Tahiti Infos

“Retours vers la nature”, un documentaire et une conférence


Tahiti, le 22 mai 2025 - Nathalie Bernardie-Tahir, professeure de géographie à l’Université de Limoges et chercheuse au laboratoire Géolab du CNRS, travaille sur les petites îles, principalement sur les problématiques de mobilités et de vulnérabilités territoriales et environnementales. Elle s'est intéressée, dans l’océan Pacifique, aux migrations résidentielles dans les îles de Polynésie française. Elle donne une conférence le 27 mai après la projection du documentaire retours vers la nature tourné à Raiatea en 2022. Interview.
 
Dans le cadre de votre projet de recherche vous avez tourné un documentaire, que raconte-t-il ?
Ce film s’inscrit dans le programme de recherche ENVId’îles financé par la Fondation de France, portant sur les nouveaux arrivants et l’environnement dans les îles périphériques de Polynésie française. Ce programme est né du constat que de plus en plus de mobilités internes en Polynésie française s'effectuent, depuis les années 2012, de Tahiti vers les archipels ou îles périphériques (contrairement à des décennies où Tahiti a concentré les flux migratoires émanant des archipels éloignés). Il tente de comprendre les motivations des personnes qui s'installent dans ces îles en cherchant à saisir le rôle de la nature ou de l'environnement dans le choix d'y venir ou d'y revenir. Le projet cherche aussi à mesurer le lien que ces individus qui arrivent nouent avec la nature, avec des impacts qui peuvent être négatifs (constructions, déchets, pollution), ou à l'inverse positifs avec un engagement possible de ces personnes dans la protection de l'environnement, ou plus largement dans des pratiques respectueuses de l'environnement. La réalisation de ce documentaire était un des livrables annoncés dans le projet. Il permet de faire une focale sur un des aspects du programme : le lien et les pratiques de nature de ces ‘nouveaux-arrivants’.
 

Quand le documentaire a-t-il été tourné ?
Les entretiens et travaux d’enquête ont été menés à partir de 2017. Le tournage s’est déroulé lors d’une mission en mai-juin 2022. Nous avons choisi des personnes qui correspondaient à des profils différents : nouveaux arrivants métropolitains, retours de Polynésiens, ayant des liens à la nature de divers ordres : nature-loisirs, nature-refuge, nature-culture, nature/engagement protection. Nous avons proposé des projections privées d’une première mouture de ce documentaire auprès des protagonistes à Raiatea et Tahaa, lors de la dernière mission de juin/juillet 2023. Considéré au départ comme une étape incontournable dans le processus de validation du film par ceux qui y avaient participé, ce moment a constitué un temps fort de restitution et de médiation même si cela s'est fait  dans un périmètre réduit aux seules personnes filmées. Cela a été aussi source d’échanges riches et intéressants ouvrant de nouvelles pistes de réflexion et d’analyse sur le rapport des populations à la nature en Polynésie. Ces moments de visionnage ont été l’occasion de mesurer la montée des tensions autour du foncier et de son accaparement par les nouveaux arrivants de plus en plus ouvertement critiqués par la population locale. L’ultime phase du processus est à l’œuvre aujourd’hui : il s’agit de la valorisation/diffusion du film à travers l’organisation de projections publiques, qui ont déjà eu lieu à différentes reprises et dans différents contextes en métropole. Au niveau académique, le film a été utilisé à des fins pédagogiques, devant des publics d’étudiants, pour illustrer la complexité des ontologies et des pratiques de nature. Plus largement, les différentes projections organisées devant des publics plus variés ont été et seront l’occasion de montrer la Polynésie sous un autre angle, mais aussi de faire connaître d’une manière plus accessible la recherche en sciences sociales.”
 
Quelles sont les intentions de ces personnes qui cherchent une (re)connexion ?
Notre programme de recherche porte sur les personnes qui viennent ou reviennent s'installer à Raiatea pour différentes motivations, ceux pour qui la nature joue un rôle essentiel dans le projet de mobilité, qui cherchent une (re)connexion. Nous avons identifié quatre types d’intentions, qui dans la réalité sont parfois mêlées. Il s'agit de retrouver la nature comme cadre de vie, pour le plaisir des pratiques de pleine nature, sports nautique ou randonnées, etc ; la nature comme ressources, qui permet aux individus qui s’installent d’en vivre, par exemple en s’installant dans l’agriculture biologique, en développant des activités professionnelles par exemple des excursions touristiques sur le lagon en va'a ; la nature comme refuge, où l’on vient se reconstruire après un accident de vie (décès, maladie, perte de sens…) ou bien lors de la retraite pour y finir sa vie ; la nature enfin dans sa dimension culturelle et politique, retrouver une nature que l’on souhaite protéger pour la transmettre aux générations futures.”
 
 

Est-ce une volonté de reconnexion ou une fuite de la société d'aujourd'hui ? Ou peut-être les deux ?
Souvent, un rejet des modes de vie urbains correspond à un rejet de la société de consommation. Cette attitude est associée à la volonté de se recentrer sur des valeurs qui font sens, sur des pratiques cohérentes notamment celles dans la nature. Dans ces valeurs, les sociabilités jouent un rôle important : il s'agit de se reconnecter aux siens, de faire société, en s'impliquant souvent bien davantage dans des collectifs et des réseaux qui jouent un rôle essentiel dans l'animation de la vie de petits territoires.”
 
Ce retour implique-t-il des renoncements/ruptures ? Si oui lesquels ?
Oui, il se traduit souvent par un certain déclassement économique : renoncements à des postes à responsabilités souvent bien rémunérés, à un accès à certains services ou loisirs comme des cinémas, salles de spectacles, restaurants, à des connexions à des réseaux de transports, à certaines relations aussi. Mais attention, ces mobilités ne sont pas toujours choisies. Parfois aussi, elles sont contraintes par des situations personnelles difficiles, ou des besoins .familiaux (s’occuper d’un parent malade, etc).”
 

Avez-vous rencontré des personnes qui ont commencé une démarche de retour à la nature mais ont fait marche arrière ? Si oui, pourquoi ?
Bien sûr, des gens repartent. Mais il ne faut pas penser les départs comme des échecs, ou des retours en arrière. L’humain est par essence mobile (particulièrement dans les sociétés polynésiennes !) et il normal de se déplacer. Il y a également des projets temporaires, pour les gens en mobilité professionnelle par exemple. D’autres aussi qui sont pensés pour certaines périodes de la vie : lorsque les enfants sont petits pour qu'ils profitent d'une belle qualité de vie dans la nature, ou lorsque les enfants sont partis du foyer familial et sont autonomes financièrement. Dans tous les cas, il s’agit d’expériences fortes, structurantes dans un parcours de vie. Pour ceux qui ont choisi ces mobilités, elles leur ont permis de vivre la vie à laquelle ils aspiraient.”
 

Pratique
Le 27 mai à 17h30 dans l'amphithéâtre A3 de l'université.
Entrée libre.
 

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 22 Mai 2025 à 21:55 | Lu 1661 fois