Retraites : la réforme ne suffira pas, le COSR suggère d’aller plus loin


Tahiti, le 4 novembre 2020 - Si la réforme des retraites a permis de limiter la casse à court terme, elle ne permet pas de pérenniser des régimes "structurellement déficitaires". Photographie inédite du système de retraite, le premier rapport d’orientation du COSR préconise d’aller plus loin dans les réformes.

Il arrive quatre mois après la date fixée par la loi du Pays mais il est là, avec les compliments du ministre de la Santé. Preuve que les divisions (lire encadré) au sein du conseil d'orientation et de suivi des retraites (COSR) ont fini par se dissiper, le document a été adopté le 20 octobre à la majorité de ses membres (huit voix sur dix) et présenté ce matin à la presse.
 
Travail de collecte et d’analyse inédit, le rapport de 133 pages fait un état des lieux du système de retraite depuis la création de la protection sociale généralisée (PSG) en 1994. Il dresse également le bilan de la réforme des retraites en 2019 et identifie des pistes "susceptibles d’assurer la pérennité du système". Enfin, il a vocation à mobiliser les consciences sur "la situation du système des retraites, les difficultés rencontrées, les contraintes qui pèsent sur son fonctionnement et l’enjeu sociétal qu’il représente pour la société polynésienne dans son ensemble."
 
Un système par répartition depuis 50 ans
 
"La retraite, on en parle beaucoup mais concrètement, qu’est-ce que c’est ? C’est un bien commun à gérer en trouvant un point d’équilibre"  résume Dimitri Pitoeff. Dans notre système de retraite par répartition – contrairement au système par capitalisation –, les cotisations versées par les actifs aujourd’hui permettent de financer les pensions des retraités la même année. On parle alors de"solidarité intergénérationnelle". Son rendement dépend ainsi de la croissance de la masse salariale (nombre de travailleurs et niveau de leur salaire), et donc de la conjoncture économique. "Ce système a permis depuis plus de 50 ans d’assurer aux retraités polynésiens des conditions de départ en retraite et des niveaux de prestations généreuses au regard de l’effort de cotisation consenti par ces retraités pendant leur carrière en tant que salariés" souligne Dimitri Pitoeff.
 
Vieillissement de la population
 
Seulement voilà, comme la plupart des pays développés, la population de la Polynésie vieillit. Un nombre important de Polynésiens âgés de 54 à 64 ans laisse envisager de nombreux départs en retraite dans les années qui viennent et une progression automatique des dépenses de l’assurance vieillesse. En parallèle, le taux de fécondité est divisé par deux en l’espace de 30 ans, permettant de constater un ralentissement net des naissances. L’un dans l’autre, ces deux facteurs "peuvent poser un problème pour l’emploi dans les années à venir, un risque de manque de main d’œuvre."
 
Des régimes "structurellement déficitaires"
 
A cela s’ajoute la crise économique sans précédent du Covid-19. L’embellie des années précédentes n’a pas suffi à rétablir l’équilibre recettes/dépenses des régimes retraites de la tranche A (plafonnée à 264 000Fcfp) et de la tranche B (plafonné à 520 000 Fcfp). Une situation financière que le COSR juge aujourd’hui "inquiétante".
 
Les comptes de la tranche A en particulier – à laquelle cotisent tous les salariés polynésiens autres que les fonctionnaires d’Etat – sont "structurellement déficitaires et affichent un déficit courant ininterrompu" souligne le rapport. "Depuis 2008, les cotisations de l’année ne couvrent pas les prestations servies."
 
Si la réforme mise en œuvre en 2019 a pu "sauver le régime de la tranche A à court terme", elle n’est "pas suffisante pour assurer sa viabilité à moyen terme et a fortiori à long terme" constate le COSR. Déficit estimé ? 12,5 milliards de Fcfp sur les dix prochaines années."Même avant la crise du Covid-19, et dans l’hypothèse où la branche maladie aurait remboursé l’avance de trésorerie qu’elle a reçue, la retraite tranche A ne pouvait faire face à ses obligations envers les retraités au mieux jusqu’en 2025 sans l’aide éventuelle des autres branches." Quant à la tranche B, "elle n’a ni les moyens ni les ressources pour honorer ses engagements auprès de ses affiliés".
 
Une crise qui déjoue toutes les prévisions
 
Pas question pour autant de suspendre la réforme. Au contraire. "Il faut la poursuivre" souligne le COSR, mais "elle devra sans doute s’intégrer à une réforme globale" de la PSG. Ce que le Pays envisage sérieusement. Si l’instance ajoute avec prudence que ses projections peuvent faire l’objet "d’ajustements", elle rappelle que les conséquences du marasme économique ne sont pas prises en compte. Pire encore, la crise rend "caduque" toutes les prévisions antérieures :" Il est à craindre que le scénario réel soit nettement plus défavorable que celui présenté par l’étude"  met en garde le COSR. Raison de plus pour"envisager de nouvelles réformes paramétriques ou structurelles afin de sécuriser l’avenir des régimes de retraites."
 
S’assurer de "l’acceptabilité des réformes"
 
Cotisations, mode de calcul de la pension, conditions d’âge, etc : une trentaine de pistes de réformes sont identifiées. Il s’agit désormais de récolter l’avis des partenaires sociaux (ou des institutions) sur les pistes en question, et surtout, s’assurer de "l’acceptabilité" des principaux intéressés : cotisants et retraités. "On fera ensuite une synthèse de tout ça suivie d’une préconisation" explique Thierry Mosser, représentant du Medef, et rapporteur de l’étude.
 
Compte tenu des délais nécessaires pour consulter toutes les parties prenantes, "évaluer l’impact des différents scénarios possibles", "proposer les ajustements ou réformes nécessaires", "obtenir l’adhésion du plus grand nombre", "rédiger les textes règlementaires, les faire adopter et enfin mettre en œuvre les réformes", le COSR suggère de s’y mettre dans les plus brefs délais. Objectif : aboutir à des préconisations courant 2021.
 

"Le COSR sort grandi de cette affaire"

D’abord le 15 juin, puis le 1er septembre. Alors que le COSR a manqué les deux deadlines pour la livraison de sa copie, la présentation du rapport ce matin avait un air de triomphe. De quoi calmer un temps les ardeurs de ses détracteurs. Pointé du doigts pour ses "difficultés à fédérer" ou à "synchroniser" les différentes approches au sein de l’instance, notamment entre les pro et les anti-réformes, le COSR a finalement été au bout.
 
C'est que pour sa première année de fonctionnement, l'instance n’avait pas prévu la crise sanitaire. Le confinement notamment met un coup d’arrêt aux réunions de travail. "Notre salle ici à l’Arass a été réquisitionnée par la cellule de crise" indique Emile Vernier, président du Sdiraf. "Les travaux se sont accélérés ces deux derniers mois avec deux réunions par semaine" reconnaît cependant Dimitri Pitoeff, qui a de nouveau justifié le retard par des difficultés à travailler dans des "conditions optimales", faute de "moyens matériels ou humains,"  ou "de pouvoir d’investigation inscrit règlementairement dans ses prérogatives." Ainsi, le rapport résulte "essentiellement de la mobilisation de ses membres et de ses rapporteurs."

Pour Emile Vernier, l'instance "sort grandi" de cette affaire. "Aujourd’hui on ne peut plus dire n’importe quoi, le rapport est là, il est complet. La retraite est en difficulté, c’est acquis, maintenant qu’est-ce qu’on fait ?"
 

Rédigé par Esther Cunéo le Mercredi 4 Novembre 2020 à 19:04 | Lu 6974 fois