Léo Peuillot, doctorant de l'université de Strasbourg, pense savoir comment protéger les noms de nos îles
PAPEETE, le 31 mai 2016 - Le droit des marques est un sujet complexe, mais primordial dans cette société où l'image et le marketing sont rois, même au niveau d'un pays entier comme le nôtre. Et ce droit des marques, malheureusement, est conçu pour protéger les pays, mais mal adapté aux petites collectivités. Léo Peuillot, thésard en Droit, pense avoir trouvé quelques solutions pour défendre les noms de nos îles malgré tout.
Il y a 621 marques rien qu'en Europe qui utilisent le mot "Tahiti", même si beaucoup sont déposées par des entreprises locales (par exemple la marque "Tahiti Infos"). 147 utilisent "Bora" et 41 autres le mot "Moorea" pour le nom de leur entreprise ou l'un de leurs produits. 68 marques contiennent le mot "Polynésie", dont une marque allemande de vendeur d'Opel qui a un produit nommé tout simplement "Polynesie". Les gels douche "tahiti douche", qui ont eu jusqu'à 80% de parts de marché en France, existent depuis les années 70 et la marque est aujourd'hui déclinée en dizaines de produits. Elle a généré des milliards d'euros dont Tahiti, qui lui a prêté son nom et son image, n'a pas touché un centime sauf en exposition médiatique…
Il y a 621 marques rien qu'en Europe qui utilisent le mot "Tahiti", même si beaucoup sont déposées par des entreprises locales (par exemple la marque "Tahiti Infos"). 147 utilisent "Bora" et 41 autres le mot "Moorea" pour le nom de leur entreprise ou l'un de leurs produits. 68 marques contiennent le mot "Polynésie", dont une marque allemande de vendeur d'Opel qui a un produit nommé tout simplement "Polynesie". Les gels douche "tahiti douche", qui ont eu jusqu'à 80% de parts de marché en France, existent depuis les années 70 et la marque est aujourd'hui déclinée en dizaines de produits. Elle a généré des milliards d'euros dont Tahiti, qui lui a prêté son nom et son image, n'a pas touché un centime sauf en exposition médiatique…
Malgré son nom, tahiti douche (notez l’absence de majuscule pour faire plus "détente", un concept purement marketing) n'a rien à voir avec nos îles, mais utilise notre image
On le voit, les noms de nos îles et même de notre pays ne sont pas du tout protégés ; n'importe qui peut décider de déposer une marque nommée Tahiti et il a toutes les chances de l'obtenir s'il est le premier à la demander. Elle lui appartiendra alors de droit pour toutes les catégories de produits où il a réservé le nom… Plus personne d'autre en Europe ne pourra utiliser cette marque pour ces produits. La marque Tahiti existe d'ailleurs déjà pour les activités touristiques, la publicité et les bannières : elle appartient au GIE Tahiti Tourisme.
Cette situation ne peut pas arriver pour les "grands" pays comme la France : le nom du pays, son drapeau et ses symboles officiels sont protégés par le droit international. Mais pour les collectivités, la loi ne prévoit rien : la chasse aux marques est ouverte. Si l'envie vous en prend, la marque Raiatea est disponible pour les couches-culottes. Une marque de préservatifs nommée Ua Huka, ça vous dit ? Votre imagination est la seule limite…
"Une marque est le meilleur moyen de contrer une autre marque"
Mais nous ne sommes pas impuissants, et des exemples à travers le monde montrent qu'une collectivité peut très bien défendre son nom et son patrimoine de façon très agressive. C'est ce que nous explique Léo Peuillot, un "demi" qui a une passion pour le droit de la propriété intellectuelle. Une passion telle qu'il est en train de rédiger une thèse universitaire sur la protection des intérêts des collectivités par le droit des marques. Il la réalise à l'université de Strasbourg, et profite du dispositif CIFRE qui lui permet de faire financer sa thèse à parts égales entre l'État et une entreprise/administration. Il est donc aussi salarié à la DGAE, pour laquelle il prépare des recommandations et des conseils sur la gestion de notre image grâce aux marques. Les exemples internationaux de la Bretagne et du Japon lui semblent, pour l'instant, être les deux cas d'école qui peuvent intéresser le Pays. "Comment on fait pour utiliser les marques à notre avantage ? Il y a deux solutions très concrètes, le contrat de licence et la marque collective." (voir encadrés).
"J'ai fait une licence de droit à l'UPF, et j'étais très intéressé par le droit d'auteur, le piratage, etc. Mais quand j'ai fait mon master à l'Université de Nantes, j'ai découvert la marque. Pour moi, c'est la propriété intellectuelle ultime : même un droit d'auteur ne dure que 70 ans après la mort de l'auteur, alors que la marque durera tant qu'elle est renouvelée tous les 10 ans et qu'elle est utilisée. Une marque est le meilleur moyen de contrer une autre marque" explique le doctorant.
"Le code de la propriété intellectuelle dit qu'une marque ne peut pas porter atteinte à une collectivité, mais ça veut tout dire et ne rien dire. Nous, on voit que la marque Tahiti Douche se fait de l'argent avec notre nom, tout le monde se plaint et se dit que ce n'est pas normal, mais le problème c'est qu'une fois que la marque est enregistrée, après c'est compliqué de la faire annuler. Donc ce que les collectivités veulent obtenir, c'est que pendant la constitution de la marque, on puisse empêcher le dépôt. Elles aimeraient que l'on change le code pour protéger le nom des collectivités. C'est sur ça que je fais la première partie de ma thèse, et on voit que la législation est en train de légèrement évoluer, au moins en France."
Cette situation ne peut pas arriver pour les "grands" pays comme la France : le nom du pays, son drapeau et ses symboles officiels sont protégés par le droit international. Mais pour les collectivités, la loi ne prévoit rien : la chasse aux marques est ouverte. Si l'envie vous en prend, la marque Raiatea est disponible pour les couches-culottes. Une marque de préservatifs nommée Ua Huka, ça vous dit ? Votre imagination est la seule limite…
"Une marque est le meilleur moyen de contrer une autre marque"
Mais nous ne sommes pas impuissants, et des exemples à travers le monde montrent qu'une collectivité peut très bien défendre son nom et son patrimoine de façon très agressive. C'est ce que nous explique Léo Peuillot, un "demi" qui a une passion pour le droit de la propriété intellectuelle. Une passion telle qu'il est en train de rédiger une thèse universitaire sur la protection des intérêts des collectivités par le droit des marques. Il la réalise à l'université de Strasbourg, et profite du dispositif CIFRE qui lui permet de faire financer sa thèse à parts égales entre l'État et une entreprise/administration. Il est donc aussi salarié à la DGAE, pour laquelle il prépare des recommandations et des conseils sur la gestion de notre image grâce aux marques. Les exemples internationaux de la Bretagne et du Japon lui semblent, pour l'instant, être les deux cas d'école qui peuvent intéresser le Pays. "Comment on fait pour utiliser les marques à notre avantage ? Il y a deux solutions très concrètes, le contrat de licence et la marque collective." (voir encadrés).
"J'ai fait une licence de droit à l'UPF, et j'étais très intéressé par le droit d'auteur, le piratage, etc. Mais quand j'ai fait mon master à l'Université de Nantes, j'ai découvert la marque. Pour moi, c'est la propriété intellectuelle ultime : même un droit d'auteur ne dure que 70 ans après la mort de l'auteur, alors que la marque durera tant qu'elle est renouvelée tous les 10 ans et qu'elle est utilisée. Une marque est le meilleur moyen de contrer une autre marque" explique le doctorant.
"Le code de la propriété intellectuelle dit qu'une marque ne peut pas porter atteinte à une collectivité, mais ça veut tout dire et ne rien dire. Nous, on voit que la marque Tahiti Douche se fait de l'argent avec notre nom, tout le monde se plaint et se dit que ce n'est pas normal, mais le problème c'est qu'une fois que la marque est enregistrée, après c'est compliqué de la faire annuler. Donc ce que les collectivités veulent obtenir, c'est que pendant la constitution de la marque, on puisse empêcher le dépôt. Elles aimeraient que l'on change le code pour protéger le nom des collectivités. C'est sur ça que je fais la première partie de ma thèse, et on voit que la législation est en train de légèrement évoluer, au moins en France."
La marque Bretagne, qui appartient à la région, a été déposée en 2014 pour toutes les catégories de produits
Le cas de la Bretagne : le contrat de licence
La région bretonne a mis en place toute une stratégie pour sa propriété intellectuelle. Une seule marque a été déposée avec son logo : Bretagne. Elle s'applique à toutes les catégories de produits. Elle est conçue comme une sorte de label du "Made in Bretagne" : la région signe des contrats de licence de sa marque avec les agents économiques et impose des conditions strictes sur l'origine des produits. Elle contrôle ainsi tous les produits qui pourront se targuer du logo indiquant leur origine bretonne. Finies les galettes bretonnes fabriquées dans des usines d'Europe de l'Est mais utilisant le nom et le drapeau de la Bretagne pour tromper la clientèle ! Elle est d'ailleurs en concurrence avec la marque collective "Produit en Bretagne", qui a déposé le drapeau breton, gérée par 300 entreprises de la région depuis 1993.
Léo Peuillot explique que "dans le contrat de licence, c'est la collectivité qui a déposé et est propriétaire de la marque, elle la garde sous son contrôle et elle fait un contrat de licence aux agents économiques. En gros, elle loue sa marque. Nous, on pourrait déposer "Tahiti", mais aussi "Agriculture de Tahiti", "Eau de coco de Tahiti"… Il faut qu'un partenariat soit établi entre les professionnels et la collectivité pour voir si tel ou tel produit a besoin d'une marque pour lui servir de label. Si c'est le cas, on la déposera et on donnera le droit de l'utiliser à ceux qui respecteront le cahier des charges défini par les professionnels. Si quelqu'un utilise la marque sans notre autorisation, on peut l'attaquer en contrefaçon, donc c'est bien verrouillé juridiquement, et ça permet aux producteurs locaux d'être unifié et de tous profiter de l'image d'une marque forte. Reste à voir si on fait une marque pour chaque secteur, ou si on fait comme la Bretagne avec une marque générale."
A noter, la marque Bretagne a été déposée en 2014, mais la région s'inspirait du modèle de Venise, qui a déposé son nom en 2002. La grosse différence entre les deux modèles : la Sérénissime, qui a surtout besoin de fonds pour les travaux de rénovation de la ville, fait payer le droit d'utiliser son image.
La région bretonne a mis en place toute une stratégie pour sa propriété intellectuelle. Une seule marque a été déposée avec son logo : Bretagne. Elle s'applique à toutes les catégories de produits. Elle est conçue comme une sorte de label du "Made in Bretagne" : la région signe des contrats de licence de sa marque avec les agents économiques et impose des conditions strictes sur l'origine des produits. Elle contrôle ainsi tous les produits qui pourront se targuer du logo indiquant leur origine bretonne. Finies les galettes bretonnes fabriquées dans des usines d'Europe de l'Est mais utilisant le nom et le drapeau de la Bretagne pour tromper la clientèle ! Elle est d'ailleurs en concurrence avec la marque collective "Produit en Bretagne", qui a déposé le drapeau breton, gérée par 300 entreprises de la région depuis 1993.
Léo Peuillot explique que "dans le contrat de licence, c'est la collectivité qui a déposé et est propriétaire de la marque, elle la garde sous son contrôle et elle fait un contrat de licence aux agents économiques. En gros, elle loue sa marque. Nous, on pourrait déposer "Tahiti", mais aussi "Agriculture de Tahiti", "Eau de coco de Tahiti"… Il faut qu'un partenariat soit établi entre les professionnels et la collectivité pour voir si tel ou tel produit a besoin d'une marque pour lui servir de label. Si c'est le cas, on la déposera et on donnera le droit de l'utiliser à ceux qui respecteront le cahier des charges défini par les professionnels. Si quelqu'un utilise la marque sans notre autorisation, on peut l'attaquer en contrefaçon, donc c'est bien verrouillé juridiquement, et ça permet aux producteurs locaux d'être unifié et de tous profiter de l'image d'une marque forte. Reste à voir si on fait une marque pour chaque secteur, ou si on fait comme la Bretagne avec une marque générale."
A noter, la marque Bretagne a été déposée en 2014, mais la région s'inspirait du modèle de Venise, qui a déposé son nom en 2002. La grosse différence entre les deux modèles : la Sérénissime, qui a surtout besoin de fonds pour les travaux de rénovation de la ville, fait payer le droit d'utiliser son image.
Le nom Bœuf de Kobé, 神戸ビーフ, et son logo sont déposés en marques collectives, et réservés aux éleveurs de la région de Kobé.
Le cas du Japon : les marques collectives
Les Japonais ont eu une démarche très proactive pour défendre leur patrimoine : toutes les spécialités locales, des plats du terroir aux sanctuaires shintoïstes, sont déposés en marques collectives régionales, un dispositif législatif spécifique à l'archipel. Pour utiliser le nom japonais de ces héritages culturels, une entreprise doit adhérer à un cahier des charges très précis, mais il n'y a pas de vérification du procédé de fabrication ou de la qualité du produit. La seule condition est qu'il s'agisse du bon produit et soit fait dans la région. Les entreprises n'ont rien à payer. Par contre un contrevenant se verra poursuivre pour contrefaçon et risquera des millions de yens d'amende.
"Les Japonais ont déposé des milliers de marques, liées aux lieux, aux produits, aux pratiques culturelles, et ceux qui respectent le cahier des charges peuvent l'utiliser… Par exemple la marque Bœuf de Kobe, en japonais. Mais ils utilisent le droit des marques japonais, alors que nous avec le droit européen on ne peut pas utiliser des mots descriptifs dans une marque. Donc déposer "punu puaatoro" pour le plat ou "Pereo'o" pour une voiture, ça devrait être refusé, même si en Europe ils l'accepteraient parce qu'ils ne savent pas ce que ça veut dire… " nous explique Léo Peuillot.
Les Japonais ont eu une démarche très proactive pour défendre leur patrimoine : toutes les spécialités locales, des plats du terroir aux sanctuaires shintoïstes, sont déposés en marques collectives régionales, un dispositif législatif spécifique à l'archipel. Pour utiliser le nom japonais de ces héritages culturels, une entreprise doit adhérer à un cahier des charges très précis, mais il n'y a pas de vérification du procédé de fabrication ou de la qualité du produit. La seule condition est qu'il s'agisse du bon produit et soit fait dans la région. Les entreprises n'ont rien à payer. Par contre un contrevenant se verra poursuivre pour contrefaçon et risquera des millions de yens d'amende.
"Les Japonais ont déposé des milliers de marques, liées aux lieux, aux produits, aux pratiques culturelles, et ceux qui respectent le cahier des charges peuvent l'utiliser… Par exemple la marque Bœuf de Kobe, en japonais. Mais ils utilisent le droit des marques japonais, alors que nous avec le droit européen on ne peut pas utiliser des mots descriptifs dans une marque. Donc déposer "punu puaatoro" pour le plat ou "Pereo'o" pour une voiture, ça devrait être refusé, même si en Europe ils l'accepteraient parce qu'ils ne savent pas ce que ça veut dire… " nous explique Léo Peuillot.
Comment déposer une marque en Polynésie ?
Il n'est pas facile de trouver cette information en ligne, donc suivez le guide. Pour obtenir une marque européenne étendue à la Polynésie, il y a une seule procédure : la déposer à L'Institut national de la propriété industrielle (INPI). L'institut a beaucoup modernisé la procédure, et aujourd'hui elle se fait en ligne, sur INPI.fr. Il suffit de vérifier qu'on a le droit de déposer la marque à laquelle on pense, qu'elle est disponible, puis créer un compte pour effectuer le dépôt et le paiement par carte. Une description de tout le processus avec les liens est disponible ici.
La nouvelle version du site, malheureusement, semble présenter un bug pour les adresses polynésiennes lors de la création d'un compte, mais un mail au webmaster par l'onglet "contactez-nous" permet de le résoudre. Une fois le compte créé, il s'agit juste de remplir le formulaire, choisir les catégories de produits qui correspondent à la marque, et surtout cocher la case "extension à la Polynésie française". La procédure vous coûtera 210 euros pour déposer la marque dans trois classes de produits, et 60 euros de plus pour l'étendre à la Polynésie. Elle restera valable pendant dix ans, mais le droit est renouvelable à l'infini tant que la marque est utilisée.
Il n'est pas facile de trouver cette information en ligne, donc suivez le guide. Pour obtenir une marque européenne étendue à la Polynésie, il y a une seule procédure : la déposer à L'Institut national de la propriété industrielle (INPI). L'institut a beaucoup modernisé la procédure, et aujourd'hui elle se fait en ligne, sur INPI.fr. Il suffit de vérifier qu'on a le droit de déposer la marque à laquelle on pense, qu'elle est disponible, puis créer un compte pour effectuer le dépôt et le paiement par carte. Une description de tout le processus avec les liens est disponible ici.
La nouvelle version du site, malheureusement, semble présenter un bug pour les adresses polynésiennes lors de la création d'un compte, mais un mail au webmaster par l'onglet "contactez-nous" permet de le résoudre. Une fois le compte créé, il s'agit juste de remplir le formulaire, choisir les catégories de produits qui correspondent à la marque, et surtout cocher la case "extension à la Polynésie française". La procédure vous coûtera 210 euros pour déposer la marque dans trois classes de produits, et 60 euros de plus pour l'étendre à la Polynésie. Elle restera valable pendant dix ans, mais le droit est renouvelable à l'infini tant que la marque est utilisée.