Relancer la filière du café local


Les initiatives germent, entre la création d’un syndicat et les tests réalisés par la Direction de l’agriculture (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 14 juin 2024 – Nous sommes nombreux à ne pas pouvoir nous passer d’une tasse de café au réveil, mais ne serait-il pas encore meilleur s’il avait été cultivé au Fenua ? C’est le défi qui anime le Syndicat polynésien du café (SPC), fondé le mois dernier par des producteurs et des torréfacteurs. Sur la base d’une charte éthique et durable, ils ont déjà convaincu des agriculteurs de se lancer dans l’aventure. Le potentiel est énorme : les 900 tonnes consommées annuellement sont principalement importées, alors que la Polynésie était autrefois exportatrice.

“Construire une industrie du café qui respecte les principes de justice sociale, d’équité, de durabilité environnementale et de solidarité, tout en favorisant l’innovation responsable et l’éducation continue.” Ce sont les grandes lignes de la charte du Syndicat polynésien du café (SPC), fondé il y a un mois par des producteurs et des torréfacteurs, et présidé par Laurent Jacquemin, gérant de Kerekere.
 
Florissante au milieu du siècle dernier, la production a progressivement décliné au profit de l’importation. Pour inverser la tendance, ou tout du moins rétablir un certain équilibre, les initiatives germent. À Toahotu, Romain Borie vient tout juste de livrer plusieurs centaines de plants de caféiers, après une année de croissance sous serre. “On a travaillé avec la Caturra, une variété traditionnellement cultivée en Polynésie. C’est une plante facile à faire pousser, qui est parfaite pour le climat”, explique l’ingénieur agronome.
 

Des graines issues de jeunes plants de caféiers.

Tests et mises en terre


La Direction de l’agriculture (DAG) travaille également au développement de la filière, tests à l’appui. “On a introduit deux nouvelles variétés, Marsellesa et Starmaya, qui sont normalement plus productives et résistantes aux maladies que les deux variétés déjà cultivées localement, Caturra et Catimor. L’objectif, c’est de relancer la production, qui ne représente plus que 30 hectares, principalement aux Australes. La création du syndicat va permettre de redynamiser la filière pour faire le lien entre les producteurs et les transformateurs”, remarque Tetia Peu, ingénieure agronome à la DAG. L’accent est d’ores et déjà mis sur l’agriculture biologique, comme nous l’a indiqué Heiva Faatauira, animatrice du SPG Bio Fetia. “On suit les prochains agriculteurs qui vont planter du café, en vue de leur labellisation. Actuellement, dans ce domaine, on a un seul producteur bio qui va jusqu’au produit fini, à Tubuai.”
 
Sur le plateau de Afaahiti, Pascal Mati fait partie des premiers agriculteurs volontaires. En visite sur place, ce vendredi, Jean-Baptiste Tavanae, maraîcher bio bien connu à Papeari, pourrait bien être le prochain à Raiatea. “Ça fait plusieurs années que je suis tenté par la production de café, mais je n’avais pas forcément d’acheteurs. Je suis prêt à planter, du moment qu’on part sur un contrat. J’ai proposé sur 10 hectares à Raiatea, avec une pépinière sur place. C’est en cours de discussion pour que tout soit en terre début 2025.” À raison d’une production moyenne de 2 tonnes de café vert à l’hectare, pour le syndicat, toutes les terres disponibles sont les bienvenues.
 

Christophe Trebouta, secrétaire du syndicat et gérant du Fare du café : “Pouvoir faire travailler les gens sur leurs îles”

“On veut démocratiser le grain et que ça devienne une économie à part entière, locale, bio et de bonne qualité, pourquoi pas pour l’export, par la suite. La consommation de café en Polynésie, aujourd’hui, c’est 900 tonnes par an, tous produits confondus. Il y a de quoi faire ! Le syndicat va nous permettre d’essayer de structurer la démarche, de manière à ce que tout le monde travaille dans les bonnes conditions, avec les bonnes méthodes et des critères identiques. (…) Ce que j’espère, c’est pouvoir faire travailler les gens sur leurs îles. (…) L’objectif, ce sera aussi d’être compétitif avec un prix attractif, sensiblement similaire au café importé.”

Pascal Mati, agriculteur partenaire à Afaahiti : “J’ai la garantie de l’acheteur”

“Avant de me lancer dans le café, j’étais dans le maraîchage. Le problème, c’est que le marché est quasiment saturé. C’est une aventure, tout est à faire ! Ce qui m’a convaincu, c’est qu’en échange de la production, j’ai la garantie de l’acheteur. C’est le rêve de tout agriculteur. Pour l’instant, on m’a fourni 600 plants, mais il m’en faudrait 5 000 ! Je suis sur des terres domaniales où je plante du gingembre, mais j’aimerais me spécialiser dans le café.”

Quelques chiffres

En 1960, la Polynésie est exportatrice de café, avec une production de 114 tonnes et plus de 3 000 hectares cultivés. En 1965, la Polynésie devient importatrice de café, à hauteur de 68 tonnes. En 1975, la consommation se partage entre 51% de café soluble, 24% de café torréfié importé et 25% de production locale. En 1981, la production locale ne représente plus que 6%. En 2022, elle s’efface au bénéfice des importations de café soluble (207 tonnes), de café torréfié (202 tonnes) et de café vert (135 tonnes). À titre indicatif, 2 000 kg de café vert équivaut à 1 600 kg de café torréfié ou 720 kg de café soluble.

Sources : Cirad/IT Stat/Fare du café

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Vendredi 14 Juin 2024 à 19:00 | Lu 5086 fois