“Réfugiés climatiques”, l'urgence d'un statut


Les habitants des petits pays insulaires seront les plus touchés par les effets du changement climatique. Crédit photo : Greg Boissy.
Tahiti, le 11 mai 2023 – Avec les futures catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, comme la montée des eaux, de nombreuses personnes vont devoir quitter leur foyer. Cependant, à l'heure actuelle, aucun État n'a encore souhaité porter devant les instances internationales, une convention pour définir les droits et le statut de ces “réfugiés climatiques”. Ce jeudi, le président du Centre international de droit comparé de l'environnement, Michel Prieur, a donné une conférence sur ce sujet, lors du colloque “Insularité et changement climatique”.
 
D'ici 2050, d'après une étude dévoilée il y a trois ans par la Banque mondiale, 216 millions de personnes dans le monde seront contraintes de quitter leur foyer, en raison des multiples conséquences du réchauffement climatique. Et si les grands États seront évidemment touchés par ces migrations environnementales, ce sont bien les petits pays insulaires, dont la Polynésie fait partie, qui vont être les plus impactés de par leur situation géographique. Ce jeudi, le président du Centre international de droit comparé de l'environnement et président honoraire de la Société française pour le droit de l'environnement, Michel Prieur, a donné une conférence sur le projet d'une convention relative au statut de ces déplacés climatiques à l'Université de la Polynésie française, à l'occasion de la deuxième journée du colloque “Insularité et changement climatique”. Depuis une quinzaine d'années, il porte ce projet, venu d'un constat alarmant : “On s'est rendu compte qu'il y avait un vide juridique pour ces personnes, aucune convention pour traiter le problème du statut des personnes victimes de catastrophes climatiques, naturelles ou non”. “Les rapporteurs spéciaux des Nations unies demandent depuis longtemps que ce sujet fasse l'objet d'une discussion entre les États”, a-t-il ajouté. Pour l'instant, même si le projet de cette convention est terminé, aucune Nation ne l'a encore porté devant une instance internationale, afin de créer enfin des droits aux réfugiés climatiques.
 
Les catastrophes liées au dérèglement du climat peuvent être de plusieurs natures. Il y a celles naturelles, brutales, comme les tsunamis ou les tremblements de terre, ou insidieuses, comme les désertifications, la salinisation des eaux ou la hausse du niveau de la mer. Elles peuvent également être liées à des catastrophes technologies, avec les explosions chimiques ou nucléaires et les ruptures de barrages. Avec son statut de pays insulaire, la Polynésie, est directement concernée par ces potentielles catastrophes. “Des Polynésiens risquent en effet d'être déplacés d'un atoll à un autre dans le futur. Ils pourront alors se demander, est-ce que je possède les mêmes droits qu'ailleurs ? Et la réponse devra être oui”, a déclaré le conférencier.
 
Vide juridique
 
Deux types de réfugiés environnementaux sont distingués par Michel Prieur, ceux internes, qui sont déplacés à l'intérieur de leur pays, et ceux externes, qui fuient à l'étranger. “Au niveau des statistiques, pour l'instant, il y a plus de déplacés internes, mais dans les années à venir, peut-être que ce seront eux les plus nombreux, notamment dans les États insulaires”, a-t-il expliqué. Mais que ce soit pour les uns ou pour les autres, aucun statut juridique international ne les protège, les faisant ainsi devenir les oubliés du droit international. “Même si en théorie, les droits de l'Homme sont applicables dans leur cas, dans la pratique, rien ne les protège véritablement.” Quelques avancées sont tout de même à noter ces dernières années, comme le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières contracté en 2018, la Convention de Kampala, adoptée par l'Union africaine en 2009, ou encore les recommandations faites en 2022 par Ian Fry, rapporteur spécial des droits humains des Nations unies, qui préconisait de mettre en place des “protections juridiques internationales” pour les déplacés climatiques.
 
Les droits de l'Homme comme fondement
 
Ce droit, Michel Prieur l'a déjà consigné dans un projet de convention, sur laquelle il travaille depuis quinze ans avec le Centre international de droit comparé de l'environnement dont il est le président. Pour établir cette convention, il s'est basé sur des fondements juridiques liés aux droits de l'Homme. “Il y a notamment l'article 11 du pacte de 1966 de l'ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui régissent les droits suffisants à l'accès à un logement, à la nourriture et aux vêtements”, a-t-il expliqué. “On s'est basé également sur les résolutions du Conseil des droits de l'Homme prises en 2017 à Genève, sur le droit à un environnement sain, propre et durable, mais également sur les principes 18 et 27 de la déclaration de Rio de Janeiro en 1992 relatifs à l'assistance écologique et à la solidarité.”
 
Avec cette convention,  les objectifs sont donc multiples. Il est question “de garantir les droits des déplacés environnementaux, tant externes qu'internes”, en traitant à la fois des droits humains des réfugiés climatiques mais également du statut en lui-même. “Il faut donner un contenu effectif au droit à la vie”, a souligné Michel Prieur.
 
Les petits pays au créneau
 
Si l'intégralité de cette convention est rédigée et qu'elle n'est pas encore appliquée, c'est parce qu'aucun pays ne l'a encore portée devant une instance internationale. “Pour concrétiser ce projet, il faut qu'au moins un État prenne l'initiative de le porter”, a expliqué le spécialiste en droit environnemental. “Nous, on voudrait bien que cela soit un État du Pacifique qui prenne les devants, comme Tuvalu ou Kiribati. Nous attendons que quelqu'un dise qu'il faut absolument appliquer cette convention, en mettant par exemple cette question à l'ordre du jour à l'Assemblée générale des Nations unies.” “Les grands États ne sont forcément pas enthousiastes, mais les petits pays n'ont pas une voix trop faible pour monter au créneau”, a-t-il conclut.

Michel Prieur, président du Centre international de droit comparé de l'environnement.

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 11 Mai 2023 à 20:18 | Lu 1594 fois