS (auxiliaires de vie scolaire, NDLR). On pourra même participer à leur formation et accompagner les tāvana aux recrutements.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Jeudi 2 Novembre 2023 à 18:19 | Lu 3521 fois