Redonner sa place à la médecine traditionnelle


"Si chacun d'entre nous avait un petit jardin avec des plantes qui permettent de se soigner, ce serait déjà ça qui pèserait moins lourd dans le panier de la CPS", souligne le ministre de la Santé Patrick Howell.
PAPEETE, le 25 novembre 2015. Le gouvernement souhaite que la médecine traditionnelle "trouve sa place". Il souhaite ainsi "réaliser un répertoire des savoirs" et mettre en place un "système de qualification et d'autorisation des tradipraticiens". Dans le monde de la médecine traditionnelle, on insiste sur la place à donner aux tradipraticiens pour que ceux-ci aient une place d'"experts". Sunny Walker, favorable à un répertoire des plantes, met en garde contre le risque de disparition de certaines d'entre elles.


Dans son jardin de 2 000 mètres carrés, Daniel Touama compte de la citronnelle, du rea tahiti, de la menthe poivrée… Depuis un an et demi, avec ses plantes, il réalise des mono'i médicinaux. C'est en voyant son grand-père en réaliser que ce guide de randonnée a appris. "On le regardait faire et il nous soignait avec", explique-t-il. Des études de bio-chimie l'aident à se lancer et à réaliser lui-même ses mono'i. Aujourd'hui, il ne laisse pas de place au hasard lors de sa production qu'il réalise avec beaucoup de sérieux. "Chaque plante a ses propres vertus. Aucune plante ne peut tout soigner", décrit-il. "Il ne faut pas inventer n'importe quoi. Ceux qui disent qu'ils ont un mono'i qui soignent tout c'est du chalala…"
Daniel voit donc plutôt d'un bon œil la volonté du gouvernement de professionnaliser la médecine traditionnelle.
Le ministre de la Santé Patrick Howell, dont une grand-mère pratiquait la médecine traditionnelle, confie : "Je pense qu'il est intéressant de créer des conditions pour qu'une partie de la population refasse le lien avec sa culture avec ses origines. Si chacun d'entre nous avait un petit jardin avec des plantes qui permettent de se soigner, ce serait déjà ça qui pèserait moins lourd dans le panier de la CPS", explique-t-il.

Un répertoire des savoirs

Un des premiers actes à mettre en place serait selon le gouvernement de "réaliser un répertoire des savoirs, par une organisation spécifique ayant des appuis scientifiques et ouvert aux tradipraticiens".
"Répertorier les plantes et leurs utilisations est une bonne idée", souligne Sunny Walker, président de l’association Te Hivarereata, mais celui-ci va plus loin en mettant en garde contre le risque de disparition de certaines plantes "à cause des pestes". "Je souhaiterais pouvoir réussir à conserver toutes ces plantes", insiste le fils de Taaria Walker.

Le bouche-à-oreille

Le gouvernement souhaiterait aussi mettre en place une "formation et un système de qualification et d'autorisation des tradipraticiens". Ce point risque de faire davantage débat. "Il ne faut pas changer les structures traditionnelles. Il faut rester dans la configuration des parents. Il faut encourager les familles", souligne Sunny Walker. "Des tradipraticiens, y en a quand même encore pas mal. Leur nombre ne constitue pas encore un sujet d'inquiétude mais la qualité oui. Certains le font correctement d'autres moins bien lorsqu'il y a eu une moins bonne transmission au sein des familles."
Aujourd'hui pour trouver un bon tradipraticien, il faut compter sur "le bouche-à-oreille, c'est la réputation qui compte", souligne-t-il.





Eric Parrat, pneumologue, spécialiste de l'asthme et le cancer du poumon

" La médecine traditionnelle c'est la prise en charge globale de la personne dans tous ses aspects"


Vous êtes pneumologue au centre hospitalier de Taaone et favorable à un travail main dans la main des médecines moderne et traditionnelle, comment cela serait possible ? Que pensez-vous des préconisations du gouvernement ?
"Ce ne sont que des actions de régulation. Il n'y a pas d'action de promotion. Pour eux, la médecine traditionnelle s'inscrit tout de suite dans la délivrance de produits, ce n'est pas ça la médecine traditionnelle c'est comme si on disait que la médecine moderne c'est juste donner un comprimé. Le point fort de la médecine traditionnelle, c'est justement ce qu'est en train de perdre la médecine moderne, c’est-à-dire le côté humain.
La médecine traditionnelle c'est la prise en charge globale de la personne dans tous ses aspects : le corps, le psychisme, le social, le spirituel, culturel.

Il faut rapprocher la médecine moderne de la médecine traditionnelle. Grâce à l'association Haururu, j'ai pu avoir pour la première fois un réel contact avec des tradipraticiens.
En ce moment, on est en train de faire un vrai travail autour des soins palliatifs, beaucoup ont lieu à domicile. Ce sont les tradipraticiens qui sont présents. Ils sont en difficulté car ils ont besoin de nos savoirs, mais inversement, nous aussi avons besoin de leurs savoirs à eux car ils détiennent un savoir que nous avons un peu tendance à oublier.


Le gouvernement souhaite mettre en place un "système de qualification et d'autorisation des tradipraticiens". Qu'en pensez-vous ?
Les tradipraticiens ne veulent pas être régulés, réglementés. Le principe de base qui les anime, c'est le même que celui qui a été le fondement de la médecine, c'est de repérer dans la population des personnes qui auront le don de soigner et de les former par eux-mêmes.
Il n'y a que les tradipraticiens qui arriveront à se réglementer par eux-mêmes. Je ne vois pas comment une institution peut réguler quelque chose qui travaille dans l'invisible, dans le non quantitatif.

La création d'un répertoire des plantes et de leurs vertus ne serait-il pas un outil pour éviter que certains savoirs se perdent ?
Ça c'est une bonne idée mais pour du petit soin par pour du grand soin. Il y a deux types de soins. Il y a le petit soin qui va commencer par la prévention et puis les petits bobos, les petites maladies qui se soignent individuellement ou en famille… C'est un aspect bien ancré dans le savoir-faire polynésien.
Quand on parle de médecine traditionnelle, on parle de médecine, de grands soins, de vraies maladies. Là, on touche à un autre domaine. On touche au domaine des soignants dans les grandes maladies. Ce sont des gens qui vont soigner d'autres personnes. Le grand soin ne se réalise pas comme ça : c'est risqué pour le malade, sa famille, mais aussi le soignant et sa famille car il y a un transfert.

Si un répertoire des plantes doit être réalisé, je mets en garde le gouvernement : "ne prenez pas les décisions. Vous devez faire appel à des tradipraticiens pour qu'ils deviennent des experts, si vous voulez faire reconnaitre c'est comme ça que marchera en leur donnant la position d'experts."

En favorisant la médecine traditionnelle pendant longtemps, cela a-t-il mis en péril la transmission des savoirs ?
Elle est en train de se perdre. C'est gravissime car ces savoirs une fois qu'ils sont perdus le sont définitivement. Avec Haururu, on envisage de favoriser cette rencontre, de donner les moyens aux tradipraticiens d'avoir un lieu d'échanges entre eux, qui soient leur espace et où ils puissent s'épanouir. Un lieu où ils pourraient faire se rencontrer les gens qu'ils veulent -on espère des gens de la médecine moderne car il y a beaucoup de gens qui s'y intéressent-. Ce serait créer une sorte de petite école. Ils pourraient montrer leur-savoir-faire, montrer qu'ils existent. Il s'agit de rentrer petit à petit dans un système de confiance et de reconnaissance avec un groupe de professionnels de santé qui les accompagneraient. Ils pourraient choisir les gens avec qui ils veulent travailler car c'est fondamental en médecine traditionnelle. On ne peut rien leur imposer. On a parlé d'un recueil des savoirs sur les plantes et les préserver, mais tout autour il y a un système de croyances, de transmissions orales de mythe, de légendes autour de ces plantes. Si on ne fait pas ce travail de recueil des plantes, des savoir-faire et de la mythologie qui va cela risque de disparaître.

Témoignage de Vaihere Tanepau Marquisienne, habitant à Ua Huka

Vous utilisez des ra'au tahiti. Les fabriquez-vous vous-même ?
Non, ici, à Ua Huka. Nous récupérons auprès
d'une dame dont nous sommes proches et une mamie réputée sur cette ile pour son art médicinal.

Avez-vous recours depuis votre naissance à la médecine traditionnelle ?
J'ai été baigné dedans depuis ma naissance. Mais avec le temps je suis revenue davantage vers la médecine traditionnelle car les rau'au tahiti sont naturels. Je sais ce qu'il y a à l'intérieur et surtout aujourd'hui c'est plus efficace que les cachets.

Souhaiteriez-vous être formée à la médecine traditionnelle ?
Ce n'est pas encore mon moment, je pense, pour acquérir ce savoir. Des personnes de ma famille sont prédestinées pour ce don. Le ra'au tahiti n'est pas tombé sur moi. J'ai hérité du don de massage de ma mère.

Vous pratiquez les massages. Comment cela se passe-t-il ?
Oui, je le fais pour pour ceux qui ont en besoin mais si le feeling ne passe pas je ne le fais pas. Je ne sais pas comment expliquer c'est un ressenti.
Souvent, je m'approprie la douleur de la personne à la suite du massage.

Cela vous arrive d'aller voir un taote si besoin ?
Oui, cela m'arrive d'aller voir les taote mais c'est vraiment rare.


Les préconisations du gouvernement

Daniel Touama, connu sous le nom Johnjohn Arnold Alexandre sur Facebook, cultive de nombreuses plantes pour réaliser des mono'i médicinaux.
Le gouvernement consacre une partie des orientations stratégiques 2015-2014 à la médecine traditionnelle. Voici ses principales recommandations afin d'encourager la médecine traditionnelle :

"Le processus doit s'assurer qu'une politique et les mécanismes réglementaires sont créés afin de reconnaitre et d'encourager les bonnes pratiques et de garantir la qualité, l'innocuité et l'efficacité des produits et des thérapies des médecines traditionnelles.

Il consiste pour la médecine traditionnelle polynésienne, dans un premier temps, à :
- Réaliser un répertoire des savoirs, par une organisation spécifique ayant des appuis scientifiques et ouverte aux tradipraticiens
- faire valider les recommandations d'usage sans danger et rationnel par l'autorité sanitaire compétente, sur la base d'informations fiables.

Dans un second temps, il conviendra de :
- mettre en œuvre la réglementation qui garantit la bonne utilisation et organise le contrôle de la qualité des produits et des pratiques
- assurer la sécurité des usagers par la formation et un système de qualification et d'autorisation des tradipraticiens, et par la collaboration avec les professionnels de la médecine conventionnelle.

Rédigé par Mélanie Thomas le Mercredi 25 Novembre 2015 à 18:06 | Lu 5863 fois