Retraites : les raisons et le contenu de la réforme du système polynésien


PAPEETE, 16 février 2018 - La réforme paramétrique du système de retraite par répartition polynésien devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2019.

>> Lire la mise à jour publiée le 21 septembre 2018 : La réforme des retraites adoptée avec une large majorité

"J'attire votre attention sur le caractère d'urgence de ce dossier que je vous saurais gré, en conséquence, de bien vouloir inscrire à l'ordre du jour prioritaire des travaux de l'Assemblée de la Polynésie française", insiste le courrier adressé le 13 février par Edouard Fritch au président de la troisième institution polynésienne. Attaché : le rapport de présentation et le détail du projet de loi portant diverses dispositions relatives à l’assurance vieillesse.

La réforme du système de retraites par répartition polynésien sera examinée par les élus de Tarahoi, durant la session extraordinaire en cours jusqu’au 15 mars prochain. Et probablement le 1er mars prochain. Cette réforme des retraites sera selon toute vraisemblance adoptée, compte tenu des 33 élus sur 57 que compte dans l'hémicycle le groupe de la majorité présidentielle.

Après une première tentative de réforme, retoquée par le Conseil d'Etat en 2012, celle qu'envisage le gouvernement Fritch devrait entrer en application dès le 1er janvier 2019 après s'être affranchi des inévitables recours en annulation qui seront déposés devant la haute cour de l'ordre administratif.

Pyramide des âges des Polynésiens ayant cotisé au moins une fois au régime de la tranche A.
Historiquement, le principe d’une assurance vieillesse a été institué en 1967, en Polynésie française. Il s’agissait à l’origine d’un système mutualiste par points. Il a été transformé en 1987 en système par répartition, avec annuités, et sur le principe de la solidarité intergénérationnelle. Le minimum vieillesse a été instauré en 1982. Il faudra ensuite attendre 1995 pour que soit mise en place de la retraite tranche B.

Parallèlement, en 1979, fut créé le régime de protection sociale en milieu rural (RPSMR) qui prévoyait une affiliation contributive de ses ressortissants au régime de retraite du régime des salariés. Ce régime est en voie d'extinction, n'étant plus productif de droits.

En 2016, la couverture pour l'ensemble du risque vieillesse concernait un peu plus de 40 000 Polynésiens pour un coût total de 45 milliards Fcfp.

Le financement de l’assurance vieillesse est fondé sur le principe de la solidarité intergénérationnelle. Les moyens nécessaires au paiement des pensions versées aux retraités sont tirés des cotisations prélevées sur le revenu des travailleurs salariés. Ce prélèvement est aujourd’hui équivalent à 20,34 % du salaire brut, plafonné à 257 000 Fcfp (tranche A). Il est acquitté pour les deux tiers par l’employeur, le tiers restant étant à la charge du salarié.

Mais ce système instauré à la fin des années soixante se trouve aujourd’hui mis en danger par les bouleversements démographiques et économiques qui ont transformé la Polynésie française depuis. C’est pour faire face à la dégradation financière induite par ces changements qu’une réforme du système d’assurance vieillesse est devenue inévitable.

Evolution du ratio démographique actifs/retraités.
L'allongement de l'espérance de vie est un bienfait pour la collectivité. Pour la caisse de retraite, cette réalité est synonyme de charges financières supplémentaires. L'espérance de vie est aujourd’hui de 74,4 ans pour les hommes et 78,1 pour les femmes au fenua. Elle était de 67 ans pour les hommes et 72 ans pour les femmes en 1995 et a augmenté de 17,4 ans depuis 1968. Statistiquement, on estime qu’elle progressera d’un trimestre par an au cours des 10 prochaines années.
La baisse constante du taux de natalité ensuite. Ce phénomène de vieillissement de la population est constant dans la collectivité depuis le milieu des années 80. "En 1977, la dépendance des seniors était encore faible, avec 20 personnes en âge de travailler pour un individu de plus de 65 ans", note l’Institut polynésienne de la statistique dans une étude démographique publiée en 2017. L’année dernière, ce rapport était de 3 pour un. Et il ne suffit pas d’être en âge de travailler, pour avoir un emploi salarié. En 2012, le taux de chômage était mesuré à 21,8 % après avoir doublé en 5 ans. La Polynésie a basculé dans la crise dès 2000, après le retrait des activités du Centre d'expérimentation du Pacifique. Le phénomène économique a été amplifié par l’instabilité politique qu’a connue le Pays de 2004 à 2011. Et il s’est trouvé aggravé par la crise mondiale de 2008.
Le rapport actifs/retraités qui était supérieur à 10 en 1968 avait déjà chuté à 5,61 en 1995. Il était de 1,95 en 2017. On estime qu'il sera de 1,1 en 2025.

Du point de vue financier, si le système fonctionnait à peu près à l’équilibre jusqu’alors, c’est en 2009 que la caisse de retraite est passée dans le rouge.

De 2009 à 2017, le déficit cumulé de ce système par répartition enregistre 33,5 milliards Fcfp. En 2018, ce déficit devrait être de 2,9 milliards Fcfp. En fin d'année, la caisse de retraite aura dû débourser sur les 12 mois, pour le seul régime des salariés (tranches A et B), 41,6 milliards Fcfp de pensions de retraite. Cela aura concerné 31 740 pensionnés en tranche A, parmi lesquels 12 231 sont également ressortissants de la retraite en tranche B.
En fin d'année surtout, en l’espace de neuf ans la caisse de retraire aura enregistré un déficit cumulé de 36,5 milliards de francs.

C’est pour endiguer cette hémorragie financière que la réforme paramétrique du système de retraite est proposée en urgence aujourd’hui. Elle a pour ambition de repousser "de 10 ans" l'horizon de viabilité du régime, a estimé optimiste Jacques Raynal. Les prochains ajustements paramétriques seront décidés par le conseil des ministres après avis du Comité d'orientation et de suivi des retraites (COSR). Et tout laisse croire qu'il y en aura nécessairement.

Evolution du résultat technique de la caisse de retraite "tranche A" du Régime général des salariés (en millions Fcfp).

Le détail de la réforme des retraites

Le projet de réforme du système de retraites planifie un allongement progressif de la durée de contribution des salariés entre 2019 et 2021.

Calcul de la pension : la réforme prévoit l'élargissement de la durée de prise en compte du salaire moyen, pour le calcul des mensualités de la pension de retraite. Le taux de remplacement par rapport au revenu de référence demeure à 70 %. Mais celui-ci sera calculé sur la base du revenu mensuel moyen des 15 meilleures années sur les 20 dernières, alors qu’il est pour l'instant calculé sur une base de référence des 10 meilleures années sur les 15 dernières. Cette disposition sera mise en œuvre par voie d'arrêté en conseil des ministres, dès le 1er janvier 2019, après avis du COSR.

Durée de contribution : la durée d’activité pour obtenir une retraite à taux plein est aujourd’hui de 35 ans. Elle sera portée à 36 ans au 1er janvier 2019, 37 ans en 2020 et 38 ans en 2021.

L’âge légal : Le projet de loi du Pays prévoit que l'âge «légal» à partir duquel on peut liquider ses droits à la retraite sans abattement (aujourd’hui de 60 ans) sera porté à 61 ans au 1er janvier 2020 et 62 ans en 2021.

Retraite par anticipation : l'âge à partir duquel le droit à pension de retraite par anticipation est ouvert est fixé à 57 ans au 1er janvier 2019 (contre 55 ans aujourd’hui).

Renforcement des pénalités d’anticipation : Si un travailleur prend sa retraite avant d’avoir atteint l’âge légal, un taux d’abattement de 1,5% de ce qu’aurait été sa pension à taux plein sera appliqué par trimestre d’anticipation. De même, si la retraite est prise avant d’avoir atteint la durée légale de contribution, un taux d’abattement de 0,5 % par trimestre manquant sera appliqué. Ces deux dispositions remplacent le taux unique de 2 % par trimestre manquant (8 % par an) actuellement applicable lors d’une retraite prise par anticipation à l'âge légal.

Age "suffisant" : l'assuré qui atteint l’âge de 65 ans sans justifier de la durée de cotisation prévue par la loi, peut bénéficier d'une pension de retraite sans abattement, mais proportionnelle au nombre d'années cotisées.

Pension de réversion : La pension de réversion est aujourd’hui accordée au conjoint, dès le décès de l'assuré, à la condition que ce dernier ait atteint de son vivant l’âge minimal de 55 ans. Le projet de réforme prévoit de repousser cet âge minimal de décès à 57 ans. Pour le conjoint survivant, un âge d'ouverture du droit est fixé à 55 ans. Le taux actuel de 66 % est maintenu. Une allocation compensatrice ("l’allocation veuvage") est mise en place au bénéfice du conjoint survivant jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 55 ans et l’éligibilité au droit à pension de réversion.
Les bénéficiaires d’une pension de réversion sont aujourd’hui au nombre de 5 167 ressortissants, en Polynésie française, pour un montant total annuel de 3,96 milliards Fcfp.

Complément de solidarité retraite : l’allongement à 20 ans de la période d’activité pour le calcul du salaire de référence tend notamment à réduire de 2883 Fcfp la pension mensuelle versée aux plus bas salaires, compte tenu de l’augmentation du Smig 100000 Fcfp à 150000 Fcfp en 2004.Une bonification est donc prévue par le projet de réforme pour compenser cette perte. Cette prestation a été évaluée à environ 16 millions Fcfp en 2019 pour atteindre 167 millions Fcfp en 2023.

Dans la fonction publique aussi

La limite d'âge pour les fonctionnaires, fixée aujourd’hui à 60 ans, sera reculée à 62 ans, voire 65 ans par dérogation. Une consultation du Conseil supérieur de la fonction publique a été réalisée le 30 janvier 2018. Ce dernier a rendu un avis portant l'âge de la mise à la retraite à 65 ans. La réforme propose de retenir l'âge de 62 ans à compter du 1er janvier 2019, en concordance avec la disposition applicable aux salariés de droit privé.

Le rôle du Conseil d’orientation et de suivi des retraites (COSR)

Pour l’instant, l’observatoire du système de retraites polynésien est assuré par une commission paritaire, au sein de la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Sa dernière réunion date de 2015. Elle s’était alors penchée sur les réformes paramétriques du système. Mais aucune décision n’a été prise depuis.
Le projet de réforme du système de retraites prévoit dorénavant de confier cette mission à une "instance permanente d'études et de concertation entre les principaux acteurs du champ des retraites, dénommée Conseil d'orientation et de suivi des retraites (COSR), dont la vocation est de suivre l'évolution des régimes de retraites et de formuler des propositions pour assurer leur solidité financière et leur fonctionnement solidaire". Le secrétariat de ce Comité sera assuré par l'Agence de régulation de l'action sanitaire et sociale (Arass). Les membres du conseil d'orientation et de suivi des retraites sont désignés pour quatre ans. Le président et le vice-président du COSR sont élus parmi les membres du Conseil selon un mode alternatif patronat/syndicats, chaque année.
Le projet de loi prévoit que le COSR sera composé de treize membres : cinq représentants des organisations syndicales de salariés les plus représentatives ; cinq représentants des organisations syndicales d'employeurs les plus représentatives ; deux représentants des organisations de retraités, pensionnés des régimes de retraites polynésiens ; un représentant de la Jeune chambre économique de Tahiti.

Le COSR aura notamment pour missions :
1° D'analyser les évolutions et les perspectives à moyen et long terme des régimes de retraite légalement obligatoires, au regard des évolutions économiques, sociales et démographiques, et d'élaborer, au moins tous les cinq ans, des projections de leur situation financière ;
2° D'apprécier les conditions requises pour assurer la viabilité financière à terme de ces régimes ;
3° De produire, au plus tard le 15 juin, un rapport annuel et public sur le système de retraite, fondé sur des indicateurs de performance ;
Chaque année, ce conseil formulera toutes les recommandations ou propositions de réforme qui lui paraitront utiles pour assurer la pérennité financière des régimes.
Le COSR sera obligatoirement consulté pour avis sur toute modification réglementaire du cadre des retraites : toute décision prise par le conseil des ministres au titre de ses compétences, relatives aux taux d'abattement, à la fixation du salaire moyen de référence et aux différents taux de cotisations sera au préalable soumis au conseil d'orientation et de suivi des retraites.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Dimanche 18 Février 2018 à 12:00 | Lu 10811 fois