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Robert Matuanui Danielsson, unique Polynésien à la cour


PAPEETE, le 17 octobre 2016 - Le magistrat a pris ses fonctions au tribunal de Papeete en septembre dernier. Il est le premier polynésien à être en poste à Tahiti.

Le magistrat n'aime pas beaucoup parler de lui. Arrivé en septembre dernier, ses premiers pas dans la juridiction polynésienne sont presque passés inaperçus. Et pourtant. Robert Matuanui Danielsson n'est pas un magistrat comme les autres. Il est le premier polynésien à devenir vice-procureur au parquet de Papeete. "J'avais envie de revenir ici, à Tahiti. C'est là où sont mes attaches, où j'ai de la famille", résume en quelques mots le magistrat. Robert Matuanui Danielsson pèse les mots qu'il s'apprête à employer. Après quelques secondes de réflexion, il ajoute : "En fait, j'ai demandé à revenir ici parce que j'estimais avoir l'expérience nécessaire pour le faire. Je pensais que c'était le bon moment. Je souhaitais revenir avec une certaine assise professionnelle…" Cette assise, Robert Matuanui l'a acquis au fil des années et de ses expériences.

"TOTALEMENT AU HASARD"

Sa première rencontre avec le droit remonte au milieu des années 1980. "Totalement au hasard, pour une question familiale, j'ai acheté le code civil. J'ai commencé à le parcourir et ça m'a passionné…", confie le quinquagénaire. Dans la foulée, Robert Matuanui s'inscrit à des cours de droit, dispensés à l'époque à Pirae, dans une antenne de l'université de Bordeaux. L'étudiant rencontre les magistrats en exercice à Papeete. "C'était des gens très motivants. Quand ils ont vu mon enthousiasme pendant les cours, ils m'ont incité à continuer mes études, à devenir magistrat." Une vocation est née.

Après une licence et une maîtrise à l'université du Pacifique, le paumotu prend la direction de la métropole. Robert Matuanui débarque à Poitiers. Sans famille, sans amis et dans le froid, il a avancé un code pénal à la main. "C'est sans doute parce que j'ai été adopté par un couple de Suédois, que j'ai vécu à Stockholm, étudié en Nouvelle-Zélande que je n'ai pas eu peur de partir… Même si on me disait que je n'aurais aucune chance de revenir ici…" Dans cette ville de l'ouest de la France, il passe un DEA de droit pénal et sciences criminelles. Pendant son doctorat, il revient quelques mois au fenua en tant qu'ATER (attaché temporaire d'enseignement et de recherche). Il prépare cette même année le concours de la magistrature.

LA PASSION DES ASSISES

Après une première tentative ratée en 2002, le magistrat réussit son concours de la magistrature. Il devient substitut placé auprès du procureur général de la cour d'appel de Poitiers. "J'étais appelé en renfort dans les différentes juridictions quand quelqu'un était malade par exemple. Cette expérience a été très formatrice car il faut être très réactif. Ce sont des conditions de travail qui sont près de l'urgence", détaille l'homme de loi. Trois ans plus tard, il intègre le tribunal de grande instance de Poitiers et obtient son propre cabinet. Puis, le Polynésien part plus au sud. Il entre au palais de justice de Bordeaux et devient vice-procureur placé.

"Une nouvelle fois, cette expérience a été très enrichissante, car j'ai travaillé sur 11 juridictions. De plus, j'ai fait pas mal d'assises. J'ai trouvé que ces procès étaient passionnants. Ce qui m'a le plus plu est de faire œuvre de justice en compagnie des citoyens." Après dix ans dans les différentes juridictions, la magistrat entre dans l'administration centrale et occupe un poste administratif. Il prend de la distance avec le cœur du métier et acquiert une expérience dans le domaine managériale. "Je suis resté trois ans, mais j'avais envie de renouer avec le cœur de mon métier. C'est pour cette raison que j'ai émis le souhait de devenir vice-procureur au tribunal de Papeete." Avec l'expérience et les années passées, l'enfant du pays se sent "légitime" pour revenir sur sa terre natale. "J'ai la maturité professionnelle, l'expérience professionnelle qui me permettent de pouvoir garder la bonne parole, de prendre la distance nécessaire dans les affaires où ici, je pourrais me sentir plus concerné qu'en métropole par exemple. Le monde est petit, tout le monde se connaît."

Le premier magistrat polynésien en exercice dans son pays reste humble et droit. Cette nomination n'est qu'un premier aboutissement pour lui. Désormais, tout reste à faire. Sa mission commence juste. "Ici, il y a beaucoup de choses à faire. Avec Papeari et Nuutania par exemple, il y a toute une gestion de moyens à organiser, moyens judiciaires et juridiques, il y a tout cela à mettre en place. Il va falloir trouver des chantiers de réinsertion pour les prévenus… Il y a beaucoup de pistes à explorer."

Robert Matuanui rouvre le code pénal posé sur son bureau avant de se retourner vers son ordinateur. Les précieuses minutes de son temps libre sont écoulées, l'heure est au travail désormais. Dans un léger sourire, le magistrat souffle, soulagé : "Enfin, c'est la dernière interview. Je n'aurais plus à parler de moi…"

"Il faut aller jusqu'au bout de ses rêves"

Son ambition de devenir magistrat est née d'un rêve de gosse. Robert Matuanui Danielsson espère voir d'autres polynésiens plaider au tribunal de Papeete. "C'était un rêve bien sûr, puis un objectif sérieux. Il faut toujours aller jusqu'au bout de ses rêves. Ici, ce n'est pas le potentiel qui manque; Mais bien sûr, si on ne réussit pas la première fois, il faut recommencer. Pour ma part aussi, il y a des jours où j'ai baissé les bras mais il faut surmonter ces épreuves. On peut être fiu mais il ne faut rien lâcher! Il faut se ressaisir! Pour devenir magistrat, il faut de la détermination et un réel engagement. Il faut continuer après ses études même si ce n'est pas évident d'aller en métropole… En tout cas, être Polynésien ce n'est ni un avantage, ni un obstacle. Le conseil supérieur de la magistrature étudie l'ensemble des dossiers."

Ernest Salmon, premier magistrat polynésien

Poète, écrivain mais aussi… magistrat. Ernest Salmon (1888-1961) est plus souvent connu pour ces ouvrages littéraires, telle que l'île parfumée qui été republiée en 2013. Il a aussi été magistrat mais a uniquement exercé en métropole.

Rédigé par Amelie David le Lundi 17 Octobre 2016 à 18:07 | Lu 5036 fois