Refuge en eaux profondes, un espoir pour la restauration du corail


Tahiti, le 1er février 2021 - La célèbre expédition Under the pole III revient en Polynésie afin de caractériser la découverte inédite d’un champ de "corail de rose" à 90 mètres de fond à Makatea. Avec l’expertise du Criobe de Moorea, l’étude consiste à vérifier la sensibilité de ces coraux des profondeurs aux changements climatiques. De quoi tester l’hypothèse d’un refuge pour le corail dans les grands fonds.
 
C’est aux Gambier, en 2018, que l’expédition Under the pole découvre le corail le plus profond jamais récolté au monde : un spécimen de Leptoseris hawaiiensis à 172 mètres de fond. Saluée par la communauté scientifique, la trouvaille a fait l’objet d’une parution le 15 janvier dans la revue scientifique The Isme journal.
 
Fruit d’un partenariat entre le Criobe à Moorea et la célèbre expédition menée par le duo Emmanuelle Périé-Bardout et Ghislain Bardout, cette étude devait ensuite les conduire en Antarctique. Mais le Covid en a décidé autrement. "On n’a pas pu y aller, alors on est revenu en Polynésie pour compléter la mission DeepHope (Profond Espoir, Ndlr) de 2018 – 2019 sur l’exploration du corail profond avec des nouvelles données et des nouvelles manipulations" annonce Emmanuelle Périé-Bardout.
 
Forte d’une première mission totalisant près de 800 plongées et d’une collection record de plus de 6 000 échantillons –entre 30 et 150 mètres de profondeur­– dans les cinq archipels, la nouvelle expédition revient sur une autre découverte, toute aussi inédite, d’un champ de Leptoseris –ou "corail de rose"–, à 90 mètres de fonds dans les eaux de Makatea. "À ces profondeurs c’est très rare. En général, plus tu descends, moins tu en trouves", commente Laetitia Hédouin, chargée de recherche du CNRS au Criobe.

Une densité coralienne "exceptionnelle"

Au-delà de la profondeur, c’est surtout la densité de la couverture coralienne qui intrigue les scientifiques. "40% de recouvrement, c’est énorme à ces profondeurs-là" reprend Laetitia Hédouin. "C’est absolument exceptionnel comparé à tout ce qu’on a vu ailleurs en Polynésie, c’est ça que nous allons chercher à approfondir. Est-ce que c’est localisé ou généralisé ? Sur quelle surface ?" renchérit Ghislain Bardout, co-fondateur de Under the pole. Il s’agit donc de caractériser et dimensionner ce grand récif profond.
 
Porteuse d’espoir pour la conservation du corail, cette découverte viendrait conforter l’hypothèse d’un refuge pour les coraux de surface dans les profondeurs de l’océan. "Pourquoi a-t-on ce champ à cet endroit-là et pas ailleurs ? A-t-on affaire à des populations génétiquement différentes ou s’agit-il des mêmes coraux, mais dans un environnement qui permet leur prolifération ?" interroge Laetitia Hédouin.
 
La présence de ce champ à de telles profondeurs est d’autant plus étonnante que les coraux sont dépendants de la lumière puisqu’ils tirent leur énergie d’une algue qui vit en symbiose dans leurs tissus, leur apportant, par la photosynthèse, les nutriments nécessaires. Or, plus on s’enfonce dans le bleu, moins il y a de lumière. Résultat : l’eau se rafraîchit. Pourquoi alors parler de réchauffement ? Selon la chargée de recherche, la réaction des coraux est relative aux températures dans lesquelles ils ont l’habitude d’évoluer.
 
"Ce qui compte, c’est de combien la température varie par rapport à la normale. Aux Australes, l’eau est plus fraîche d’environ trois degrés et pourtant, il y a beaucoup plus d’anomalies de température et de blanchissement là-bas du fait de phénomènes océanographiques qu’on ne maîtrise pas bien, développe la scientifique. Même si l’eau est plus fraîche et que les coraux sont habitués à 26 degrés, il suffit que ça monte à 28 ou 29 degrés pour générer un stress. Tu me diras : ceux de surface sont déjà à 28 degrés. Oui, mais ils y sont habitués, le stress se présente quand la température grimpe à 30 degrés."

​"Des informations difficiles à collecter"

Ce que les chercheurs ont d’ailleurs observé, c’est que les variations de température sont beaucoup plus importantes en profondeur qu’en surface. Une telle exposition aurait-elle entraîné le corail d’en bas à mieux encaisser les vagues de chaleur que ceux d’en haut ? "C’est ce qu’on veut vérifier, mais ce sont des informations difficiles à collecter, parce qu’on n’est pas toujours présent au moment des épisodes de blanchissement et parce qu’on a beaucoup de mal à avoir accès à ces coraux profonds."
 
D’où l’intervention des spécialistes de Under the pole. Nul besoin de capsule pour cette mission qui ne nécessite pas d’observation prolongée. En revanche, une palanquée de six plongeurs équipés de recycleurs descendra pour collecter du corail.
 
Ensuite ramenés dans les aquariums du Criobe de Moorea, les échantillons seront exposés au stress de l’acidification et du réchauffement des températures qui empêchent les coraux de construire leur squelette calcaire, afin d’évaluer leur niveau de résistance. "L’idée, ça va être de faire la même analyse à Moorea où ce type de champ n’existe pas, et de voir ce qui les différencie de ceux de Makatea" poursuit la chargée de recherche. "Les récifs coraliens sont menacés partout dans le monde, mais ceux qui vivent dans les profondeurs seraient moins soumis aux changements climatiques et aux perturbations locales".
 
La mission qui démarre le 15 février devrait s’étendre sur deux mois et contribuer, peut-être, à supporter l’hypothèse d’une migration des coraux vers les profondeurs pour y trouver refuge.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Lundi 1 Février 2021 à 17:05 | Lu 11988 fois