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Recrudescence des infections au VIH


Tahiti le 12 janvier 2023 - En 2022, une personne est décédée du VIH et 21 nouveaux cas ont été détectés. “Une augmentation de presque 50% comparés à 2021”, selon le docteur Lam Nguyen, médecin épidémiologiste à la Direction de la santé. La hausse s’explique par plusieurs facteurs, et les données de recensement de malades ont été perturbées par la pandémie.

En 2022, 21 nouveaux cas d’infection au VIH ont été dénombrés, dont 4 au stade du sida. Un étudiant âgé de 24 ans est décédé des suites de complications liées à la maladie. La Direction de la santé est consciente du problème. Elle rappelle actuellement, avec une campagne préventive, que “le VIH circule activement au fenua”. Des affiches reprenant ce message ont notamment été distribués en pharmacie, dans le but d’inciter la population à se faire dépister.

“Le nombre de nouveaux cas de VIH détectés en 2022 a presque doublé comparé à 2021. On passe de 14 à 21 cas supplémentaires cette année. Au total, cela représente un peu plus de 170 personnes” porteuses du virus en Polynésie, explique le docteur Lam Nguyen, médecin épidémiologiste à la Direction de la santé. Le médecin suit “95 à 100 %” des patients atteints par le virus. “On constate que le nombre de personnes infectées augmente significativement depuis les années 2015/2016”, explique Dr Nguyen.

“Il est important de prendre le sujet du sida au sérieux. L’un des soucis, c’est que certaines personnes contaminées se laissent aller, ne suivent pas leur traitement, et ne se protègent pas. En conséquence, elles laissent la maladie circuler”, rappelle Karel Luciani, président de l’association Agir contre le sida.

Problème “d’interprétation” des données

Le docteur Nguyen explique que “l’augmentation de cas sur l’année 2022 ne veut pas forcément dire que la maladie a circulé plus activement”. “Il y a un problème d’interprétation des données. Il faut réfléchir aux différentes hypothèses possibles pour expliquer cette hausse”, continue-t-il. “Pendant la période de pandémie, les dépistages du VIH et des autres IST (Infections sexuellement transmissibles, ndlr), se faisaient plus rarement. Les gens étaient confinés et se déplaçaient moins dans les dispensaires, les pharmacies. Le personnel soignant était aussi complétement submergé par le covid. Je crois que les retards de diagnostic du VIH durant les deux années covid se répercutent sur l’année 2022. Concrètement, des personnes qui n’ont pas pu être dépistées pendant les deux ans d’épidémie, ne l’ont été qu’en 2022”, suggère l’épidémiologiste.

Karel Luciani, président de l’association Agir Contre Le Sida, semble confirmer cette hypothèse. “Notre association propose des dépistages pour les personnes réticentes à effectuer le test en pharmacie ou au dispensaire. Pendant la période de pandémie, les gens ne se sont pas déplacés. En 2022, on a constaté un regain de consultation”.
 

Relâchement après la pandémie

L’autre facteur qui pourrait expliquer l’augmentation de nouveaux cas en 2022 est “un relâchement au niveau des comportements sexuels de la population”, soutient docteur Nguyen. Il poursuit : “En 2022, les gens se sont retrouvés après avoir été confinés pendant deux ans. Certains jeunes on ressentit une sorte de frustration durant les différentes périodes de confinement. Frustration qu’ils ont parfois compensée en ayant des conduites sexuelles à risque, au sortir de la période de pandémie. On observe que d’autres maladies sexuellement transmissibles comme la chlamydia, la syphilis, etc. se sont aussi beaucoup propagées en 2022. C’est conjoncturel, cela signifie que la population s’est moins protégée, et donc qu’elle augmente ses chances de contracter le VIH.”

Toujours est-il qu’il n’est pas évident de disposer de données exactes concernant le nombre réel de personnes infectées au VIH. “Il faut partir du principe que nos chiffres sont toujours en dessous de la réalité. Les MST sont toujours sous déclarées. Si les personnes ne viennent pas se faire dépister, elles peuvent continuer à transmettre la maladie sans le savoir”, rappelle le docteur Nguyen. En 2022, l’association Agir Contre Le Sida a effectué une campagne de dépistage aux Marquises. “On a détecté trois cas là-bas. Si nous n'y étions pas allés, nous n’aurions jamais su que le virus circulait dans l’archipel”, explique Karel Luciani.

Les mesures préventives au cœur des débats

“Utiliser le traitement PrEP, (pilule préventive “antisida”) permet d’éviter les risques d’attraper le VIH. Cette pilule est remboursée par la sécurité sociale en métropole, mais au fenua elle n’est pas prise en charge. On se bat pour que ce médicament soit gratuit. Le Pays gère de manière autonome son système de santé, il doit prendre ses responsabilités”, déplore le président d’Agir contre le sida. En 2021, Karel Luciani est notamment allé toquer à la porte de la présidence pour demander des subventions. Financement qui permettrait à l’association de mettre en place plus de mesures préventives et d’effectuer plus de dépistages. À l’heure actuelle, la demande est restée vaine.

“Les personnes les plus défavorisées sont particulièrement touchées par le VIH. Mais le traitement de PrEP coûte cher, et n’est pas accessible à n’importe quel portefeuille”, relève le docteur Nguyen. “Certaines personnes utilisent déjà ce traitement, comme les travailleurs du sexe. Nous sommes très engagés auprès d’eux”, confie Karel Luciani.

Autre problème conséquent, le traitement préventif du sida, PrEP, est systématiquement prescrit aux femmes et aux hommes victimes de viol, mais n’est remboursé par aucune instance. “C’est un traitement qui s’étale sur un mois et qui coûte cher, entre 80 et 100 000 Fcfp”, conclut le docteur Lam Nguyen.

Rédigé par Guillaume Marchal le Jeudi 12 Janvier 2023 à 19:13 | Lu 3651 fois