A peine rentré d’Auckland, il est sur le départ, destination : le siège de l'ONU, à New-York. Entre deux avions, le sénateur Richard Tuheiava, devenu l’ambassadeur d’Oscar Temaru dans ses démarches pour la réinscription de la Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser, a répondu aux questions de Tahiti Infos.
Parfois critiqué ces derniers jours pour ses mots sévères à l’encontre de l’Etat français, dont il a ouvertement critiqué les prises de positions diplomatiques lors du Forum des Iles du Pacifique, il répond avec le même franc-parler : « Je suis un sénateur d’opposition, je n’ai pas à faire allégeance à l’UMP ».
Cet indépendantiste convaincu met en garde contre la peur de l’ « indépendance misère », qu’il relègue au rang de fantasme véhiculé par Paris. Et appelle à la création d’un deuxième pôle de compétitivité économique dans le Pacifique, dont la Polynésie serait partie prenante. Pour le sénateur, la réinscription est donc une étape essentielle pour sortir du schéma économique « Paris/Papeete, Papeete Paris » hérité du CEP. Interview.
Parfois critiqué ces derniers jours pour ses mots sévères à l’encontre de l’Etat français, dont il a ouvertement critiqué les prises de positions diplomatiques lors du Forum des Iles du Pacifique, il répond avec le même franc-parler : « Je suis un sénateur d’opposition, je n’ai pas à faire allégeance à l’UMP ».
Cet indépendantiste convaincu met en garde contre la peur de l’ « indépendance misère », qu’il relègue au rang de fantasme véhiculé par Paris. Et appelle à la création d’un deuxième pôle de compétitivité économique dans le Pacifique, dont la Polynésie serait partie prenante. Pour le sénateur, la réinscription est donc une étape essentielle pour sortir du schéma économique « Paris/Papeete, Papeete Paris » hérité du CEP. Interview.
"Paris tente de faire pression sur certains membres du comité des 24"
Tahiti Infos : Ce déplacement à Auckland a été qualifié d’échec par l’opposition, de demi-succès par la délégation… Où est la vérité ?
Richard Tuheiava : Elle est entre les deux. C’est un point d’étape, non pas une réussite en soi puisqu’une réussite, ça aurait été un communiqué très favorable. Mais ce n’est pas non plus un échec, puisque la question n’a pas été effacée de l’ordre du jour du forum, malgré les demandes de certains pays que nous connaissons, comme la France.
Est-ce le rôle d’un sénateur de la République que de parler de son propre pays comme si c’était un adversaire ?
Je suis un sénateur de l’opposition, apparenté socialiste. Mon travail est de contrôler l’action gouvernementale à Paris, et de voir comment le gouvernement traite certaines questions épineuses dans ma circonscription, donc je suis bien véritablement dans mes attributions. La réinscription est une question épineuse et j’ai pris parti. En tant que sénateur de l’opposition, je n’ai pas à faire allégeance à l’UMP. Je rappelle qu’à la fin du mois, la moitié du Sénat va être renouvelé, et j’espère que ces élections permettront l’émergence d’une majorité de gauche. Je rappelle aussi que je suis membre du comité exécutif du Tavini Huiraatira.
Est-ce qu’être dans l’opposition empêche le dialogue avec le gouvernement central, avec A. Juppé notamment, que vous avez croisé au forum sans le rencontrer?
La question est pertinente. J’ai adressé une question écrite le 23 juin au gouvernement en ma qualité de sénateur pour proposer le dialogue. J’y demandais au premier ministre François Fillon d’engager un dialogue constructif. Puis, j’ai sollicité une rencontre avec F. Fillon à la fin du mois de juillet. Il m’a répondu que son emploi du temps ne lui permettait pas de répondre favorablement à ma demande d’entrevue, qui portait sur la réinscription. Quand on sait qu’en plus, les membres du comité des 24 (chargé de l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ndlr) , notamment le Timor, sont dissuadés par la France de nous recevoir et de nous soutenir, je me pose la question du dialogue...
Vous partez mardi soir à New York pour tenter de faire inscrire votre demande de réinscription à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU. Qui vous soutient ?
J’espère convaincre non pas les adversaires de la France, mais les adversaires de ce gouvernement (Fillon ndlr), qui sont nombreux à l’ONU. Il faut un seul soutien parmi les membres, et j’espère en avoir plusieurs. Les 11 pays qui ont signé à Fidji ne se déjugent pas, seul Nauru a choisi de se mettre en retrait. En tout, 3 membres du comité des 24 sont prêts à nous sponsoriser. Mon travail cette semaine va donc surtout être administratif : faire inscrire la question à l’ordre du jour. Je ne fais que déposer le dossier, et rien ne presse. Nous avons jusqu’en 2012. Je ne suis pas sûr de revenir avec une résolution, mais j’espère rentrer de New York avec au moins un soutien sûr.
Richard Tuheiava : Elle est entre les deux. C’est un point d’étape, non pas une réussite en soi puisqu’une réussite, ça aurait été un communiqué très favorable. Mais ce n’est pas non plus un échec, puisque la question n’a pas été effacée de l’ordre du jour du forum, malgré les demandes de certains pays que nous connaissons, comme la France.
Est-ce le rôle d’un sénateur de la République que de parler de son propre pays comme si c’était un adversaire ?
Je suis un sénateur de l’opposition, apparenté socialiste. Mon travail est de contrôler l’action gouvernementale à Paris, et de voir comment le gouvernement traite certaines questions épineuses dans ma circonscription, donc je suis bien véritablement dans mes attributions. La réinscription est une question épineuse et j’ai pris parti. En tant que sénateur de l’opposition, je n’ai pas à faire allégeance à l’UMP. Je rappelle qu’à la fin du mois, la moitié du Sénat va être renouvelé, et j’espère que ces élections permettront l’émergence d’une majorité de gauche. Je rappelle aussi que je suis membre du comité exécutif du Tavini Huiraatira.
Est-ce qu’être dans l’opposition empêche le dialogue avec le gouvernement central, avec A. Juppé notamment, que vous avez croisé au forum sans le rencontrer?
La question est pertinente. J’ai adressé une question écrite le 23 juin au gouvernement en ma qualité de sénateur pour proposer le dialogue. J’y demandais au premier ministre François Fillon d’engager un dialogue constructif. Puis, j’ai sollicité une rencontre avec F. Fillon à la fin du mois de juillet. Il m’a répondu que son emploi du temps ne lui permettait pas de répondre favorablement à ma demande d’entrevue, qui portait sur la réinscription. Quand on sait qu’en plus, les membres du comité des 24 (chargé de l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ndlr) , notamment le Timor, sont dissuadés par la France de nous recevoir et de nous soutenir, je me pose la question du dialogue...
Vous partez mardi soir à New York pour tenter de faire inscrire votre demande de réinscription à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU. Qui vous soutient ?
J’espère convaincre non pas les adversaires de la France, mais les adversaires de ce gouvernement (Fillon ndlr), qui sont nombreux à l’ONU. Il faut un seul soutien parmi les membres, et j’espère en avoir plusieurs. Les 11 pays qui ont signé à Fidji ne se déjugent pas, seul Nauru a choisi de se mettre en retrait. En tout, 3 membres du comité des 24 sont prêts à nous sponsoriser. Mon travail cette semaine va donc surtout être administratif : faire inscrire la question à l’ordre du jour. Je ne fais que déposer le dossier, et rien ne presse. Nous avons jusqu’en 2012. Je ne suis pas sûr de revenir avec une résolution, mais j’espère rentrer de New York avec au moins un soutien sûr.
"Ce n’est pas à la Nouvelle-Zélande ou à l’Australie de dicter ce qu’est une réelle démocratie"
Ces pays dont vous parlez ont signé une résolution de soutien lors d’un « alter-forum » à Fidji. Ce pays est dirigé par le contre-amiral Bainimarama, qui a pris le pouvoir après un coup d’Etat en 2006, et qui n’a pas organisé d’élections démocratiques depuis. Est-ce vraiment un pays fréquentable ?
C’est un cas très particulier : Fidji s’est fait suspendre du forum et a un ressentiment particulier à l’encontre des pays qui sont à l’origine de cette suspension (Australie et Nouvelle-Zélande ndlr). La Polynésie ne veut pas prendre part dans ce conflit. En revanche, on a une solidarité avec Fidji, et on veut que ce pays fasse partie du 2ème pôle de compétitivité économique du Pacifique. Bainimarama a annoncé des élections pour septembre 2014, il a intérêt à tenir sa parole pour sa crédibilité, je ne suis pas le seul à le lui avoir dit. Mais je ne veux pas rentrer dans un jugement de valeur qui soit biaisé par le prisme occidental de la démocratie à tel ou tel moment. Ce n’est pas à la Nouvelle-Zélande ou à l’Australie dans la région Pacifique de dicter ce qu’est une réelle démocratie par rapport à une autre. Je rappelle qu’il y a des membres de l’armée fidjienne qui font partie des casques bleus, et qui font du bon travail en Afghanistan.
Pensez-vous vraiment que le but de cette réinscription n’est pas l’indépendance, comme vous l’avez déjà affirmé ?
L’indépendance n’est pas du tout le but de cette réinscription. Elle permet simplement – enfin visiblement ce n’est pas si simple que ça –, elle permet à toute la sphère politique polynésienne de travailler dans les 10 prochaines années sous l’arbitrage de l’ONU, dans un cadre où la raison d’Etat, qui n’est pas éteinte à ce jour, ne permettra pas d’influer sur notre gouvernance. On est toujours dans un schéma post-CEP, 10 ans après, et ce n’est pas qu’une conséquence de l’instabilité. Le choix a été fait de nous maintenir dans un schéma Paris/Papeete, Papeete/Paris. A Fidji, on n’a pas parlé que de réinscription mais aussi de partenariats régionaux, pour repenser nos modèles en matière d’emploi, de médecine, de police régionale… La Polynésie est condamnée à rester en dehors de tout ça, à attendre de l’autre côté de la rivière, en essayant de traverser là où il y a le moins de courant. Cela manque un peu de courage. Et encore une fois, la réinscription ne signifie pas l’indépendance. L’indépendance, c’est la population qui en fera le choix par le biais d’un référendum.
La Polynésie ne devrait-elle pas commencer, avant tout, à exploiter au maximum les capacités de développement économique que lui offre son statut d’autonomie ? Ce n’est vraiment pas le cas pour l’instant…
Une chose est sûre, on n’exploite pas toutes nos compétences, on en a même peut-être demandé trop en 2004 par rapport à ce dont on a besoin pour repenser notre modèle économique. D’un autre côté, certaines compétences liées à notre zone maritime ne sont pas assez développées. C’est pourtant ce qui permettrait de faire rentrer des richesses. Il y a de la valeur ajoutée dans cet océan, mais elle n’est pas assez exploitée, et c’est dommage.
L’opinion publique, ou ce qu’on en entend, ne semble pas favorable à la démarche de réinscription. Pensez-vous avoir le soutien de la population ?
Je pense qu’il y a beaucoup de personnes qu’on n’entend pas qui y sont favorables. Moi, j’entends la souffrance liée à la crise. Et il n’y a pas que le gouvernement Temaru qui en est responsable. Or si les Polynésiens ont besoin d’une aide immédiate, de réponses concrètes, on ne peut rien faire, car il n’y a plus d’argent ni dans les caisses de l’Etat, ni du Pays. Par contre des choix importants peuvent être faits dans les prochains mois, y compris la réinscription. Je crois qu’il faut écouter toutes les objections, il y a juste de la communication à faire. On ne se remet pas d’une période de faste où les robinets tournaient à plein régime en l’espace de 5 ans. Mais on peut prévoir une feuille de route qui permette de traiter cette crise, en attendant la mise en place d’une feuille de route économique et sociale.
Et quelle feuille de route prévoit le gouvernement Temaru ? On attend toujours...
Ce n’est pas que le président Temaru, c’est toute une équipe gouvernementale qui doit se fédérer, peut-être davantage. Il n’y a pas de coupure avec la population : elle est entendue. Mais aujourd’hui, un cycle se termine, et le changement se fera avec ou sans la population. Le travail du gouvernement, dont les responsabilités sont lourdes, est de l’accompagner dans ce changement. Il est vrai que la population peut attendre plus de ce gouvernement, et je suis là aussi pour donner mon point de vue et mes analyses au président et à ses ministres.
A titre personnel, vous êtes indépendantiste ?
Je suis un indépendantiste souverainiste et progressiste. Je ne crois pas à l’indépendance misère, qui est une politique de l’intimidation qui vient de Paris. Et souverainiste, toute la classe politique polynésienne l’est, y compris les autonomistes. Le reste n’est que positionnement électoral.
C’est un cas très particulier : Fidji s’est fait suspendre du forum et a un ressentiment particulier à l’encontre des pays qui sont à l’origine de cette suspension (Australie et Nouvelle-Zélande ndlr). La Polynésie ne veut pas prendre part dans ce conflit. En revanche, on a une solidarité avec Fidji, et on veut que ce pays fasse partie du 2ème pôle de compétitivité économique du Pacifique. Bainimarama a annoncé des élections pour septembre 2014, il a intérêt à tenir sa parole pour sa crédibilité, je ne suis pas le seul à le lui avoir dit. Mais je ne veux pas rentrer dans un jugement de valeur qui soit biaisé par le prisme occidental de la démocratie à tel ou tel moment. Ce n’est pas à la Nouvelle-Zélande ou à l’Australie dans la région Pacifique de dicter ce qu’est une réelle démocratie par rapport à une autre. Je rappelle qu’il y a des membres de l’armée fidjienne qui font partie des casques bleus, et qui font du bon travail en Afghanistan.
Pensez-vous vraiment que le but de cette réinscription n’est pas l’indépendance, comme vous l’avez déjà affirmé ?
L’indépendance n’est pas du tout le but de cette réinscription. Elle permet simplement – enfin visiblement ce n’est pas si simple que ça –, elle permet à toute la sphère politique polynésienne de travailler dans les 10 prochaines années sous l’arbitrage de l’ONU, dans un cadre où la raison d’Etat, qui n’est pas éteinte à ce jour, ne permettra pas d’influer sur notre gouvernance. On est toujours dans un schéma post-CEP, 10 ans après, et ce n’est pas qu’une conséquence de l’instabilité. Le choix a été fait de nous maintenir dans un schéma Paris/Papeete, Papeete/Paris. A Fidji, on n’a pas parlé que de réinscription mais aussi de partenariats régionaux, pour repenser nos modèles en matière d’emploi, de médecine, de police régionale… La Polynésie est condamnée à rester en dehors de tout ça, à attendre de l’autre côté de la rivière, en essayant de traverser là où il y a le moins de courant. Cela manque un peu de courage. Et encore une fois, la réinscription ne signifie pas l’indépendance. L’indépendance, c’est la population qui en fera le choix par le biais d’un référendum.
La Polynésie ne devrait-elle pas commencer, avant tout, à exploiter au maximum les capacités de développement économique que lui offre son statut d’autonomie ? Ce n’est vraiment pas le cas pour l’instant…
Une chose est sûre, on n’exploite pas toutes nos compétences, on en a même peut-être demandé trop en 2004 par rapport à ce dont on a besoin pour repenser notre modèle économique. D’un autre côté, certaines compétences liées à notre zone maritime ne sont pas assez développées. C’est pourtant ce qui permettrait de faire rentrer des richesses. Il y a de la valeur ajoutée dans cet océan, mais elle n’est pas assez exploitée, et c’est dommage.
L’opinion publique, ou ce qu’on en entend, ne semble pas favorable à la démarche de réinscription. Pensez-vous avoir le soutien de la population ?
Je pense qu’il y a beaucoup de personnes qu’on n’entend pas qui y sont favorables. Moi, j’entends la souffrance liée à la crise. Et il n’y a pas que le gouvernement Temaru qui en est responsable. Or si les Polynésiens ont besoin d’une aide immédiate, de réponses concrètes, on ne peut rien faire, car il n’y a plus d’argent ni dans les caisses de l’Etat, ni du Pays. Par contre des choix importants peuvent être faits dans les prochains mois, y compris la réinscription. Je crois qu’il faut écouter toutes les objections, il y a juste de la communication à faire. On ne se remet pas d’une période de faste où les robinets tournaient à plein régime en l’espace de 5 ans. Mais on peut prévoir une feuille de route qui permette de traiter cette crise, en attendant la mise en place d’une feuille de route économique et sociale.
Et quelle feuille de route prévoit le gouvernement Temaru ? On attend toujours...
Ce n’est pas que le président Temaru, c’est toute une équipe gouvernementale qui doit se fédérer, peut-être davantage. Il n’y a pas de coupure avec la population : elle est entendue. Mais aujourd’hui, un cycle se termine, et le changement se fera avec ou sans la population. Le travail du gouvernement, dont les responsabilités sont lourdes, est de l’accompagner dans ce changement. Il est vrai que la population peut attendre plus de ce gouvernement, et je suis là aussi pour donner mon point de vue et mes analyses au président et à ses ministres.
A titre personnel, vous êtes indépendantiste ?
Je suis un indépendantiste souverainiste et progressiste. Je ne crois pas à l’indépendance misère, qui est une politique de l’intimidation qui vient de Paris. Et souverainiste, toute la classe politique polynésienne l’est, y compris les autonomistes. Le reste n’est que positionnement électoral.