
Depuis quelques années, de nombreux contentieux administratifs sont déposés par l'acconier Cowan & Fils contre le Port autonome de Papeete. Crédit photo : Archives TI.
Tahiti, le 19 mars 2025 - Bras de fer sous tension sur les quais de Papeete. Depuis plusieurs années, la société d’acconage Cowan & Fils et le Port autonome de Papeete s’affrontent sur le terrain judiciaire. Au cœur du dernier contentieux : le refus du Port autonome de prolonger une autorisation essentielle à l’activité de l’entreprise. Alors que le tribunal administratif doit rendre sa décision le 15 avril, ce différend soulève des enjeux majeurs pour l’exploitation portuaire et la concurrence entre les acconiers.
Depuis des années, la société d’acconage J.A. Cowan & Fils et le Port autonome de Papeete (PAP) s’affrontent sur le terrain judiciaire, loin des docks. Au cœur du dernier épisode de cette bataille de tranchées, examiné ce mardi par le tribunal administratif de Papeete : le refus du Port autonome de prolonger l’autorisation d’outillage privé avec obligation de service public (AOP-OSP) de Cowan. Derrière cette convention administrative, qui permet à une entreprise privée d’exploiter des infrastructures sur le domaine public portuaire sous contrainte d’un service public, se cache, en filigrane, un bras de fer bien plus vaste, entre un acteur privé et une administration publique gérant l’une des infrastructures les plus stratégiques et essentielles du territoire.
Une querelle de longue date
Pour comprendre l’ampleur du contentieux, il faut remonter à avril 2023, moment où Cowan & Fils, acteur clé de la manutention portuaire polynésienne avec 43 % de part de marché (chiffres de 2022), sollicite une prolongation de sept ans de sa convention d’occupation, qui court jusqu’en 2027. L’objectif affiché : sécuriser ses investissements et rassurer ses créanciers. L’entreprise a en effet engagé 800 millions de francs dans l’achat d’une grue Liebherr 550 adaptée aux nouveaux gabarits de navires. Un investissement stratégique, lié à un contrat avec la compagnie maritime CMA-CGM, qui demandait une grue spécifique pour traiter l’accroissement de la largeur de ses navires.
Mais le conseil d’administration du Port autonome oppose une fin de non-recevoir. “Cowan expliquait acheter une nouvelle grue pour en remplacer une existante. Finalement, ils l’ont réparée pour pouvoir utiliser trois grues. Or, nous avons fixé une limite de deux grues par acconier, comme l’acceptent Sat Nui et Cotada (les deux autres acconiers présents au PAP). Sachant que s'il y a une surcharge, ils peuvent se louer des grues entre eux, comme c'est prévu dans les contrats”, argumente Jean-Paul Le Caill, directeur du Port autonome de Papeete, contacté par Tahiti Infos. L’Autorité portuaire autorisera d'ailleurs, en janvier 2025, Sat Nui à utiliser un engin similaire, sous condition de respecter la limite de deux grues. "Nous avions clairement notifié au port notre intention d’acquérir cette grue, sans qu’aucune objection ne soit soulevée à l’époque. Pourtant, une fois l’achat réalisé, son utilisation nous a été refusée, au motif que nous n’avions pas formulé une demande officielle en bonne et due forme", explique Quito Brown-Ortega, PDG de Cowan & Fils.
Saisi, le tribunal administratif tranche en faveur de Cowan en avril 2024, annulant le refus du Port autonome et sommant ce dernier d'accorder l'utilisation de cette grue. “La grue a été immobilisée quatorze mois”, déplore Quito Brown-Ortega. Mais le Port autonome se pourvoit en appel, maintenant la pression sur l’entreprise. La cour administrative d’appel devra statuer en fin d’année.
Depuis des années, la société d’acconage J.A. Cowan & Fils et le Port autonome de Papeete (PAP) s’affrontent sur le terrain judiciaire, loin des docks. Au cœur du dernier épisode de cette bataille de tranchées, examiné ce mardi par le tribunal administratif de Papeete : le refus du Port autonome de prolonger l’autorisation d’outillage privé avec obligation de service public (AOP-OSP) de Cowan. Derrière cette convention administrative, qui permet à une entreprise privée d’exploiter des infrastructures sur le domaine public portuaire sous contrainte d’un service public, se cache, en filigrane, un bras de fer bien plus vaste, entre un acteur privé et une administration publique gérant l’une des infrastructures les plus stratégiques et essentielles du territoire.
Une querelle de longue date
Pour comprendre l’ampleur du contentieux, il faut remonter à avril 2023, moment où Cowan & Fils, acteur clé de la manutention portuaire polynésienne avec 43 % de part de marché (chiffres de 2022), sollicite une prolongation de sept ans de sa convention d’occupation, qui court jusqu’en 2027. L’objectif affiché : sécuriser ses investissements et rassurer ses créanciers. L’entreprise a en effet engagé 800 millions de francs dans l’achat d’une grue Liebherr 550 adaptée aux nouveaux gabarits de navires. Un investissement stratégique, lié à un contrat avec la compagnie maritime CMA-CGM, qui demandait une grue spécifique pour traiter l’accroissement de la largeur de ses navires.
Mais le conseil d’administration du Port autonome oppose une fin de non-recevoir. “Cowan expliquait acheter une nouvelle grue pour en remplacer une existante. Finalement, ils l’ont réparée pour pouvoir utiliser trois grues. Or, nous avons fixé une limite de deux grues par acconier, comme l’acceptent Sat Nui et Cotada (les deux autres acconiers présents au PAP). Sachant que s'il y a une surcharge, ils peuvent se louer des grues entre eux, comme c'est prévu dans les contrats”, argumente Jean-Paul Le Caill, directeur du Port autonome de Papeete, contacté par Tahiti Infos. L’Autorité portuaire autorisera d'ailleurs, en janvier 2025, Sat Nui à utiliser un engin similaire, sous condition de respecter la limite de deux grues. "Nous avions clairement notifié au port notre intention d’acquérir cette grue, sans qu’aucune objection ne soit soulevée à l’époque. Pourtant, une fois l’achat réalisé, son utilisation nous a été refusée, au motif que nous n’avions pas formulé une demande officielle en bonne et due forme", explique Quito Brown-Ortega, PDG de Cowan & Fils.
Saisi, le tribunal administratif tranche en faveur de Cowan en avril 2024, annulant le refus du Port autonome et sommant ce dernier d'accorder l'utilisation de cette grue. “La grue a été immobilisée quatorze mois”, déplore Quito Brown-Ortega. Mais le Port autonome se pourvoit en appel, maintenant la pression sur l’entreprise. La cour administrative d’appel devra statuer en fin d’année.

“On veut respecter les contrats", insiste Jean-Paul Le Caill, à propos du refus de prolongement de l’AOP-OSP de Cowan & Fils. Crédit photo : Thibault Segalard.
Multiple fronts
Quelques mois plus tard, un autre volet du litige éclate. Cette fois, il porte donc sur le refus du Port autonome d’accorder la prolongation de l’AOP-OSP de Cowan. L’argument avancé par l’Autorité portuaire ? L’application stricte des règles de concurrence. “On veut respecter les contrats. La Chambre territoriale des comptes (CTC) nous rappelle que les conventions doivent être remises en concurrence et non reconduites tacitement”, insiste Jean-Paul Le Caill.
De son côté, Cowan dénonce une lecture biaisée du droit applicable et une posture purement arbitraire. “C’est un refus de principe qui entrave le fonctionnement de Cowan et, in fine, l'accomplissement de son obligation de service public à l'égard de la population”, martèle Me Algan, avocat de l’entreprise. La suspicion d’un règlement de comptes déguisé en rigorisme contractuel plane sur le port.
Lors de l’audience de ce mardi, le rapporteur public se range derrière le PAP : la décision de non-prolongation ne constitue pas une rupture unilatérale du contrat mais simplement son exécution. La convention prévoyait une durée de vingt ans, sans garantie de renouvellement. Le port est donc fondé à refuser la demande de Cowan. Le tribunal rendra sa décision le 15 avril.
Un enjeu stratégique
Si le raisonnement juridique est solide, le questionnement économique et politique de l’affaire apporte une nuance au dossier. Le Port autonome cherche-t-il à redistribuer les cartes entre les acconiers ? S’agit-il d’un rééquilibrage du marché au profit d’autres opérateurs ? D’une volonté de reprise en main plus large sur la gestion des infrastructures portuaires ?
Dans les rangs de Cowan, on redoute une stratégie de mise à l'écart. Le refus du PAP crée une incertitude financière qui fragilise l’entreprise, empêchée d’amortir son investissement sur le long terme. Pire, ce blocage administratif l’a privée d’un soutien fiscal crucial : “La défiscalisation aurait couvert environ 230 millions de francs sur les 800 millions investis”, précise Quito Brown-Ortega. Un avantage perdu à cause de l’absence de garantie de la part du port. “Nous allons saisir l’Autorité polynésienne de la concurrence pour dénoncer un déséquilibre de fait entre les acconiers”, prévient le PDG de Cowan.
L’issue de cette affaire dépasse le simple cadre juridique : elle conditionne la viabilité des acteurs portuaires privés et, à travers eux, l’efficacité du fret maritime polynésien. D’autant plus qu’un courrier adressé à Cowan la semaine dernière par les importateurs, notamment la Fédération générale du commerce (FGC) et le Syndicat des industriels de la Polynésie française (Sipof), déplore un allongement des délais d’évacuation des conteneurs depuis le hangar de l’entreprise. La décision du tribunal administratif attendue le 15 avril sera scrutée de près. Mais en attendant, sur les quais de Papeete, le bras de fer continue.
Quelques mois plus tard, un autre volet du litige éclate. Cette fois, il porte donc sur le refus du Port autonome d’accorder la prolongation de l’AOP-OSP de Cowan. L’argument avancé par l’Autorité portuaire ? L’application stricte des règles de concurrence. “On veut respecter les contrats. La Chambre territoriale des comptes (CTC) nous rappelle que les conventions doivent être remises en concurrence et non reconduites tacitement”, insiste Jean-Paul Le Caill.
De son côté, Cowan dénonce une lecture biaisée du droit applicable et une posture purement arbitraire. “C’est un refus de principe qui entrave le fonctionnement de Cowan et, in fine, l'accomplissement de son obligation de service public à l'égard de la population”, martèle Me Algan, avocat de l’entreprise. La suspicion d’un règlement de comptes déguisé en rigorisme contractuel plane sur le port.
Lors de l’audience de ce mardi, le rapporteur public se range derrière le PAP : la décision de non-prolongation ne constitue pas une rupture unilatérale du contrat mais simplement son exécution. La convention prévoyait une durée de vingt ans, sans garantie de renouvellement. Le port est donc fondé à refuser la demande de Cowan. Le tribunal rendra sa décision le 15 avril.
Un enjeu stratégique
Si le raisonnement juridique est solide, le questionnement économique et politique de l’affaire apporte une nuance au dossier. Le Port autonome cherche-t-il à redistribuer les cartes entre les acconiers ? S’agit-il d’un rééquilibrage du marché au profit d’autres opérateurs ? D’une volonté de reprise en main plus large sur la gestion des infrastructures portuaires ?
Dans les rangs de Cowan, on redoute une stratégie de mise à l'écart. Le refus du PAP crée une incertitude financière qui fragilise l’entreprise, empêchée d’amortir son investissement sur le long terme. Pire, ce blocage administratif l’a privée d’un soutien fiscal crucial : “La défiscalisation aurait couvert environ 230 millions de francs sur les 800 millions investis”, précise Quito Brown-Ortega. Un avantage perdu à cause de l’absence de garantie de la part du port. “Nous allons saisir l’Autorité polynésienne de la concurrence pour dénoncer un déséquilibre de fait entre les acconiers”, prévient le PDG de Cowan.
L’issue de cette affaire dépasse le simple cadre juridique : elle conditionne la viabilité des acteurs portuaires privés et, à travers eux, l’efficacité du fret maritime polynésien. D’autant plus qu’un courrier adressé à Cowan la semaine dernière par les importateurs, notamment la Fédération générale du commerce (FGC) et le Syndicat des industriels de la Polynésie française (Sipof), déplore un allongement des délais d’évacuation des conteneurs depuis le hangar de l’entreprise. La décision du tribunal administratif attendue le 15 avril sera scrutée de près. Mais en attendant, sur les quais de Papeete, le bras de fer continue.